Introduction
La rougeole est une maladie éruptive systémique avec plusieurs caractéristiques pathogènes uniques et des complications spécifiques. Le virus de la rougeole, measles virus (MeV) en anglais, est un virus à ARN1 lymphotrope et épithéliotrope, très contagieux qui touche directement le système immunitaire de l’individu infecté. La rougeole reste l’un des grands fléaux infectieux dans de nombreuses parties du monde et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait à 207 500 le nombre de décès survenus dans le monde en 2019 malgré la disponibilité d’un vaccin à virus vivant atténué sûr et efficace. Après avoir rappelé les caractéristiques du virus de la rougeole et de cette infection, nous ferons le point sur la situation actuelle en milieu communautaire et hospitalier en France, et sur les enjeux de la protection vaccinale vis-à-vis de ce virus.
Le virus et sa réplication dans l’organisme
Le virus de la rougeole appartient au genre morbillivirus, au sein de la famille des Paramyxoviridae dans l’ordre des Mononegavirales. Après la réplication, ce virus enveloppé produit des particules virales pléomorphes d’une taille moyenne allant de 150 à 300 nm et jusqu’à 900 nm [1]. Son génome est un ARN simple brin de polarité négative d’environ 16 000 nucléotides qui code pour six protéines de structure, la protéine de nucléocapside (N), la phosphoprotéine (P), la protéine de matrice (M), la protéine de fusion (F), l’hémagglutinine (H) et la polymérase (L). Deux protéines non structurales, V et C, sont produites à partir du cadre de lecture du gène P, et interviennent principalement pour bloquer la réponse immunitaire innée [2,3]. Ce virus utilise de façon séquentielle deux récepteurs infectant d’abord les cellules présentant la molécule Slam2 (ou CD150) puis les cellules qui expriment la nectine-4 [4]. Les souches vaccinales, atténuées en laboratoire, utilisent en plus la molécule CD46 exprimée de manière ubiquitaire comme récepteur d’entrée supplémentaire [5].
L’hétérogénéité des génotypes du virus
Les isolats du virus de la rougeole de type sauvage sont génétiquement hétérogènes, avec 24 génotypes décrits à ce jour (A, B1-B3, C1-C2, D1-D11, E, F, G1-G3 et H1-H2)[6]. L’OMS a créé en 2000 le Réseau mondial des laboratoires de la rougeole et de la rubéole qui comprend actuellement 704 laboratoires dans 191 pays, permettant de recenser les génotypes circulants. Seuls 8 de ces génotypes ont été détectés dans le monde depuis 2010 (B3, D3, D4, D6, D8, D9, G3 et H1), tandis que 5 génotypes (B1, D1, E, F et G1) sont considérés comme inactifs car ils n’ont pas été détectés depuis plus de 25 ans. En 2019, 1 920 des 8 728 (22%) séquences virales communiquées à l’OMS correspondaient au génotype B3, 6 (0,1%) au génotype D4, 6 774 (78%) au génotype D8, et 28 (0,3%) à la séquence H1 [7,8]. Pour l’identification du génotypage de la rougeole, l’OMS requiert une séquence minimale des 450 nucléotides, région hautement variable du gène N appelée « N-450 », ou de toute la région codant pour la protéine du gène H. Certaines différences antigéniques ont été identifiées entre des virus appartenant à différents génotypes [9], et des génotypes spécifiques ont été liés à certaines épidémies ou à une transmission endémique [10]. Néanmoins, la signification clinique des différences moléculaires entre les génotypes n’est pas bien comprise. Malgré la diversité génotypique du virus de la rougeole, un seul sérotype a été décrit. Cela implique un degré élevé de similitude des antigènes de surface entre les différentes souches. Des expériences de séroneutralisation in vitro ont montré qu’un large éventail de génotypes de la rougeole peut être neutralisé par des échantillons de sérum provenant de personnes vaccinées ou ayant subi une infection naturelle, même si les titres neutralisants peuvent varier entre génotypes [11]. Cela explique aussi que la vaccination confère une immunité protectrice contre tous les génotypes connus, même si toutes les souches vaccinales sont de génotype A. Ainsi, les campagnes de vaccination de masse ont réduit de façon très efficace le nombre de décès liés à la rougeole et interrompu la transmission endémique dans de vastes zones géographiques [12,13]. Dans les pays où la couverture vaccinale et les taux de séroprévalence sont élevés, la majorité des cas de rougeole surviennent chez des personnes non vaccinées ou incomplètement vaccinées [14].
