L’apparition du SARS-CoV-2 a entraîné une pandémie mondiale et mené à une crise sanitaire sans précédent en France. Dans ce contexte inédit, les hôpitaux ont fait face à de nombreuses ruptures d’équipements y compris de masques chirurgicaux. Dans notre centre hospitalier, la démarche du service de stérilisation a été de pallier ce manque de masques en proposant une solution alternative locale, conçue selon la recommandation conjointe de la Société française des sciences de la stérilisation (SF2S) et de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H) [1]. Le masque devait présenter des garanties d’efficacité vis-à-vis de la transmission par gouttelettes et pouvoir être fabriqué en grand nombre au sein de l’établissement. Ses caractéristiques ont été comparées à celles des masques normés, médicaux ou d’équipement de protection individuel (EPI).
Matériel et méthode
Matériel
La matière première retenue pour confectionner le masque est le matériau utilisé comme « système de barrière stérile » pour conditionner et maintenir la stérilité des plateaux opératoires [2]. Il s’agit dans notre établissement de deux feuilles, l’une en papier crêpe renforcé et l’autre en non-tissé, respectivement Sterichamps® 44 et 88 de Sterimed® commercialisé par la société Hartmann. Le papier crêpe renforcé est composé de 80% de cellulose et de 20% de fibres synthétiques (polyester) et possède une efficacité de filtration bactérienne (EFB) en double couche et avant stérilisation de 99,9% [3]. Le diamètre des pores est de 35 microns. La feuille en non-tissé est composée de 50% de cellulose et de 50% de fibres synthétiques (polyester) et possède une EFB en double couche et avant stérilisation de 93,6%. De plus elle possède une haute résistance à l’eau selon la norme NF EN 868-2 [4]. Les lanières pour fixer le masque ont été réalisées avec des rubans en non-tissé ou en tissu assemblés à l’aide d’agrafeuses de bureau.
Méthode
La forme du masque est celle recommandée par la SF2S. Elle est conforme au guide Afnor portant sur les masques barrières (Figures 1 et 2) [5]. Toutefois, afin de pouvoir répondre au besoin de productivité, il a été décidé de ne pas coudre mais d’agrafer les lanières. La couture était par ailleurs plus compliquée à mettre en œuvre avec des matériaux à base de cellulose. Afin d’uniformiser la forme du masque, des patrons ont été réalisés respectivement pour la découpe (Annexe I) et pour le pliage au niveau du nez. Les lanières ont été découpées dans les rouleaux de ruban afin de garantir une attache suffisamment solide et ajustable. La production n’étant pas réalisée en zone à atmosphère contrôlée, le bionettoyage des surfaces et du matériel d’assemblage a été renforcé. En cette période de pandémie virale, les opérations de bionettoyage ont été doublées. Les surfaces (tables, chaises) et le matériel (ciseaux, agrafeuses) ont été désinfectés avant et après chaque demi-journée de production avec un détergent désinfectant à spectre large (Oxy’Floor® d’Anios). Les opérateurs étaient masqués et la désinfection des mains à la solution hydroalcoolique a fait l’objet d’une surveillance et d’un rappel toutes les heures. Une instruction et une check-list ont été rédigées et affichées pour détailler les étapes à suivre avant d’entrer en zone d’activité, en cours d’activité et à la fin de celle-ci. Plusieurs lignes de production ont été mises en place chacune avec un chef d’équipe pour optimiser la fabrication et contrôler le produit fini. Pour une même ligne, plusieurs postes ont été définis : la découpe du papier, le montage du masque (création du pli du menton et du nez à l’aide d’agrafes), la découpe des lanières en tissu et l’agrafage de quatre lanières par masque. En ce qui concerne les caractéristiques techniques, elles ont été comparées à celles des masques normés médicaux et EPI et non aux autres types de masques alternatifs [6] dont les dénominations et spécifications ne sont pas encore toutes normalisées. Nous disposions de données techniques sur le Sterichamps® dans son indication de système de barrière stérile pour les dispositifs médicaux mais pas comme matière première pour fabriquer des masques. Afin de valider ce choix de matériau avant la production en série, 33 masques ont été confiés au laboratoire du service qualité du fabricant de masques Kolmi-Hopen, basé près d’Angers, afin qu’il réalise un test de respirabilité et un test de résistance aux projections de fluides selon le protocole de la norme NF EN 14683+AC [7].
