La grippe est une infection respiratoire contagieuse entraînant chaque année une morbidité et une mortalité importantes. Chaque hiver, environ 5 à 10% de la population est affectée, et la mortalité touche environ 0,01% de celle-ci, en ville comme à l’hôpital [1].
Lors des soins qu’ils apportent, les professionnels de santé constituent un vecteur de transmission de la grippe et peuvent être responsables de transmissions intrahospitalières. Plusieurs études ont d’ailleurs documenté le risque de transmission nosocomiale de cette maladie [2,3,4]. Elle peut survenir sous forme épidémique au sein d’établissements de santé (ES) ou d’établissement médicosociaux (EMS).
La vaccination est un moyen de contrôle car elle diminue le risque d’infection grippale chez les soignants, mais aussi, par conséquent, la transmission de celle-ci aux patients/résidents. C’est pourquoi la vaccination contre la grippe est recommandée pour tout professionnel de santé [5].
Les pouvoirs publics, en France comme dans d’autres pays, ont pris conscience de ce phénomène et ont fixé des objectifs de couverture vaccinale (CV) antigrippale. Ainsi, il a été fixé un taux d’au moins 75% pour celle-ci dans tous les groupes à risque, professionnels de santé inclus [6] ; taux nécessaire pour couper la chaîne de transmission nosocomiale de la grippe. Au fil des années, de nombreuses circulaires, instructions et notes d’information ont rappelé cet objectif et ont prévu des modalités de mise en œuvre de cette politique vaccinale [7,8,9,10,11,12,13]. Les directeurs des établissements sont ainsi tenus d’organiser chaque année une opération de vaccination du personnel contre la grippe. Cette préconisation est rappelée dans le programme national d’actions de prévention des infections associées aux soins (Propias) [9,10]. Pourtant, la CV antigrippale des professionnels de santé reste en deçà de l’objectif fixé [14,15,16,17], variant en France de 16 à 36% selon les études.
Les freins à la vaccination antigrippale sont multiples et connus. Ils vont de l’accessibilité du vaccin aux freins psychosociaux, d’où le rôle important que peut jouer une campagne de sensibilisation à la vaccination. Il est montré que, pour être efficaces, les actions de celle-ci ne doivent pas être isolées mais englobées dans une démarche agissant sur plusieurs aspects simultanés, allant de la formation et de l’engagement des professionnels (campagne d’affichage, apport de connaissances, etc.), à la disponibilité du vaccin et à la surveillance des taux de CV [2,18,19,20,21,22,23].
Les autorités sanitaires françaises recommandent une campagne de sensibilisation à la vaccination antigrippale multimodale, d’après les expériences nord-américaines et asiatiques qui ont montré, avec cette approche, des taux de vaccination plus élevés dans les zones à faible taux de CV antigrippale [18,22]. Au Japon, par exemple, une campagne de sensibilisation multimodale, comprenant promotion, fourniture de vaccin gratuite et surveillance, a permis d’augmenter cette CV et d’obtenir un taux de plus de 90% pour celle-ci [18].
Dans la comparaison internationale de To et al. [18], la France, avec un taux moyen de CV antigrippale de 27,6% (saison 2010-2011), se trouve dans la moyenne européenne mais est en-deçà de certains pays nord-américains, asiatiques et du Moyen-Orient.
La grippe semble avoir gardé son image de maladie bénigne auprès du personnel [2,14,15,16]. Ceci est valable pour les ES, mais également pour les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) [19,21].
Une campagne de vaccination antigrippale multimodale a été élaborée et construite par un groupe de travail pluridisciplinaire, supervisé par le centre de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales (CClin) Sud-Est1. Elle est dite multimodale car elle s’articule autour de quatre axes – fédérer, sensibiliser, faciliter l’accès à la vaccination et évaluer –, avec un choix d’outils mis à disposition des ES. Ceux-ci ont été mis en ligne le 31 mars 2016 sur le site du CClin Sud-Est et ont été proposés à tous les ES et EMS français désireux d’organiser une campagne de sensibilisation à la vaccination antigrippale [24].