Les modes de transmission du virus de la rougeole
L’homme est le seul hôte naturel du MeV. Le virus est transmis par voie aérienne (gouttelettes de Flügge, aérosols) et manuportée (propagation associée aux cellules mortes via des surfaces inertes) (Tableau I). La survie dans l’air peut dépasser les 2 heures [15,16]. La rougeole est l’une des maladies virales les plus contagieuses avec un R03, compris entre 12 et 18. La transmission par aérosols a pu être démontrée par des études observationnelles rétrospectives réalisées lors d’épisodes épidémiques en cabinets de pédiatrie, en milieu scolaire ou survenus à l’occasion d’un transport aérien [17,18,19,20]. Dans ces études, la plupart des cas secondaires ne sont jamais entrés en contact direct avec les cas index. L’analyse de la circulation de l’air dans les cabinets de pédiatrie a montré que les aérosols étaient non seulement dispersés dans toute la salle d’examen mais aussi présents dans la salle d’attente. En outre, lors d’un foyer épidémique survenu dans un stade de sport, l’analyse de la circulation de l’air a permis aux auteurs de suggérer une dispersion du MeV à travers le système de ventilation [21]. Un des facteurs favorisant la transmission de la rougeole est la toux, symptôme rapporté dans la quasi-totalité des cas. Remington et al. ont estimé par modélisation mathématique la dose infectieuse de MeV produite par un cas lors de la toux, très élevée par rapport à d’autres agents infectieux, et ont décrit la possibilité de super-propagation [16]. Les super-propagateurs sont définis comme des patients capables d’infecter un nombre particulièrement élevé de contacts réceptifs par rapport à la moyenne, contribuant à la transmission efficace du MeV [22].
De la contamination à la maladie et à ses complications
Une des particularités de l’infection est le double tropisme du MeV, lymphotrope et épithéliotrope, et surtout le fait qu’il utilise les deux récepteurs cibles (CD150 et Nectine-4) de façon séquentielle. L’identification de ces récepteurs a permis de comprendre que l’infection initiale a lieu via les cellules dendritiques (DC) et les macrophages alvéolaires au niveau des voies aériennes respiratoires, voies d’entrée du virus. À ce moment-là, les cellules épithéliales ne sont pas infectées. La protéine d’attachement H interagit avec les cellules DC-Sign4 qui déclenchent une cascade de signaux permettant la localisation des lymphocytes CD150/Slam, et entre dans ces cellules via ce récepteur. La propagation du MeV vers les organes est associée aux cellules du tissu lymphoïde et aux cellules mononuclées du sang périphérique. Pendant cette étape, silencieuse, aucun virion libre n’est détecté. Dans un deuxième temps, les lymphocytes infectés interagissent avec le récepteur des cellules épithéliales, la nectine-4. Cette étape est suivie de la réplication du virus dans les cellules épithéliales et le bourgeonnement de nombreux nouveaux virions. Après la contamination suit une période d’incubation de 10 à 14 jours avant l’apparition des signes cliniques. Les premiers sont une conjonctivite, un coryza et une toux importante, accompagnés d’une fièvre très élevée et rapidement suivis de l’apparition de l’éruption maculopapuleuse, qui dure en moyenne 5 jours. Le cas est contagieux pour son entourage de 5 jours avant l’éruption à environ 5 jours après. Le lymphotropisme associé à l’infection induit une immunosuppression importante responsable de complications respiratoires, de laryngites, de bronchiolites mais aussi de pneumopathies liées à l’agression directe par le virus (pneumopathies rougeoleuses) ou à une surinfection bactérienne. Des complications neurologiques sont aussi rapportées, surtout chez les personnes immunodéprimées ou ayant contracté la rougeole très tôt dans leur vie. Dans l’histoire de la maladie, les trois formes de complications neurologiques décrites apparaissent à des moments différents et chez différents types de patients. Dans les semaines qui suivent l’infection, les malades