Résultats
Cent étudiants de la réserve sanitaire se sont portés volontaires pour produire les masques. Ils ont été répartis en deux équipes de 50 étudiants qui se sont relayées le matin et l’après-midi sur cinq lignes de production, les chefs d’équipe étant responsables du contrôle de conformité et du conditionnement. La production a fluctué entre 7 000 et 8 000 masques par jour pour un total de 190 000 masques fabriqués du 27 mars au 30 avril 2020. Les résultats des essais effectués par le laboratoire du service qualité de Kolmi-Hopen sont rapportés dans le Tableau I.
Discussion
Certains hôpitaux ont fait le choix de stériliser des masques chirurgicaux ou FFP21 [8] ayant été portés. Dans notre cas, il a été décidé de mettre en place une politique d’épargne de ces masques en proposant une solution de remplacement pour une partie du personnel hospitalier qui n’était pas en contact direct avec les patients Covid-19. D’autres établissements ont également eu recours à la fabrication de ce type de masques. Toutefois les formes, les modalités de fabrication ou encore les matériaux pouvaient différer, et l’absence de publication ne nous permet pas de nous comparer précisément. Notre singularité réside dans la réactivité de notre réponse à la pénurie et dans le volume de masques produits. Les matériaux préconisés par la SF2S et la SF2H pour la fabrication de tels masques sont des matériaux synthétiques de type MMS ou SMMS (multicouches composées de fibres en polypropylène). Cependant, au regard des données techniques des feuilles de Sterichamps®, nous avons pu comparer nos matériaux avec ceux préconisés dans cet avis. L’EFB des deux couches de papiers utilisés apporte des garanties d’efficacité comparables aux matériaux décrits dans l’avis de la SF2S. Nous avons opté pour positionner à l’intérieur la feuille qui a la meilleure EFB, Sterichamps® 44, et à l’extérieur la feuille la plus hydrophobe, Sterichamps® 88, qui satisfait au test de résistance à l’eau et constitue une barrière face aux projections de fluides. Les masques ont été assemblés à l’aide d’agrafes, ce qui nous a évité d’avoir recours à la couture, très chronophage et plus compliquée à mettre en œuvre notamment avec des matériaux à base de cellulose. La biocompatibilité des feuilles de papier de Sterichamps® répond aux exigences de la norme NF EN ISO 10993-5 [9] pour la cytotoxicité in vitro (test d’élution MEM) et à la norme NF EN ISO 10993-10 [10] pour la sensibilisation et irritation cutanée (test de Magnusson et Kligman). Les tests ont été réalisés pour un contact de surface avec la peau d’une durée limitée à 24 heures. Les masques ayant une durée d’utilisation conseillée de 4 heures maximum, nous avons considéré que les risques de réactions cutanées seraient limités. Il faut néanmoins attirer l’attention des utilisateurs sur d’éventuelles réactions allergiques au métal des agrafes.
Les données d’EFB pour l’association des Sterichamps® 88 et 44 sont supérieures à 95%. Elles sont établies par le fabricant avant stérilisation. C’est la raison pour laquelle il a été décidé de ne pas stériliser les masques après leur confection et de renforcer les règles d’hygiène dans la zone de production. Il n’a pas été retenu de les mettre en quarantaine 72 heures, durée de vie maximale de survie du SARS-CoV-2 sur une surface inerte [11,12]. Ce délai avant distribution n’était en effet pas compatible avec l’urgence de la demande et du besoin en approvisionnement.
