La désinfection1 a été et restera l’un des piliers de l’hygiène en milieu de soins. À l’origine, elle venait empiriquement à l’appui de préoccupations religieuses, socio-économiques, puis sanitaires : embaumer les cadavres pour les conserver, maintenir des corps exempts d’odeur (parfum), lutter contre la dégradation des aliments, améliorer la potabilité de l’eau, etc. Sur ce dernier point, l’évolution a été particulièrement exemplaire depuis la filtration, l’ébullition et la stagnation dans des récipients de cuivre ou argentés, puis la « verdunisation » (chloration) de l’eau au moyen de chlore gazeux, testée sur le champ de bataille de Verdun avant d’être utilisée à grande échelle durant la Première Guerre mondiale, puis bien d’autres procédés modernes.
S’agissant des soins, c’est là aussi une histoire longue avec ses héros connus ou moins connus. Citons le Baron Pierre-François Percy, chirurgien des armées : en 1793 il utilise avec succès – sur les patients et dans leur environnement – la solution d’eau de chlore créée par Berthollet (solution blanchissante pour textile) pour lutter contre « la pourriture d’hôpital » dans l’armée du Rhin. En 1820, le pharmacien Antoine Germain Labarraque (1777-1850) invente une variété d’eau de Javel qui permet, entre autres, d’arrêter le processus de putréfaction des muqueuses. Grâce à elle, on peut envisager de prévenir et de traiter la gangrène et les blessures putrescentes et, avant même Ignaz Semmelweis, de limiter la circulation des « particules cadavériques » dans les hôpitaux. Cette fameuse « liqueur de Labarraque » est largement utilisée par les chirurgiens, les médecins et bien d’autres, notamment lors de l’épidémie de choléra de 1832. Plus tard, aux États-Unis, Henry Drysdale Dakin, tire de l’eau de Javel un antiseptique, l’eau de Dakin qui connut un grand succès. D’autres héros pourraient être cités. Leurs travaux ont concerné les phénols, l’iode, l’alcool jusqu’aux ammoniums quaternaires et à la chlorhexidine. Une belle histoire.
Depuis, dans ses applications humaines, animales ou environnementales, la désinfection évolue sous la pression de plusieurs facteurs :
- les innovations et progrès de la chimie, stimulés par une industrie dynamique ;
- la pression épidémiologique liée à l’émergence de nouveaux micro-organismes ;
- la meilleure connaissance des mécanismes infectieux et de la place de la désinfection ;
- la meilleure compréhension des mécanismes de survie des micro-organismes ;
- la recherche d’une meilleure sécurité pour les patients et les personnels ;
- l’optimisation opérationnelle : coût, automatisation et facilité d’utilisation ;
- enfin, la recherche d’une meilleure sécurité au niveau de l’environnement général.
Certaines innovations frappent à nos portes. Certaines feront l’objet d’une attention croissante. D’autres seront probablement en recul. Dans ce numéro, Ousmane Traoré brosse un portrait objectif des innovations présentes dans le champ de la désinfection environnementale, souvent portées par l’émergence de la Covid-19. Des perspectives encourageantes existent. Mais l’auteur plaide pour la poursuite d’évaluations plus approfondies, notamment cliniques « pour une adoption plus large de ces procédés ». Olivier Meunier a réalisé la lecture critique d’un nouvel article ambitieux d’Anderson et al. Il s’agit de la réanalyse d’un travail antérieur de 2017 concernant la désinfection terminale « renforcée » des chambres de malades ayant présenté une infection ou colonisation spécifique par des germes multi-résistants ou C. difficile. Quatre stratégies étaient comparées dont l’utilisation des UV-C selon plusieurs modalités. Les résultats de cette étude considérable sont parfois contradictoires, mais il semble que les auteurs aient observé une diminution modeste mais significative de l’incidence des infections à C. difficile et ERV après désinfection renforcée par l’utilisation d’UV-C. À suivre donc. Les résultats de l’expérimentation présentée par Anne-Clémence Cholley et al. mettent en lumière l’importance des biofilms pour la gestion des risques microbiens liés aux dispositifs médicaux, les endoscopes dans ce cas, à l’origine d’une flambée épidémique. Les auteurs ont évalué l’effet d’un stress chimique (glutaraldéhyde 1%) associé ou non à un stress physique (dessiccation) sur la survie et la recolonisation du biofilm. Mauvaise nouvelle : grâce au biofilm, la souche de K. pneumoniae étudiée a parfaitement résisté à une désinfection « de haut niveau » et cela a été facilité par la dessiccation (équivalent d’un stockage prolongé). La prévention du biofilm est donc essentielle. Enfin Caroline Fondrinier et al. rapportent une expérience menée à l’hôpital de Libourne. Motivé par une réflexion de développement durable, l’hôpital a arrêté progressivement l’utilisation de détergents-désinfectants et introduit l’utilisation de bandeaux en microfibres pour l’entretien des sols. Un nombre croissant d’établissements en France ont d’ailleurs pris cette direction. Les auteurs insistent sur l’accompagnement nécessaire des équipes hospitalières d’ASH par l’équipe d’hygiène et, dans ce cas, l’adhésion est obtenue.
Parmi les pionniers de cette évolution, je voudrais évoquer le Pr Franz Daschner, responsable d’hygiène hospitalière à l’hôpital universitaire de Fribourg (G). Dès les années quatre-vingt-dix, il a plaidé pour la réduction de l’usage inapproprié de produits chimiques en milieu de soins. « To realize a sustainable development within hospitals, it is necessary that the need to maintain a balance between effective infection control and a good ecological environment is recognized and supported by health-care workers and the hospital management » écrivait-il2. L’avenir de la désinfection passe aussi par ce juste équilibre entre innovation, évaluation clinique et économique, compréhension des ruses biologiques du monde microbien, mais aussi par des pratiques nouvelles, cohérentes avec notre souci partagé d’une maîtrise des désordres environnementaux. Vers la sobriété.
Notes :
1- Avec sa sœur le nettoyage et sa cousine l’antisepsie, la désinfection a été définie de façon assez mouvante. Nous souhaiterions que ces définitions fassent davantage place à l’objectif final : réduire la présence de certains micro-organismes dans le but de réduire les risques d’infection. Cette précision souligne la nécessité d’une évaluation clinique.
2- Daschner F, Dettenkofer M. Protecting the patient and the environment-new aspects and challenges in hospital infection control. J Hosp Infect 1997;36(1):7-15. Doi : 10.1016/s0195-6701(97)90086-4.