Introduction
En France, le signalement externe des infections nosocomiales (SIN) (ou infections associées aux soins [IAS] [1] survenant en établissements de santé) est un dispositif réglementaire d’alerte mis en place par décret en 2001 et piloté, au niveau national, par Santé publique France. Orienté vers l’action, il a pour objectif de détecter les épisodes d’infection nosocomiale rare ou grave justifiant d’un soutien aux établissements de santé par la mise en place de mesures de contrôle à l’échelon local, régional ou national. Il n’existe pas de liste limitative d’infections devant motiver un signalement. La nécessité de signaler est laissée à l’appréciation de l’équipe opérationnelle d’hygiène (EOH) et du responsable signalement de l’établissement de santé, mais orientée selon certains critères de rareté ou de gravité définis réglementairement par le décret n° 2001-671 modifié le 3 février 2017 par le décret n° 2017-129. Le SIN est émis par un responsable signalement désigné par l’établissement de santé puis est transmis au moyen d’une fiche standardisée à l’agence régionale de santé et aux centres d’appui pour la prévention des IAS (CPias). Depuis 2012, ce circuit est dématérialisé via l’application web e-SIN®1, dont l’accès est réservé aux acteurs du dispositif. Le CPias accompagne l’EOH pour l’investigation, l’évaluation du risque et l’aide à la maîtrise des épisodes infectieux signalés. Streptococcus pyogenes, ou streptocoque du groupe A (SGA), est un micro-organisme de la flore commensale ; c’est un agent pathogène transitoire de la peau et des muqueuses à fort potentiel inflammatoire qui se dissémine par voie lymphatique. Il peut être responsable d’infections habituellement bénignes (angines érythémato-pultacées, impétigo, érysipèle) mais également être à l’origine d’infections graves et invasives (syndrome de choc toxique, endocardite) pouvant conduire au décès. La transmission interhumaine se fait par les mains et la projection de gouttelettes. Streptococcus pyogenes est l’agent des fièvres puerpérales. Semmelweis a démontré l’intérêt des pratiques d’hygiène des mains pour lutter contre ces infections nosocomiales, devenant ainsi le promoteur de l’hygiène hospitalière. Les infections à SGA nosocomiales existent, elles sont rares, potentiellement graves ou épidémiques. Elles répondent donc aux principaux critères de signalement externe. L’objectif de cette étude est de décrire l’épidémiologie des infections à Streptococcus pyogenes à partir des signalements d’IAS effectués via l’application e-SIN® depuis 2012.
Matériel et méthode
À partir de la base nationale des SIN, un recensement des signalements reçus entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2020 avec le code pathogène correspondant à Streptococcus pyogenes a été réalisé. Les SIN relevant d’une IAS ont été retenus selon la définition du ministère de la Santé de 2017 : « Une infection est dite associée aux soins si elle survient au cours ou au décours d’une prise en charge (diagnostique, thérapeutique, palliative, préventive, éducative, opératoire) d’un patient, et si elle n’était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge. » Les signalements d’IAS reçus ont été analysés selon les caractéristiques des services et des sites infectieux ainsi qu’en fonction du nombre de cas par épisode. Un épisode peut concerner un ou plusieurs cas ; tous les épisodes avec au moins deux cas sont considérés comme des cas groupés. Une exploration plus fine des fiches a été réalisée à partir des données textuelles présentes dans les signalements et des données de suivi apportées par les EOH et les CPias. Le logiciel Excel® 20162 a été utilisé pour l’analyse.