peuvent développer une encéphalomyélite aiguë démyélinisante post-infectieuse sans infection systématique du système nerveux central (SNC). L’encéphalite à corps d’inclusion rougeoleuse (MIBE5) et la panencéphalite sclérosante subaiguë (PESS) sont associées à une infection du SNC par le MeV. La MIBE est une complication rapportée chez les personnes immunodéprimées entre 3 semaines et 6 mois après l’infection naturelle. Les patients développent des convulsions fébriles focales et des troubles de comportement qui évoluent vers un coma irréversible et le décès. Du fait de l’absence d’éruption caractéristique chez ces patients immunodéprimés, le diagnostic est souvent tardif [23,24]. Les cas de PESS surviennent chez des patients immunocompétents qui ont contracté la rougeole dans l’enfance, avec une létalité de 100%. La fréquence de cette complication est faible, de l’ordre de 1 cas pour 100 000 infections. Néanmoins, chez les enfants infectés avant l’âge de 12 mois, le risque de PESS est plus élevé, estimé dans plusieurs études récentes à au moins 1 cas pour 5 500 infections [25,26]. Il existe une période de latence qui peut aller de 1 à 20 ans après la primo-infection et avant l’apparition des premiers symptômes, non spécifiques, entraînant un retard au diagnostic [27,28].
Le paradoxe immunitaire de la rougeole
L’infection par le virus de la rougeole est caractérisée, pendant la période aiguë, par une immunosuppression profonde mais transitoire. Une sensibilité particulière de l’hôte à d’autres agents infectieux est observée pendant cette période [29]. Paradoxalement, la rougeole induit de fortes réponses immunitaires cellulaires et humorales qui assurent une protection à vie. Par ailleurs, des travaux récents montrent que l’infection par le MeV provoque une altération de la composition des populations lymphocytaires qui entraîne un effet immunosuppresseur par épuisement des lymphocytes B et T avec un impact prolongé sur la qualité de la réponse immunitaire de l’hôte [30,31]. Le sujet infecté est ainsi exposé à un risque accru, au cours des mois suivants, vis-à-vis d’autres maladies infectieuses. La vaccination permet d’éviter cette perte de mémoire immunitaire lors de l’infection naturelle et donc les complications possibles liées à d’autres agents infectieux [32].
Le diagnostic biologique de la rougeole
La présentation clinique de la rougeole, pourtant caractéristique, ne suffit pas pour établir le diagnostic dès que l’incidence diminue, rendant nécessaire la confirmation biologique systématique. Dans certaines situations cliniques comme l’infection chez la femme enceinte, le nourrisson, des patients immunodéprimés ou des adultes nécessitant une hospitalisation, le diagnostic virologique s’impose. De plus, pour la surveillance épidémiologique moléculaire, l’identification du génotype est primordiale. Le diagnostic repose sur les techniques indirectes de mise en évidence d’anticorps antirougeoleux dans le sérum ou la salive, ainsi que sur les techniques directes de détection du virus de la rougeole. La recherche d’anticorps antirougeoleux dans le prélèvement de sang est la technique de référence pour le diagnostic de la rougeole. Les anticorps antirougeoleux de type IgM6 apparaissent au moment de l’éruption et quasiment en même temps que les IgG. Les IgM peuvent être détectées jusqu’à deux mois après le début de l’éruption. Elles sont le plus souvent détectées entre le 3e et le 28e jours. Un seul prélèvement sanguin pour la détection d’IgM est généralement suffisant pour poser le diagnostic. Un prélèvement réalisé au cours des trois premiers jours de l’éruption pour lequel la recherche des IgM s’est avérée négative ne permet pas d’éliminer le diagnostic et doit être suivi d’un second prélèvement. La séroconversion IgG entre deux prélèvements sanguins permet aussi de confirmer un diagnostic de rougeole, l’intervalle de temps entre ces prélèvements devant être d’au moins 10 jours. Les anticorps antirougeoleux peuvent aussi être recherchés dans un