La grippe est une affection virale qui touche tous les ans environ deux millions de personnes en France [1]. Des épidémies saisonnières surviennent chaque année et sont à l’origine de décès, en particulier dans les groupes à risques : jeunes enfants, personnes âgées et personnes immunodéprimées. Lors de l’épidémie de 2017-2018, on a observé près de 3 000 cas graves signalés par les services de réanimation, soit deux fois plus que les deux années précédentes, ainsi que 546 décès [2].
Le virus de la grippe se transmet par voie respiratoire, par l’intermédiaire de gouttelettes émises par un sujet infecté. Le sujet infecté émet des gouttelettes contaminées pendant les 48 heures qui précèdent l’apparition de symptômes. Cette phase asymptomatique mais contagieuse est à l’origine d’une transmission importante, notamment en milieu de soins.
Les grippes nosocomiales sont à l’origine d’une augmentation de la morbidité et de la mortalité des patients hospitalisés [3]. Malgré cette réalité annuelle, les professionnels se décident difficilement à se faire vacciner, avec des taux moyens de vaccination de 25 % [4]. Les raisons de cette démobilisation sont multiples : vaccination à répéter tous les ans, 40 % des grippes peuvent être asymptomatiques [5], et idées reçues circulant dans la presse et les réseaux sociaux sur les dangers présumés de la vaccination. Dans notre centre hospitalier régional, nous avions à peine 10 % de professionnels vaccinés.
Afin d’augmenter le taux de professionnels vaccinés et de prévenir la transmission des grippes nosocomiales, nous avons souhaité mettre en place un programme d’actions pluridisciplinaires et redéfinir notre stratégie d’accessibilité de la vaccination.
Méthode
Un groupe pluridisciplinaire s’est réuni, dès le mois d’août 2017, composé de l’hygiéniste de l’établissement, de l’infectiologue et d’un médecin de santé au travail, pour définir le programme d’actions. Celles retenues sont présentées en Tableau I. Les idées principales étaient de renforcer la communication, de faciliter l’accès à la vaccination et de sensibiliser les professionnels autour des idées reçues. Afin de faciliter le déploiement des actions, nous avons demandé aux directions administrative, médicale et paramédicale de signer une charte d’engagement [6], qui a été diffusée.
Communication
Pour la communication affichée, nous avons informé par courriel de la création et de la mise à disposition d’un kit « communication grippe ». Ce kit était à commander par les cadres des services directement au service de reprographie. Dans ce kit nous avons retenu trois affiches : affiche grand public, affiche « tous concernés », affiche des plages horaires de vaccination proposées par le service de santé au travail, et vingt flyers intitulés « Pourquoi choisir de se faire vacciner ? » pour les soignants [7].
Pour compléter notre communication affichée, nous avons créé des badges, avec deux modèles au choix (Figure 1), qui ont été remis aux professionnels qui se sont fait vacciner. Nous souhaitions que les agents vaccinés puissent valoriser cette action individuelle de façon visible sur leur tenue de travail, afin de pouvoir engager la réflexion des autres professionnels, et interpeller patients et visiteurs.
Améliorer l’accès à la vaccination
Il nous est paru important de « rapprocher » la vaccination des professionnels, et donc de pouvoir proposer une vaccination directement dans les services. Initialement, la vaccination était proposée tous les jours sur des plages horaires définies, sans rendez-vous, au service de santé au travail. Nous avons choisi de maintenir cette organisation et d’en proposer une nouvelle. Pour permettre une organisation maîtrisée dans les services, nous avons décidé mette en place un kit « vaccination » et de former le correspondant paramédical en hygiène (CPMH), présent et identifié dans tous les services. Il a été formé à l’utilisation du kit vaccination et à la promotion de la vaccination dans son service. L’objectif était de s’appuyer sur un professionnel, qui soit un relais dans les services pour vacciner par délégation.
Le kit vaccination a été créé par le service de santé au travail en collaboration avec la pharmacie. Ce kit était composé de vaccins, de questionnaires prévaccinaux avec leurs enveloppes préaffranchies, d’une fiche Vidal® du vaccin et de badges. Les CPMH avaient ainsi à leur disposition toutes les informations nécessaires pour vacciner leurs collègues sans danger et en assurer la traçabilité. Après chaque vaccination, le questionnaire devait être mis dans une enveloppe préaffranchie présente dans le kit vaccination, à destination du service de santé au travail, qui saisissait chaque vaccination dans le dossier de l’agent concerné. Une astreinte médicale avec trois numéros de téléphone était proposée aux CPMH en cas de besoin ou de question.
Afin de maîtriser la distribution des kits vaccination aux services adhérant à cette démarche et d’éviter des pertes de vaccins, le premier kit de 10 vaccins était remis au CPMH sur déplacement à la pharmacie et contre signature. Après épuisement du premier kit, les suivants pouvaient être demandés lors des dotations de service.
Parallèlement à la mise en place de cette organisation, nous avons formé les CPMH à combattre les idées reçues et à faire la promotion de la vaccination au sein de leur service.
Sensibilisation des professionnels de santé
Soutenus par la direction des soins, les CPMH ont été invités à participer à une réunion au cours de laquelle toutes les actions « vaccination » menées dans l’établissement leur ont été présentées : les affiches de communication, le kit vaccination et leur rôle de CPMH dans son utilisation dans les services; et un débat autour des principales idées reçues sur la vaccination a eu lieu. Nous avions présélectionné 8 idées reçues considérées comme les plus fréquentes, et un livret contenant 25 idées reçues leur a été remis (Tableau II) [8].
Pour sensibiliser les professionnels médicaux, nous avons présenté, en commission médicale d’établissement, les actions menées ainsi que les 8 idées reçues. Un flyer avec ces dernières et l’argumentaire pour les déconstruire leur a été remis à cette occasion.