Résultats
Caractéristiques
Sur la période d’étude, 422 fiches de signalement d’infection à Streptococcus pyogenes ont été enregistrées ; 10 fiches ont été exclues, le caractère de l’infection n’étant pas lié aux soins. Cette étude porte sur 412 fiches d’IAS à Streptococcus pyogenes correspondant à un total de 689 cas, soit de 3% à 5% des SIN hors bactéries hautement résistantes émergentes reçus chaque année. Le nombre de signalements reste constant au cours du temps (entre 37 et 62 par an), excepté en 2020 où seuls 18 SIN de SGA ont été reçus (Figure 1). Le nombre de cas déclarés chaque année est en moyenne de 77 [24-119]. Cependant, en 2015, 2017 et 2018, un nombre plus élevé est observé, lié à plusieurs épisodes de cas groupés d’ampleur importante, dont un de 30 cas. La plupart des cas d’infection à SGA déclarés sont survenus en gynécologie-obstétrique et en soins post-opératoires. Près d’1 fiche sur 4 (n=100 ; 24%) signalait des épisodes de cas groupés. La part des cas groupés représentait plus de la moitié de la totalité des cas (n=375 ; 54%) avec une moyenne de 4 cas par épisode [2-30]. Ces épisodes de cas groupés sont survenus majoritairement en gynécologie-obstétrique (n=78 SIN) mais aussi en chirurgie (n=8), en médecine (n=8) et en soins de suite et de réadaptation (SSR) (n=6) ; 3 signalements sur 4 en SSR sont des cas groupés (Tableau I). Le caractère nosocomial de l’événement est mentionné dans 395 fiches. Dans près de 22% de ces SIN, le caractère nosocomial de l’infection est certain mais sans hypothèse de contamination identifiée. Le caractère nosocomial est probable ou possible dans 78% des SIN renseignés restants. Parmi les 412 SIN, 29 décès ont été déclarés, ce qui représente 4,3% des cas, tous imputables à l’infection. Ce nombre est constant au cours des années ; la moyenne est de 3 décès par an. Les décès sont survenus dans les services de gynécologie-obstétrique (n=10), de médecine (n=9), de chirurgie (n=9) et en SSR (n=1). La majorité d’entre eux sont associés à une bactériémie (n=11). Les décès sont dus à des infections du site opératoire (ISO) (n=9), des endométrites (n=5), des infections cutanées et une fasciite nécrosante (n=4).
Les services impliqués
Les services de gynécologie-obstétrique sont au premier rang des signalements (n=308 SIN) et du nombre d’infections (n=444 cas ; 64%). La plupart des cas (n=439) correspondent à des infections post-partum ; 5 cas sont déclarés suite à des gestes exclusivement gynécologiques : pose de dispositif intra-utérin (n=1), interruption volontaire de grossesse (n=3), hystéroscopie (n=1). Les cas groupés [2 à 5] représentent 1/4 des SIN de gynécologie-obstétrique (n=78). La part d’infections liées à la sphère gynécologique (endométrite et autres) est de 77% (n=344 cas) : 61 cas de bactériémie, puis viennent les infections du site opératoire (ISO) (n=30) et les infections cutanées (n=8) correspondant à la prise en charge de cicatrices ainsi que 3 cas de portage chez du personnel (Tableau II ; Figure 2). Les services de chirurgie ont déclaré près de 15% des cas d’infection (n=100 cas). Plus d’1/3 de ces cas sont survenus en chirurgie ORL3 (n=36), spécialité pour laquelle on note un important épisode de cas groupés d’au moins 30 cas : tous les patients avaient été opérés d’un cancer ORL et étaient porteurs d’une trachéotomie temporaire ; les soins post-opératoires ont été mis en cause dans la transmission croisée. La chirurgie orthopédique est le second service le plus représenté (n=20 cas), avec 3 épisodes de cas groupés (de 2 à 4 cas). Les autres spécialités chirurgicales, chirurgie générale, digestive, plastique et urologique, ont déclaré chacune 1 épisode de cas groupés [2-3]. La neurochirurgie et la spécialité cardio-thoracique et vasculaire sont respectivement à l’origine de 5 et 4 SIN de cas isolé. En chirurgie, les infections les plus fréquentes sont celles du site opératoire (n=66) mais il est décrit de nombreux cas d’infection de la sphère ORL chez des patients atteints de cancer (n=29) et 5 cas de dermohypodermite survenus suite à des soins de réfection de pansement en chirurgie orthopédique et plastique (Tableau II ; Figure 2). Parmi les 9 décès liés à une ISO, 4 ont eu lieu dans les suites d’une chirurgie plastique, 2 en chirurgie ORL, 2 en chirurgie digestive et 1 en neurochirurgie. Les infections en service de médecine représentent plus de 16% des cas (n=81), dont une bonne partie est survenue en service d’oncologie (n=38) et de gériatrie (n=10). Ces deux spécialités ont déclaré des épisodes avec un grand nombre de cas groupés. Les services d’hépato-gastrologie, de néphrologie et des urgences ont chacun déclaré un épisode de 2 cas. Des cas isolés d’infection à Streptococcus pyogenes ont été signalés dans d’autres