prélèvement salivaire. Ce prélèvement est facile à réaliser, à l’aide d’un écouvillon en mousse que l’on passe le long de la gencive en stimulant la sécrétion salivaire pendant environ 1 minute. Les cinétiques des anticorps salivaires et sanguins se superposent (Figure 1). Les techniques de détection directe du virus utilisées en routine sont des techniques de biologie moléculaire. L’amplification du génome viral par RT-PCR7 permet de poser un diagnostic après l’extraction des acides nucléiques à partir d’échantillons de salive ou d’urine, d’écouvillonnage rhinopharyngé ou de tout autre prélèvement respiratoire, ainsi qu’à partir d’un échantillon de sang total prélevé pendant la période virémique. L’ARN viral peut être détecté dans la salive, les prélèvements respiratoires ou de gorge et dans les urines, de quatre jours avant le début de l’éruption jusqu’à deux semaines après. L’analyse du génome peut être réalisée à partir des échantillons révélés positifs par la RT-PCR. Le génotypage des souches est une des missions du Centre national de référence des virus de la rougeole, rubéole et oreillons vis-à-vis de l’OMS pour le suivi épidémiologique du virus.
L’épidémiologie de la rougeole en France
Avec 2 919 cas déclarés en 2018, 2 636 en 2019 et 240 en 2020, la France est un des pays d’Europe ayant rapporté le plus de cas au cours de ces dernières années [33] (Figure 2). Sur les 5 595 cas survenus au cours de ces trois années, 27% présentaient des complications avec 1 499 hospitalisations enregistrées, dont 59 en réanimation. Les complications les plus graves ont été la pneumopathie, avec 308 cas (6%), et huit cas d’encéphalite, dont trois de MIBE, tous trois décédés ; deux autres cas sont décédés avec un tableau clinique de pneumopathie avec détresse respiratoire. La majorité des cas de rougeole (87%) sont survenus chez des sujets non ou mal vaccinés. En ce qui concerne les cinq décès, tous survenus chez des sujets jeunes mais immunodéprimés, ils auraient pu être évités si le niveau d’immunité de groupe autour d’eux avait été suffisamment élevé pour les protéger indirectement, eux-mêmes ne pouvant bénéficier de la vaccination. De plus, la survenue de cas groupés nosocomiaux rappelle l’importance de la mise à jour des statuts vaccinaux du personnel soignant [33]. En 2020, dans le contexte de la pandémie de Covid-198, le virus rougeoleux a eu une circulation réduite en France, avec 240 cas dans 34 départements français. Comme la majorité des pays européens, la France a enregistré une chute rapide du nombre de cas déclarés à compter du mois d’avril 2020, suivie d’une circulation virale quasi inexistante. Cette situation, qui se poursuit en 2021, est très vraisemblablement liée aux mesures mises en place pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, avec le confinement instauré en France entre les mois de mars et de mai 2020, et le maintien des mesures (gestes barrière, port du masque, distanciation, couvre-feu…) ayant un effet sur la transmission des autres pathogènes respiratoires [34]. Un taux de couverture vaccinale de 95% avec deux doses du vaccin contre la rougeole, la rubéole et les oreillons (ROR) est nécessaire pour permettre l’élimination de la rougeole. En France, les chiffres sont actuellement en dessous de ce taux. Depuis la mise en place de la vaccination obligatoire pour les nourrissons en 2018, l’objectif d’une couverture vaccinale par le ROR de 95% à l’âge de 2 ans devrait bientôt être atteint, au moins pour la première dose. Toutefois, pour permettre d’interrompre la circulation du virus et l’élimination de la rougeole, un renforcement du rattrapage vaccinal demeure nécessaire pour augmenter la couverture vaccinale dans les tranches d’âge plus élevées, en particulier chez les adolescents et les jeunes adultes, ainsi que dans certains groupes de population peu ou mal vaccinés. Dans le cas contraire, la survenue de nouvelles vagues épidémiques d’ampleur importante reste possible en France, comme cela a été observé récemment.
