Le dimanche 13 mai, en signant le décret 2023-3681, Élisabeth Borne et François Braun se sont engagés dans une direction délicate : la suspension de l’obligation vaccinale Covid-19 et la réintégration des professionnels et étudiants qui étaient soumis à cette obligation depuis le 5 août 2021 et qui à titre personnel la refusaient.
Le décret est bref. Il ne présente pas d’arguments en faveur d’une mesure pourtant aussi importante pour la santé en France. Ce n’est pas le cas de la proposition de loi présentée le 21 mars 2023 à l’Assemblée nationale2 qui, elle, présente un argumentaire détaillé : « Face à une loi à l’application désormais incohérente et injuste, il en est de la responsabilité politique de la représentation nationale de faire preuve de pragmatisme et dans l’intérêt général d’abroger le dispositif ». Parmi les arguments : (a) l’obligation vaccinale s’est imposée au droit à un consentement libre et éclairé exprimé par certains professionnels de santé, (b) l’exclusion des opposants au vaccin a créé une situation juridique inédite qui va à l’encontre des règles fondamentales du droit social français, (c) elle est une contribution majeure à la crise des recrutements professionnels, et (d) en l’état des connaissances actuelles, l’obligation vaccinale n’est plus scientifiquement justifiée du fait, entre autres, de la durée limitée de protection. La représentation nationale y est allée un bon coup, mais s’est sans doute ridiculisée !
Parallèlement la HAS a elle aussi donné un avis favorable à la suppression de l’obligation vaccinale Covid-19 (et pour d’autres vaccins) en précisant toutefois que « la levée d’une obligation vaccinale ne remet pas en cause l’intérêt de cette vaccination, que ce soit en milieu professionnel ou en population générale ». Une position d’équilibrisme vivement attaquée par le syndicat national des professionnels infirmiers3 qui réclame vigoureusement le maintien des obligations vaccinales. Comme l’a fait elle aussi la SF2H lorsqu’elle a pu argumenter le caractère « inopportun » d’une telle décision4.
Il n’y a peut-être pas péril en la demeure. Les personnels militants antivax ou sympathisants sont très minoritaires : si la CGT-santé avance le nombre de 10 000 à 40 000 soignants réfractaires exclus, le ministère en dénombre un millier et la FHF, probablement mieux placée pour le savoir, les estime à environ 4 000 dont 500 infirmiers. Sur 2,7 millions de personnels travaillant en établissements. C’est marginal. Le problème me semble davantage une érosion de la crédibilité de la politique vaccinale en France.
Les vaccinations ont été associées aux meilleurs progrès de la santé des populations et tous les soignants le savent généralement bien. Ils sont unanimes à vouloir faire le mieux pour protéger, contre les risques infectieux, les patients qui reçoivent leurs soins, surtout quand ils sont fragiles. Malgré cela, la vaccination en milieu de soins, ça ne marche pas encore bien ! Les équipes d’hygiène, en appui au service de santé au travail, doivent déployer des efforts considérables pour améliorer la couverture vaccinale des personnels hospitaliers. Certes des résultats partiels et encourageants sont publiés dans notre revue et d’autres, mais l’expérience du terrain montre que, pour vraiment progresser, ce travail de conviction doit être appuyé par une expression politique claire d’obligation vaccinale comme cela est d’ailleurs demandé par les syndicats professionnels au nom de l’éthique professionnelle.
Ensuite une politique vaccinale doit s’inscrire dans le temps. Ce n’est qu’exceptionnellement qu’une vaccination puisse être arrêtée comme ce fut le cas pour la vaccination antivariolique. Si l’on supprime la vaccination antitétanique, ce sera tout simplement le retour du tétanos, les spores étant partout. Pour la Covid-19, c’est la même chose en plus compliqué, le virus menant sa vie de virus. La menace est toujours au-dessus de nous et il existe encore trop d’inconnues virologiques et épidémiologiques pour mettre le vaccin au rencart. Certes il a encore des limites, mais il ne demande qu’à s’améliorer, et il le sera.
Enfin depuis la diffusion des premiers vaccins, ceux-ci ont été partout confrontés à des résistances, à des dénigrements, au minimum à de simples suspicions5,6. Cela a été particulièrement toxique en France, pourtant patrie de la vaccination. Plus récemment, cela a pris une force décuplée grâce aux réseaux sociaux et aux autres médias alternatifs qui prolifèrent7. De ce fait la communication publique en matière de vaccination est une pratique hyperdélicate. Donner le sentiment que l’on hésite, que l’on change de stratégie selon l’humeur du moment, avec des motivations plutôt faibles, cela donne des arguments aux antivax. Cela décrédibilise l’ensemble de notre politique vaccinale. Et c’est dommage.
Notes :
1- https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047542116
2- https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0991_proposition-loi
3- https://www.syndicat-infirmier.com/Derive-HAS-sur-les-obligations-vaccinales-des-soignants.html
4- https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2023-03/resultats_de_la_consultation_publique_sur_les_obligations_et_recommandations_vaccinales_des_professionnels.pdf
5- https://fr.wikipedia.org/wiki/Controverse_sur_la_vaccination
6- https://planet-vie.ens.fr/thematiques/sante/prevention/la-longue-histoire-des-resistances-a-la-vaccination
7- https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2019-2-page-221.htm