services : la dermatologie, la pédiatrie (soins intensifs et néonatologie), la réanimation, les maladies infectieuses, la psychiatrie et la médecine générale. En service de médecine, 3 types d’infections représentent la majorité des localisations : les bactériémies (n=29), les infections de la sphère ORL (n=25) et les infections cutanées (n=22). D’autres infections sont en fait post-opératoires : 1 cas de choc septique avec péritonite post-partum et 4 cas d’ISO (un cas de médiastinite post-chirurgie cardiaque et 3 cas d’infection post-chirurgie de hernie, post-thyroïdectomie, post-exérèse d’une adénopathie) pris en charge en service de réanimation médicale. On relève 3 épidémies en médecine oncologique : en 2012, 21 cas de colonisation et d’infection ORL ; en 2013, 8 cas de bactériémie ; et en 2014, 7 cas dont 4 infections ORL et 3 bactériémies (Tableau II ; Figure 2) ; 9 décès liés ont été déclarés. Les services de médecine concernés sont la gériatrie, la dermatologie, la cardiologie, l’hépato-gastrologie, l’oncologie, les urgences et la réanimation. Les services de SSR n’ont signalé que 8 épisodes dont 6 dans des services distincts, mais rapportent un nombre élevé de cas (n=64), ce qui représente 9% des cas déclarés pour seulement 2% des SIN. Ceci s’explique par des épisodes importants de cas groupés : 19 cas en 2015, 10 cas en 2017, 24 cas en 2018, 4 cas en 2020. La localisation infectieuse majoritaire est la sphère ORL (n=34). L’épidémie de 24 cas déclarés a eu lieu dans un service de SSR accueillant des patients atteints de cancer ORL sous radiothérapie ou chimiothérapie avec des plaies buccales et des mucites. Le second site le plus touché est la peau, avec un épisode de 19 cas dans un SSR pédiatrique à partir d’un cas d’impétigo. Les bactériémies représentent 10 cas répartis en 3 épisodes de cas groupés (de 2 à 4 cas) et 1 épisode de cas isolé ; elles sont consécutives à des réfections de pansement ou des soins d’ulcère ou d’escarre. Il est à noter la prise en charge d’1 cas d’ISO en SSR (post-chirurgie de Bricker) (Tableau II ; Figure 2).
Les causes d’infection
Des investigations sur les causes de l’infection ont le plus souvent été menées par l’EOH, notamment lors de cas groupés. L’hypothèse la plus fréquente est celle d’un portage endogène antérieur aux soins pour les cas isolés, ou pour le cas index s’il y a plusieurs cas. L’infection est alors due à une translocation du germe au cours du soin. Parmi l’ensemble des fiches analysées, 72,6% (n=303 SIN) des déclarants affirment avoir pris des mesures et mis en place des actions correctrices, notamment lors d’épisodes de cas groupés ; ce taux est stable au cours du temps. Ainsi, le recensement et la recherche de portage de Streptococcus pyogenes par dépistage chez les soignants ou l’entourage sont signalés dans 60% des SIN, majoritairement lors d’épisodes de cas groupés et en service de gynécologie-obstétrique, conformément aux recommandations 2006 du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) [2]. Ces investigations ont permis de retrouver 52 cas présentant un tableau clinique d’infection à Streptococcus pyogenes répartis entre l’entourage du patient (n=38), les professionnels (n=8) et le patient lui-même (n=6), ainsi que 69 cas de portage documenté : 35 cas chez le personnel soignant, 26 dans l’entourage du patient et 8 cas de portage endogène chez le patient. Sur 178 fiches remontant une information sur le port du masque, plus de 67% (n=120) déclarent une bonne observance du port de cet équipement de protection individuelle, tous en service de gynécologie-obstétrique. Plus de la moitié des services déclarent (avant 2020) un non-port du masque systématique lors des soins réalisés, hors gynécologie-obstétrique. Les commentaires des EOH rapportent une hygiène des mains insuffisante. Les mesures correctrices et de contrôle mises en place portent essentiellement sur le rappel des règles d’hygiène de base (précautions standard) ainsi que sur la sensibilisation du personnel au port systématique du masque chirurgical pour tous les soins sur plaie opératoire et après la rupture de la poche des eaux lors de l’accouchement. La revue des pratiques de soin et d’entretien de l’environnement est réalisée dans 21% des SIN ; la surveillance de survenue de nouveaux cas pendant les six mois suivants n’est notée que dans 6% des déclarations. De plus, 62% (n=259) des déclarants indiquent avoir envoyé les souches au Centre national de référence (CNR), cette proportion restant stable au cours des années. Parmi les 100 signalements de cas groupés, 75 (dont 63 en gynécologie-obstétrique) ont donné lieu à l’envoi des souches au CNR ; pour 31% de ces épisodes, les souches étaient identiques, confirmant l’existence d’une transmission croisée.