Les caractéristiques épidémiologiques de la rougeole en milieu de soins
En 2018, seuls 17 pays européens recommandaient la vaccination contre la rougeole pour tous les professionnels de santé (PS) et 5 pays recommandaient le vaccin contre la rougeole pour des groupes spécifiques uniquement. Cette vaccination est obligatoire pour les PS dans quatre pays ; huit pays n’ont aucune politique nationale de vaccination contre la rougeole pour les PS [35,36]. Cette hétérogénéité dans les politiques vaccinales pourrait trouver une explication dans le fait que les PS ont été touchés de manière inégale lors des récentes épidémies en Europe [37,38,39]. En Italie, les PS représentaient jusqu’à 7% des cas notifiés [40] et, en Grèce, le taux d’incidence parmi les PS a augmenté de près de six fois par rapport à la population générale, toutes fonctions confondues [39]. Le Portugal, pays ayant atteint une couverture vaccinale stable contre la rougeole supérieure à 95% pour une et deux doses chez les moins de 18 ans, avait connu sa dernière épidémie de rougeole en 2017 à la suite d’un cas importé, après 12 années sans transmission endémique du virus. En 2018, une nouvelle épidémie s’est déclarée dans un établissement de santé à Porto, 96 cas ont été confirmés, dont 67 chez des agents de santé vaccinés, âgés de 18 à 39 ans. Dans un pays comme le Portugal, à très faible incidence de rougeole et à couverture vaccinale très élevée, la survenue de cas résiduels chez des sujets vaccinés n’est pas surprenante, leur proportion s’élevant proportionnellement à l’augmentation de la couverture vaccinale. Ce phénomène, en apparence paradoxal, est lié à l’augmentation de la proportion relative des échecs vaccinaux parmi les cas, au fur et à mesure que diminue le nombre de sujets non vaccinés [41]. Cette épidémie met néanmoins en évidence les risques et les défis posés, tels que l’infection de sujets entièrement vaccinés et la durabilité de l’immunité collective dans un établissement de soins [42]. En France, les personnels de santé font l’objet de recommandations vaccinales particulières, voire d’obligation vaccinale vis-à-vis de certaines pathologies, qui visent, d’une part, à les protéger des maladies transmissibles auxquels ils sont exposés et, d’autre part, à réduire la transmission d’agents infectieux à leurs patients. En plus du rattrapage vaccinal avec l’administration d’une deuxième dose de vaccin trivalent ROR qui concerne toute la population née depuis 1980, l’administration d’une dose de ROR est recommandée pour tous les PS nés avant 1980, non vaccinés et sans antécédents de rougeole. Cette recommandation est particulièrement importante dans les services accueillant des patients à risque de rougeole grave, comme les immunodéprimés. Pour les PS dont les antécédents (vaccination, maladie) sont inconnus, la vaccination doit être pratiquée sans contrôle préalable de la sérologie [43]. Une étude de la couverture vaccinale des PS a été menée en 2019 par Santé publique France dans les établissements de santé français. Il s’agissait d’une enquête nationale transversale, anonyme, à visée descriptive, avec sélection aléatoire par sondage de l’établissement, du service et du type de PS [44]. Pour la rougeole, la couverture vaccinale a été globalement estimée à 73%, variant en fonction de l’âge, du type de profession, du service d’affectation et de la région d’exercice. De manière générale, la couverture vaccinale a augmenté de 23 points par rapport aux estimations de 2009 [45]. En tenant compte des déclarations des personnels de santé, 37% d’entre eux ont des antécédents de rougeole. Au total, la prise en compte de la couverture vaccinale et des antécédents de rougeole permet d’estimer que 15% des PS ne sont pas protégés contre la rougeole en France. Les PS ont également été interrogés sur leur position vis-à-vis de l’obligation vaccinale contre la rougeole appliquée à leur profession : 73% se déclarent favorables à l’obligation vaccinale contre la rougeole et 11% ne se prononcent pas [44]. Des résultats similaires ont été rapportés dans une étude menée en 2018 par le service de santé au travail du centre hospitalier universitaire de Caen dans les services à risque (pédiatrie, imagerie, urgences et institut d’hématologie de Basse-Normandie). Ainsi, 50,6% des 462 professionnels nés avant 1980 et 78,7% des 555 PS nés après 1980 pourraient être considérés comme immunisés vis-à-vis de la rougeole. L’étude concluait que l’état de vaccination du PS restait insuffisant pour prévenir la survenue de cas de rougeole et que le PS était insuffisamment informé [46]. Une étude séro-épidémiologique italienne réalisée entre mai 2018 et juin 2019 et incluant 458 PS montrait aussi que 20% d’entre eux étaient susceptibles de contracter la rougeole et potentiellement à risque de transmission [47].
