« Vers la sobriété ».
Ce sont les derniers mots de l’éditorial intitulé Désinfection : innovation et sobriété, de Jacques Fabry, publié dans le numéro précédent de la revue1. Le clin d’œil n’a échappé à personne car c’est également le mot qui gouverne la politique énergétique de la France dans le contexte difficile que nous connaissons.
Les administrations publiques, les agences régionales de santé, les établissements eux-mêmes sont appelés à réaliser des plans d’action afin d’identifier les risques sur leur approvisionnement énergétique et les moyens d’économiser l’énergie et sa facture, mais aussi les actions pour faire face à la défaillance des réseaux de distribution d’énergie [1,2].
Au-delà du simple hiver à venir, certains établissements déploient des stratégies durables impliquant les pôles jusqu’aux unités cliniques. Le centre hospitalier universitaire de Bordeaux a inscrit un objectif de réduction de 10% de sa consommation énergétique d’ici 2024, prévoyant entre autres actions d’accroître le nombre de contrats de performance énergétique (engagements par les prestataires des installations énergivores), la mise en place d’une politique de gestion des températures de chauffage et de climatisation « conformément à la réglementation en vigueur », le déploiement d’un système d’eau chaude et d’éclairage solaires.
Les Hospices civils de Lyon concourent au même objectif, conforme à la circulaire ministérielle, en déployant les bonnes pratiques, en promouvant les investissements à faible impact, en renforçant les outils de régulation et en diversifiant les ressources. Température des locaux administratifs à 19°C, ne pas chauffer les locaux inoccupés, raccordement au réseau de chauffage urbain et effort de communication sont au programme.
Le centre hospitalier Sud Francilien réduit sa facture de gaz de 45% grâce au raccordement à l’énergie provenant de la combustion des déchets par l’incinérateur urbain et portera à 77% la part des énergies renouvelables avec son futur accès à la géothermie. Les services de soins sont chauffés à 21°C (sauf les maternités et les services de patients très vulnérables, portés à 23°), mais ce sera 19° ailleurs. Chaque jour gagné à retarder la mise en route du chauffage représente une économie de 13 000 euros.
De leur côté, les structures d’appui comme l’Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale (Anap) et la Fédération hospitalière de France [3] publient leurs conseils et propositions, où l’on trouve des données chiffrées intéressantes : « le secteur de la santé compte 3 000 établissements sanitaires et 30 000 établissements médico-sociaux qui représentent environ 110 millions de m2 de surface et 21,5 térawatt-heures (TWh) de consommation énergétique annuelle, soit 2% de la consommation nationale et 12% du secteur tertiaire ». À titre d’illustration, cette consommation correspond environ à la production de deux réacteurs nucléaires. Parmi les 10 actions listées par l’Anap, on trouve le calorifugeage des réseaux et l’installation de robinets thermostatiques [4].
L’idée d’économiser l’énergie consommée par le bloc opératoire pour son traitement d’air n’est pas récente. Woog et Braisin proposaient déjà en 2012 des solutions utilisant les énergies renouvelables comme l’électricité issue de panneaux solaires ou plus originalement le free cooling pour produire le froid, méthode consistant à utiliser le froid disponible en période hivernale pour refroidir l’eau glacée du système de climatisation ou directement l’air admis [4]. Dommage que cette période hivernale soit appelée à s’écourter avec le changement climatique justement induit par notre consommation énergétique effrénée !
Les hôpitaux ne sont pas seuls dans ce challenge, puisque tout un chacun est appelé à la sobriété, et certaines mesures ont déjà porté leurs fruits : le 16 novembre dernier, le responsable exploitation d’Enedis, gestionnaire public du réseau de distribution d’électricité en France, se félicitait de la « grande réussite » du décalage du chauffage des ballons d’eau chaude des particuliers depuis la période 12h-14h pour la période de nuit : « une économie supérieure à la consommation de Paris » [6].
