L’informatisation des données de santé est la nouvelle révolution du XXIe siècle. Elle bouleverse les habitudes de travail des professionnels de santé. Elle permet à la population et aux patients d’accéder à des informations considérées jusque-là comme confidentielles. Elle augmente la quantité de données disponibles et accélère leur transmission pour un usage quasi-instantané. Elle permet, en théorie, de simplifier les procédures en automatisant le recueil et l’analyse des données. Il n’est donc plus possible aujourd’hui d’imaginer de travailler dans le domaine de la santé, et en particulier dans le domaine de la prévention des infections associées aux soins (IAS), sans système d’information performant.
Historiquement, les systèmes de surveillance des IAS ont été mis en place juste avant cette révolution dans les années quatre-vingt-dix. Ils reposaient au début sur un recueil « manuel » de données par les équipes de soins avec l’aide des hygiénistes et du laboratoire de microbiologie. Ces systèmes ont fait leurs preuves à une époque où l’outil de surveillance était d’abord un moyen de sensibiliser les équipes à l’hygiène, en particulier dans les secteurs à risque comme les soins critiques ou la chirurgie. Le temps consacré au recueil des données, à leur analyse et à leur restitution aux équipes de soins faisait partie du travail des équipes d’hygiène et des centres de coordination inter-régionaux (CClin). L’environnement hospitalier et les contraintes budgétaires ont changé, et il apparaît aujourd’hui que ces surveillances doivent évoluer en utilisant les outils numériques à disposition dans l’hôpital. Cette mutation concerne aussi les soins ambulatoires et le secteur médico-social pour lesquels les ressources sont souvent comptées pour organiser la prévention du risque infectieux et de l’antibiorésistance.
La stratégie et la feuille de route pour déployer une surveillance automatisée ou semi-automatisée des IAS à partir du système d’information hospitalier (SIH) ont été définies tout récemment par le groupe européen Praise1. En France, la stratégie nationale 2022-2025 qui vient d’être éditée par le ministère de la Santé est conforme à cet objectif de modernisation. Elle confirme la nécessité de poursuivre le développement des systèmes de surveillance automatisés pour fournir des indicateurs dans les axes principaux du plan, en particulier au travers des missions nationales prioritaires (Primo, Spares, Spicmi, Spiadi, Matis) et du système d’alerte e-sin. La surveillance des consommations d’antibiotiques a déjà inauguré cette démarche à partir des données extraites de la pharmacie grâce au logiciel Consores, élargie désormais par la mission Spares aux germes multirésistants à partir des logiciels de laboratoire2.
Pour mettre en œuvre cette transformation vers le « tout numérique », la France dispose d’un atout important à l’hôpital, le Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI). Cet outil est en effet présent dans tous les établissements de santé pour la gestion médico-économique de l’activité et repose sur un système unique de codage. L’exemple des infections du site opératoire (ISO) semble prometteur au travers de deux grands projets basés sur les données du PMSI. Une première expérience pilote a été lancée par la Haute Autorité de santé avec l’indicateur ISO-Ortho3. Ainsi, tous les établissements de santé qui pratiquent la chirurgie prothétique de hanche ou de genou sont classés selon le ratio d’incidence des ISO à partir des données annuelles extraites du PMSI national. Les ISO sont détectées automatiquement à partir d’un algorithme qui a fait l’objet d’une validation scientifique4. Il s’agit du premier indicateur français dit de résultat à partir d’une surveillance entièrement automatisée, sans intervention des équipes de soins pour recueillir les données ou valider les diagnostics. Une deuxième expérience est conduite par la mission Spicmi, en charge de la surveillance et de la prévention des ISO5. Une plateforme numérique a ainsi été ouverte fin 2021, permettant une extraction des données du PMSI pour les interventions chirurgicales prioritaires. Contrairement au système ISO-Ortho, le nombre d’ISO est calculé selon une méthode dite semi-automatisée en deux étapes : la première, automatique, qui permet une première sélection d’ISO suspectes à partir du SIH, la deuxième, manuelle, qui implique la participation du chirurgien pour confirmer l’ISO. Les données de prévention, en particulier celles concernant les évaluations des pratiques (audit Préop), peuvent également être importées directement sur la plateforme Spicmi.
Cette démarche comporte néanmoins certaines limites. Une enquête effectuée en 2019 par le centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (Cpias) Île-de-France a montré que la majorité des établissements ayant mis en place une surveillance à partir du SIH utilisaient le PMSI. Par contre, ceux n’utilisant ni le PMSI ni le dossier patient informatisé (DPI) soulignaient les difficultés en termes de ressources humaines, d’organisation, ou de système informatique dans leur établissement. Plus précisément, le retard à l’informatisation du dossier patient dans certains établissements, la multiplicité des logiciels de gestion du dossier, le manque d’expertise locale en développement informatique (ingénieurs, techniciens), ou les contraintes réglementaires imposées par le Règlement général sur la protection des données (RGPD) apparaissent comme un frein majeur à la mise en œuvre d’une surveillance automatisée. La surveillance des patients en ambulatoire reste également une difficulté, car le PMSI ne concerne que les séjours hospitaliers, et non le suivi en consultation ou en ville. L’une des pistes serait de développer un système connecté qui permettrait au patient de signaler lui-même un problème infectieux dans les suites d’un soin. Mais peu d’expériences permettant d’évaluer l’efficacité réelle de ces outils connectés dans le domaine des IAS sont pour l’instant en cours. On voit donc que la difficulté majeure reste le développement de systèmes interconnectés à même de regrouper les informations provenant de différentes sources au sein de l’hôpital mais aussi en lien avec les systèmes utilisés en ville.
Enfin, le rapport coût-efficacité de ces systèmes automatisés doit être évalué. En effet, s’il est sûrement nécessaire d’investir pour numériser, plusieurs écueils peuvent se présenter, au-delà de pures questions de ressources humaines et financières. D’une part, une automatisation complète des systèmes, en les déchargeant de faire la surveillance, pourrait entraîner une perte de l’effet « sensibilisateur » sur les acteurs de soins et rendre peu utile l’usage sur le terrain des indicateurs produits pour développer la prévention. D’autre part, la pertinence des résultats produits par ces systèmes renvoie à la question de la fiabilité des données de routine qui servent à alimenter la surveillance, dont on sait qu’elles sont de qualité inégale. Malgré ces différents points de controverses, l’informatisation, par la facilité qu’elle apporte à l’accès et à la transmission des données de santé, est un enjeu majeur pour l’avenir de nos programmes de lutte contre les IAS. Si la France veut être leader dans le domaine, il est grand temps de mobiliser les expertises et les ressources nécessaires.
Notes :
1- Van Mourik, et al. Providing a roadmap for automated infection surveillance in Europe. Clin Microbiol Infect 2021;27(Suppl 1):S3-S19. Doi : 10.1016/j.cmi.2021.02.028.
2- http://www.cpias-grand-est.fr/index.php/secteur-sanitaire/missions-nationales/spares/
3- Voir : https://www.has-sante.fr/jcms/c_2806593/fr/iqss-2020-iso-ortho-infections-du-site-operatoire-apres-pose-de-prothese-totale-de-hanche-ou-de-genou
4- Grammatico-Guillon L, Baron S, Gaborit C, et al. Quality assessment of hospital discharge database for routine surveillance of hip and knee arthroplasty–related infections. Infect Control Hosp Epidemiol 2014;35(6):646-651. Doi: 10.1086/676423.
5- www.cpias-ile-de-france.fr