La conduite pratique devant un cas de rougeole
La circulaire DGS/SP/SP1/2018/205 du 28 septembre 2018 décrit en détail la conduite à tenir face à un ou plusieurs cas de rougeole [49]. Les principales mesures incluent le signalement immédiat aux autorités sanitaires de tout cas de rougeole dès le stade de la suspicion, avant même la confirmation biologique du cas (maladie à déclaration obligatoire), ainsi que l’identification rapide de la source de contamination, un éventuel contact avec un autre cas en France ou lors d’un séjour à l’étranger dans les 7 à 18 jours avant l’éruption. La recherche d’autres cas dans l’entourage du malade, l’identification des sujets contact et en particulier les contacts à risque (femmes enceintes, nourrissons de moins d’un an, sujets immunodéprimés) permettent la mise en place des mesures de prévention urgentes (vaccination ou injection d’immunoglobulines). Il doit être procédé à l’éviction du malade des collectivités pendant cinq jours à compter du début de l’éruption. Le statut vaccinal des contacts doit être vérifié (carnet de santé) et mis à jour selon le calendrier vaccinal en vigueur pour les sujets contact potentiellement réceptifs (c’est-à-dire sans antécédent certain de rougeole et n’ayant pas reçu deux doses de vaccin). La vaccination des sujets contact d’un cas de rougeole avec une dose de vaccin trivalent peut être effectuée dès l’âge de 6 mois. La vaccination réalisée dans les 72 heures suivant le contact avec le cas peut éviter la survenue de la maladie. Elle reste recommandée même si ce délai est dépassé. Les personnes à risque de forme grave et celles ne pouvant être vaccinées doivent pouvoir bénéficier d’une prophylaxie par immunoglobulines polyvalentes par voie intraveineuse dans les 6 jours suivant le contact, après avis d’un médecin expert hospitalier (infectiologue, gynécologue obstétricien, pédiatre). Il est donc indispensable de mettre les actions en œuvre aussi rapidement que possible. En situation de cas groupés, des mesures vaccinales particulières et supplémentaires sont proposées. Ces mesures reposent sur la notion qu’en situation épidémique, une proportion importante des cas sont confirmés épidémiologiquement et que la valeur prédictive positive du diagnostic clinique est plus élevée que dans une situation de cas sporadiques. En milieu de soins, en raison de la très haute contagiosité de la rougeole, tout cas peut être responsable d’une transmission nosocomiale. La rougeole peut être à l’origine de formes graves chez les personnes à haut risque de complications qui fréquentent ces établissements (nourrissons, femmes enceintes, personnes immunodéprimées), mais aussi chez des adultes non immunisés. La survenue d’une rougeole dans un établissement de soins nécessite que soient rapidement mises en œuvre des mesures visant à prévenir sa propagation, notamment par les PS. Ces mesures sont détaillées dans la fiche 7 de l’instruction du 28 septembre 2018 [48]. Au contact d’un cas, il est recommandé d’administrer une dose de vaccin trivalent à tous les PS susceptibles d’être ou d’avoir été exposés, pour lesquels il n’existe pas de preuve de rougeole antérieure et qui n’ont pas reçu une vaccination complète à deux doses, quelle que soit leur date de naissance. Ces personnels devront avoir reçu au total deux doses de vaccin trivalent (si deux doses doivent être administrées), le délai entre les deux injections étant d’un mois au minimum.