Comme on le perçoit à travers ces exemples, l’hygiéniste ne peut rester indifférent à certaines décisions qui pourraient influer sur le risque infectieux : peut-on sans risque de légionellose baisser la température de l’eau chaude sanitaire ? Peut-on modifier les paramètres de traitement d’air au bloc opératoire sans voir se déclarer des infections du site opératoire ? Peut-on abaisser la température de lavage à la blanchisserie hospitalière sans risquer des transmissions par le linge ? Irait-on jusqu’à remettre en question des paramètres de stérilisation fixés depuis des décennies dans le contexte d’émergence de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ?
Aurons-nous toujours le choix de donner priorité à la sécurité si la pénurie énergétique conduit à des cas de force majeure ? Si l’hygiéniste doit rester très vigilant sur les propositions les plus imaginatives qui ne manqueront pas d’émerger dans ce contexte d’appel à idées sobres, son rôle en situation de crise est de participer aux solutions plutôt qu’au problème.
Il faut donc préserver la consigne de température de l’eau chaude sanitaire « quoi qu’il en coûte », mais la communauté hospitalière peut se poser la question des indications pertinentes de l’usage d’eau chaude. Quels sont les points d’usage qui peuvent être alimentés seulement en eau froide, au prix d’un moindre confort, afin de diminuer les volumes consommés de façon significative ? Peut-on éliminer des points de puisage ? Remplacer des installations sanitaires consommatrices ? Par exemple, des logements peuvent être équipés de baignoires (300 l en moyenne) alors qu’une douche (50 l) serait suffisante. L’installation de compteurs par secteur a montré son efficacité, comme on a vu baisser les infections chaque fois qu’un système de surveillance était initié.
Le traitement d’air au bloc opératoire a été conçu, construit et mis en œuvre dans le but de prévenir les infections dans ces circonstances où le risque est maximal. Il s’agit de rappeler, comme au début de la crise Covid, que l’on ne modifie pas sans risque les paramètres de fonctionnement d’une centrale de traitement d’air. Cependant, d’importantes économies peuvent être dégagées par l’optimisation de l’occupation des salles et par une diminution voire une suppression des flux pendant les périodes de mise au repos (nuit, week-end) sous réserve de maintenir les salles fermées. Ce n’est pas exactement ce que prévoit la norme NF S90-351 d’avril 2013, qui demande le maintien en surpression sans exigence sur la régulation des températures. Pourtant, une salle aux portes fermées et étanches ne craint pas l’empoussièrement, et si la température n’y augmente pas de façon importante pendant la mise au repos, ce qui pourrait altérer des matériels présents, le risque infectieux ne paraît pas accru après reprise protocolisée de l’installation.
En blanchisserie hospitalière, la température de lavage supérieure à 60° est un facteur de sécurité microbiologique reconnu et très souvent appliqué en France. L’expérience a montré que cette valeur était rétablie le plus souvent avec succès après des résultats décevants du lavage à basse température (40° en principe). Néanmoins, 80% des blanchisseries utilisent le gaz naturel pour produire leur énergie qui doit permettre de chauffer plusieurs centaines de mètres cubes d’eau par jour, puis de sécher à la vapeur plusieurs dizaines de tonnes de linge, et de rafraîchir l’air de l’usine sous peine d’imposer à des dizaines d’agents de travailler par une température dépassant les 40°. Économiser l’énergie est le sport national des blanchisseurs depuis l’industrialisation de l’activité, et la progression dans ce sport est aujourd’hui limitée par l’importance des investissements nécessaires alors que l’argent manque. Pourtant, l’explosion du prix du gaz (!) conduit les responsables à réduire la température de lavage comme acte de survie économique, ce qui conduit à augmenter les produits lessiviels pour obtenir le résultat souhaité. Notre vigilance doit alors porter sur la réalisation et l’évaluation scrupuleuses des contrôles microbiologiques pour accompagner cette évolution inévitable tout en préservant la sécurité du résultat.
Le partage d’expérience entre pairs est une antique pratique sacrée chez les hygiénistes, et nous en aurons plus que jamais besoin en ces jours assombris par les économies d’éclairage. Soyons sobres, c’est la meilleure façon de rester vigilants !
Note :
1- Hygiènes 2022;(30)4:243-244.