La prévention de la grippe dans les établissements de soins ne se limite pas à la seule vaccination ; c’est la raison pour laquelle nous avons associé à nos interventions un rappel sur les mesures de prévention de la transmission : port de masque, hygiène des mains et mise en place rapide des précautions complémentaires gouttelettes[9].
Lors de la semaine de la sécurité des patients 2017, nous avons retenu le thème de la grippe comme prioritaire, avec mise à disposition de deux ordinateurs et du serious game du centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (CPias) Nouvelle-Aquitaine [10]. Un débriefing a été réalisé après le jeu et une vaccination était proposée. Une affiche spécifique a été créée pour cette occasion (Annexe I).
Résultats
Nous avons formé à cette stratégie 56 des 90 CPMH et 38 des 232 médecins. Au total, 650 vaccinations ont été réalisées tous professionnels confondus, contre 317 en 2016. Le nombre de vaccinations réalisées à la santé au travail est resté le même que les années précédentes. Les nouvelles vaccinations ont été celles réalisées dans les services.
À l’issue de la campagne vaccinale, 21,7 % des professionnels de santé étaient vaccinés, contre 10,6 % en 2016. On note un doublement de la vaccination pour toutes les catégories paramédicales, avec une augmentation plus importante pour les aides-soignants, quatre fois plus vaccinés. La vaccination des médecins a augmenté, passant de 32 % à 45 %, et celle des sages-femmes aussi, passant de 22 % à 60 % (Tableau III).
Discussion
Dans un contexte local de très faible couverture vaccinale, nous avons souhaité mobiliser des professionnels de différentes spécialités – santé travail, pharmacie, infectiologie et hygiène hospitalière –, afin de permettre une action plus complète et ayant plus d’impact auprès des soignants que lorsqu’elle n’était portée que par le service de santé au travail.
Cette nouvelle formule de campagne de vaccination s’est avérée plutôt encourageante dans ses résultats : le nombre de professionnels vaccinés a doublé. Cependant, nos chiffres sont finalement équivalents à ceux habituellement observés chez les professionnels de santé en France, soit en moyenne 25 % de vaccinés [3,11]. Nous restons très loin de la couverture vaccinale optimale attendue. Même si, malheureusement, nous n’avons eu pour cette première année qu’un résultat similaire aux autres établissements de santé, cela a quand même permis de resensibiliser à la problématique des grippes nosocomiales, avec une augmentation des déclarations « spontanées » des cas de grippe par les praticiens et les infirmiers. Ces signalements permettent d’optimiser la prise en charge des patients, notamment celle des cas contact, et d’éviter des épidémies grâce à l’intervention de l’équipe opérationnelle d’hygiène dans le service dès qu’un cas est déclaré.
Parmi les points forts de notre programme d’actions, nous retiendrons : la mise à disposition de badges, très appréciée des équipes soignantes, et les kits vaccination qui dans certains services ont réellement permis de faciliter la vaccination. En effet, les vaccinations réalisées dans les services se sont ajoutées à celles réalisées dans le service de santé au travail. À noter que les CPMH étaient pour la plupart satisfaits de la formation que nous leur avons proposée, ainsi que de l’argumentaire scientifique sur les idées reçues. Cependant, certains nous avaient prévenus lors de cette réunion qu’ils ne pourraient pas intervenir auprès de leurs collègues, ou qu’ils ne souhaitaient pas le faire ; et certains CPMH ont rapporté qu’ils avaient été en difficulté pour faire de la sensibilisation dans leur service, par manque de temps ou d’espace le permettant.
La délégation de la vaccination aux CPMH a été validée par la direction des soins et le service de santé au travail, sous couvert d’une astreinte médicale permanente. C’est ce positionnement de la direction et la communication de cette décision qui ont permis de faciliter le déploiement de ces vaccinations délocalisées.
On constate que la réussite importante de certains services (jusqu’à 80 % du personnel vacciné) est intimement liée à l’investissement de l’encadrement et des chefs de services, en plus de celui du CPMH.
La pharmacie a estimé qu’une centaine de vaccins n’ont pas été utilisés du fait de cette organisation. Ils sont principalement restés dans les réfrigérateurs des services peu impliqués. Il nous paraît important de travailler à diminuer cette perte. Mais pour une première année, cela nous a paru acceptable au regard du bénéfice engendré par l’augmentation des couvertures vaccinales, afin de mieux maîtriser la transmission croisée de la grippe.
Les professionnels ont apprécié l’argumentaire scientifique proposé concernant les idées reçues. Pour une part importante d’entre eux, cela a levé facilement des freins « légers » à la vaccination, en apportant des réponses claires et en faisant écho à leurs connaissances professionnelles.
Perspectives
L’hiver prochain, nous envisageons de maintenir les actions déjà menées et d’en associer de nouvelles, notamment d’impliquer plus fortement les professions médicales dans la promotion de la vaccination au sein de leur service, de systématiser le port du masque pour les professionnels non vaccinés en période de pic épidémique – avec les freins que cela comporte [12] –, et de proposer aux services moins mobilisés une équipe mobile de vaccination. Cette équipe aura pour mission d’améliorer la couverture vaccinale, en rediscutant des freins à la vaccination avec les professionnels et en soutien aux CPMH. Cela permettra aussi d’éviter la perte de vaccins non utilisés dans les services déjà identifiés cette année.
Aujourd’hui, les professionnels n’associent plus la vaccination à un acte de prévention. Nous devons leur rappeler qu’elle permet de « prendre soin ». Pour cela, nos actions doivent être novatrices, multiples, répétées et coordonnées à tous les niveaux institutionnels.