Vers l’éradication de la rougeole ?
L’espoir d’éradication de la rougeole est basé sur de nombreux critères : les humains sont les seuls hôtes naturels du MeV, l’infection naturelle confère une immunité à vie, un seul sérotype du MeV existe et le virus est génétiquement stable. La plupart des patients atteints de rougeole présentent des signes cliniques caractéristiques et facilement reconnaissables, et des tests de diagnostic performants sont disponibles pour établir un diagnostic de certitude. En outre, plusieurs décennies d’expérience ont permis de s’assurer de l’innocuité et de l’efficacité des vaccins contre la rougeole. Après administration de deux doses de vaccin dans l’enfance, la séroconversion est de 95% à 97% et l’immunité conférée protège contre tous les génotypes connus du virus de la rougeole. Au cours des deux dernières décennies, de nombreuses situations de réussite d’interruption de la transmission du virus de la rougeole ont été rapportées dans différents pays dans le monde. Des objectifs d’élimination de la rougeole ont été fixés dans les différentes régions de l’OMS, ils ont toutefois été repoussés à plusieurs reprises du fait de la reprise de la circulation du MeV. Ainsi, bien que la rougeole ait été déclarée éliminée des Amériques en 2016, cette situation n’a pu être maintenue que jusqu’en 2018 et le nombre de cas notifiés en 2019 dans le monde n’a jamais été aussi élevé depuis 1996 [7]. Ainsi, le principal défi du programme d’élimination de la rougeole consiste à inverser la tendance de la dernière décennie et à rétablir la dynamique en faveur de l’élimination. De plus, avec l’émergence du Sars-CoV-29 en 2020, les six régions de l’OMS ont signalé plusieurs interruptions de campagnes de vaccination, 101 ayant été annulées dans 56 pays au cours des seuls six premiers mois de la pandémie [49]. L’interruption de la vaccination systématique et des campagnes de vaccination de masse contre la rougeole a entraîné un accroissement plus rapide des populations susceptibles d’être contaminées, et un plus grand nombre d’entre elles seront infectées lors des prochaines épidémies. En conséquence, il existe un risque de retard des progrès y compris dans les pays qui étaient proches du seuil d’élimination. Plusieurs pays européens s’inquiètent de l’impact de la pandémie de Covid-19 sur la surveillance de la rougeole et certains suggèrent même qu’il faudrait exclure le sous-diagnostic et la sous-déclaration pendant cette période, avant de conclure que la circulation réduite de la rougeole est une conséquence de la distanciation sociale [50,51]. La pandémie de Covid-19 laisse un héritage critique, un « gap immunitaire » (lacune immunitaire), en particulier dans de nombreux pays vulnérables, mettant un nouveau frein à l’élimination donc à l’éradication possible de la rougeole.
Notes :
1- Acide ribonucléique.
2- Signaling lymphocytic activation molecule, molécule d'activation lymphocytaire de signalisation.
3- Taux de reproduction de base d’un virus : nombre moyen de personnes infectées par une personne contaminée par un agent pathogène, dans une population totalement réceptive vis-à-vis de cet agent.
4- Dendritic cell-specific intercellular adhesion molecule-3-grabbing non-integrin, molécule d'adhésion intercellulaire spécifique aux cellules dendritiques-3 non-intégrine agrippante. (trad. Google).
5- Measles inclusion body encephalitis.
6- Ig : immunoglobulines (de type M, G…).
7- Reverse transcription-polymerase chain reaction, transcriptase inverse-réaction de polymérisation en chaîne.
8- Coronavirus disease 2019, maladie à coronavirus 2019.
9- Severe acute respiratory syndrome coronavirus 2.