Les données d’EFB des feuilles Sterichamps® sont évaluées selon la norme américaine ASTM F2101-01 en utilisant un aérosol biologique de Staphylococcus aureus dont les particules mesurent 3 microns de diamètre. Cette méthode n’évalue ni la respirabilité des matériaux des masques médicaux ni aucune autre propriété affectant la facilité de respiration à travers le matériau du masque médical. Les mesures de l’efficacité de filtration bactérienne relativement élevée pour un matériau de masque médical particulier ne garantissent pas que le porteur sera protégé des aérosols biologiques. En effet cette méthode évalue principalement les performances des matériaux composites utilisés dans la construction du masque médical et non sa conception, son ajustement ou ses propriétés d’étanchéité au niveau du visage. De plus dans le cas de notre masque, les valeurs de pression différentielle (Tableau I), très supérieures à 60 Pa/cm² montrent qu’il n’est pas respirant. Il ne peut donc pas être comparé au masque chirurgical au sens de la norme EN 14683+AC. La respiration du porteur se fait en périphérie du masque en évitant de le plaquer trop fortement sur le visage lors de la pose. Cette précaution entraîne un taux de fuite important qui interdit de le considérer comme masque filtrant. Il n’est donc aucunement comparable à un masque FFP2 qui répond à la norme NF EN 149 [13]. En revanche, le test de résistance aux projections de fluides a démontré une bonne imperméabilité. Pour ces raisons, la dénomination de « masque barrière » nous semble adaptée compte tenu de ses caractéristiques. Ce masque protège des émissions de gouttelettes du porteur vers l’extérieur et des projections de gouttelettes extérieures vers le porteur. Il a l’avantage d’être à usage unique : il ne demande aucun entretien et présente moins de risque qu’un masque en tissu réutilisable de contaminer l’environnement en le manipulant et en le stockant entre deux utilisations. C’est sans doute en partie pour ces raisons que l’Académie nationale de médecine renvoie vers la fabrication de ce type de masque pour le grand public en vue de la sortie du confinement [14]. La cellule de crise « Covid » de notre centre hospitalier universitaire (CHU) a par ailleurs désigné nos masques par les termes « masques barrières CHU » afin de bien les distinguer de ceux en tissu pouvant être confectionnés à l’extérieur de l’établissement. Car la volonté de la direction était de ne pas promouvoir leur diffusion au sein de notre structure sans en connaître les modalités de fabrication.
Selon les données du référentiel Afnor et selon l’Académie nationale de médecine, un masque dit « barrière » ne doit pas être utilisé par le personnel soignant au contact des patients. Toutefois la cellule de crise du CHU a décidé de distribuer ces masques au personnel soignant travaillant dans les unités qui n’accueillaient pas les patients Covid-19, ou dans des secteurs protégés (maladies du sang, hémodialyse). Les urgences adultes ou pédiatriques n’étaient pas concernées. Ce masque a aussi été prévu pour les non-soignants en contact avec le public ou travaillant en zone « confinée » avec des collègues. Initialement les quantités produites permettaient tout juste de couvrir le besoin pour les professionnels de l’établissement qui rentraient dans ces indications. Pour cette raison il n’a pas été remis de masques aux patients Covid-19 en post-hospitalisation.
Afin d’accompagner la diffusion de nos masques, nous avons rédigé et distribué dans chaque conditionnement (paquet de 50) un document expliquant les spécifications techniques des matériaux utilisés et les indications de port de ce masque. Ces informations ont été relayées par des notes de la cellule de crise Covid à l’attention du personnel médical et des cadres de santé. En ce qui concerne leur acceptabilité, nous avons remarqué une différence d’accueil entre le personnel soignant et le personnel administratif ou technique de l’hôpital. Les soignants, probablement en raison de leur habitude à porter des masques chirurgicaux, peuvent être gênés par la faible respirabilité et l’aspect artisanal du masque, tandis que les non-soignants s’en accommodent et sont rassurés de bénéficier d’une protection.
Si nous devions prolonger dans le temps cette production locale, et améliorer le confort et l’acceptabilité de ce masque, il serait souhaitable de tester la respirabilité de tous les types de feuilles de stérilisation, avec la même méthode et dans le même laboratoire afin d’utiliser le meilleur matériau, SMS, crêpe renforcé ou non-tissé. À ce jour, la décision institutionnelle qui a été prise est l’arrêt de la production au 30 avril 2020. Les stocks constitués permettront de continuer à approvisionner les services concernés jusqu’au 29 mai 2020. À cette date, il devra être décidé soit la reprise de cette production, soit la mise en place de la solution proposée par le gouvernement pour protéger l’ensemble de la population [15].
Conclusion
Durant la crise liée au SARS-CoV-2 et la pénurie de masques vécue par tous les hôpitaux de France, des services de stérilisation en ont confectionné à usage unique. Cela a permis d’apporter une solution locale temporaire notamment aux professionnels de santé qui n’étaient pas en contact avec les patients. Ces masques « alternatifs » ont besoin d’être distingués précisément des autres types de masques car ils sont souvent comparés à tort aux masques chirurgicaux ou FFP2. Leur acceptabilité demande un accompagnement pédagogique afin que leurs caractéristiques soient comprises, qu’ils soient portés, et qu’ils rendent ainsi le service attendu de limitation de la circulation du virus.
Note :
1- Filtering facepiece, pièce faciale filtrante.