Discussion
Les infections à Streptococcus pyogenes sont, le plus souvent, des infections bégnines qui surviennent en dehors du contexte de soin. Au sein de la population générale, le portage pharyngé était estimé, en 2000, à 5% chez les adultes et à plus de 20% chez les enfants en âge scolaire [2]. Les autres sources récentes de données concernant l’épidémiologie des SGA en France sont le CNR et le réseau « Epibac ». Dans son rapport de 2017, le CNR observe une augmentation du nombre d’isolats reçus depuis 2011 [3], ainsi qu’une augmentation des formes invasives. Cette augmentation est également observée par Epibac : incidence de 2,5 cas pour 100 000 habitants en 2013 et de 3,3 cas pour 100 000 habitants en 2018 [4]. Chez les adultes, parmi les infections invasives, les infections de la peau et des tissus mous étaient les plus fréquentes (38,4% des cas), suivies des bactériémies sans foyer infectieux (22,6%) et des infections gynéco-obstétricales (12,1%). Ces données confirment que les IAS ne représentent qu’une faible part des infections à SGA, qui reste un pathogène essentiellement communautaire. En établissement de santé, ces infections représentent une part minime de l’ensemble des infections signalées chaque année mais peuvent être graves lorsqu’il s’agit d’infections invasives avec un risque de décès. Les causes d’une infection sont souvent multifactorielles et il peut être complexe d’établir le lien direct avec les soins, en particulier lorsqu’il s’agit d’un germe commensal qui peut être présent sur la peau ou les muqueuses avant l’accouchement ou l’intervention. Lorsqu’il s’agit de cas groupés, le caractère nosocomial est plus probable. Les endométrites et autres infections gynécologiques sont au premier plan et les ISO au second. Cependant, depuis 2015 ont émergé des signalements de cas groupés d’infection à SGA dans des services de soins d’autres spécialités. À ce jour, pour la prévention du risque de transmission de Streptococcus pyogenes, le HCSP a diffusé des recommandations destinées aux services de chirurgie hors obstétrique (bloc opératoire, hospitalisation et consultation) et de maternité (salle de travail et hospitalisation) [5]. Les deux mesures prioritaires sont l’hygiène des mains et le port du masque lors des actes de chirurgie et après la rupture des membranes à l’accouchement [6]. La recommandation du port systématique du masque et le renforcement des gestes barrières durant la crise Covid-19 a probablement eu un impact sur la diminution du nombre de SIN en 2020. Il est également recommandé de rechercher la source et les modalités de transmission du Streptococcus pyogenes. La recherche d’autres cas par dépistage et une antibiothérapie d’éradication lors d’un portage chez le personnel soignant permettent de prévenir la survenue de cas additionnels. Ces recommandations permettent aux spécialités ciblées de référencer les axes d’amélioration à mettre en œuvre. Ce référentiel n’existe pas pour les autres services, où le port du masque n’est pas systématique lors des soins à proximité des muqueuses, des plaies et des cicatrices. Les modalités de prise en charge dans des secteurs accueillant les personnes fragiles sont peu ou pas abordées dans les textes en vigueur. Or, depuis 2015, sont apparus des épisodes épidémiques dans des services de médecine, en particulier oncologique et de SSR. La part relative des cas groupés et de décès liés à l’infection est importante dans ces spécialités. Dans ces services, la prise en compte, dans les pratiques de soins, du risque infectieux lié à la contamination par le SGA permettrait une meilleure prévention de sa transmission manuportée et gouttelettes [7,8]. La principale limite de notre étude est le risque de sous-déclaration des événements. Les commentaires notés en texte libre sont parfois difficilement utilisables pour une analyse globale des signalements, ce qui peut induire des données manquantes pour certaines variables telles que les éléments d’investigation et les détails des mesures correctrices. Néanmoins, les signalements d’IAS, même non exhaustifs, permettent de contribuer à documenter l’épidémiologie des infections à Streptococcus pyogenes associées aux soins et d’apporter des pistes pour la gestion des épisodes et, plus globalement, pour l’élaboration de recommandations.
Conclusion
À la lumière des résultats de l’étude des signalements émis depuis 2012 et gérés sur le terrain en lien avec les centres d’appui pour la prévention des infections associées aux soins, il semble opportun d’actualiser les recommandations en vigueur en élargissant leur champ aux soins cutanés (plaies, muqueuses et cicatrices), notamment dans les services qui hébergent des patients fragiles. Ces données épidémiologiques ont fait l’objet d’une note vers nos tutelles à la fin de l’année 2019.
Notes :
1- http://www.e-SIN.fr (Santé publique France, Saint-Maurice, France).
2- Microsoft Corporation, Redmond, États-Unis.
3- Oto-rhino-laryngologique.