L’objectif principal de cette étude était d’évaluer l’impact d’une campagne de sensibilisation des professionnels à la vaccination antigrippale dans les ES et EMS français sur leur CV antigrippale, puis de mesurer cette évolution sur deux ans (2015-2016 et 2016-2017). Les objectifs secondaires étaient de connaître la CV antigrippale des professionnels de santé, et d’évaluer l’intérêt de l’utilisation de la campagne de sensibilisation multimodale du CClin Sud-Est sur la deuxième année, pour les ES et les EMS l’ayant utilisée (campagne non disponible la première année).
Méthode
Il s’agissait d’une étude par autoquestionnaire, qui a été disponible en ligne sur le site du CClin Sud-Est du 15 février au 14 avril 2017. L’étude a porté sur tous les types d’ES et sur les EMS de l’interrégion sud-est. Le questionnaire a été envoyé aux contacts inscrits dans l’annuaire du CClin Sud-Est : membres des équipes d’hygiène, gestionnaires de risque, directeurs d’Ehpad, etc. Ils étaient incités à se rapprocher du médecin du travail pour répondre à cette enquête sur la CV antigrippale des professionnels de leur structure et sur la mise en place ou non d’une campagne de sensibilisation à la vaccination antigrippale au sein de celle-ci. L’établissement devait répondre par oui ou par non sur la réalisation de cette campagne, qui pouvait varier d’un établissement à l’autre selon les moyens et les ressources allouées, puis il devait ensuite renseigner des critères sur sa mise en œuvre (affiche, mails, formation, etc.) le cas échéant.
Au niveau national, l’information a été communiquée aux autres CClin afin qu’ils puissent chacun la diffuser dans leur interrégion.
Les données recueillies comprenaient quatre parties (Annexe I) :
- données administratives : identification de l’établissement ;
- CV antigrippale : données de l’établissement, agrégées par catégories professionnelles pour la saison 2015-2016 (T0) et pour la saison 2016-2017 (T1) sur la base des données disponibles (données de la médecine du travail ou vaccination antigrippale rapportée de l’extérieur) ;
- organisation d’une campagne de sensibilisation à la vaccination antigrippale pour les saisons T0 et T1 et description de ces campagnes ;
- utilisation des outils de la campagne de sensibilisation multimodale du CClin Sud-Est à T1 et un indice global de satisfaction à leur sujet, sous forme d’une échelle de satisfaction avec une note de 1 (faible) à 4 (élevé) : cette évaluation a été réalisée par l’organisateur de la campagne (pilote) et par les professionnels bénéficiaires de celle-ci, le cas échéant.
Tous les professionnels (médicaux, non médicaux, administratifs) travaillant dans les établissements cibles ont été inclus pour la mesure de la CV antigrippale. Les établissements qui ne disposaient pas de celle-ci détaillée par catégorie professionnelle ont pu donner une CV antigrippale globale pour l’ensemble de leurs professionnels.
L’analyse a comporté une étude descriptive, basée sur des paramètres statistiques simples. Les variables quantitatives ont été décrites en utilisant la moyenne et l’écart-type, et les variables qualitatives ont été décrites sous forme d’effectifs et de pourcentages. Les tests utilisés ont été choisis en fonction du type de variables. Les variables quantitatives ont été testées par le test t de Student, et les variables qualitatives ont été testées en utilisant le test du Khi-2 (χ2) ou le test exact de Fisher. Un odds ratio (OR), accompagné de son intervalle de confiance à 95% (IC95), a été calculé pour mesurer l’association entre le taux de CV antigrippale et l’existence ou non d’une campagne de sensibilisation à la vaccination antigrippale.
Pour mesurer l’effet campagne de sensibilisation d’une saison à l’autre, six groupes ont été identifiés selon la réponse sur l’organisation ou non d’une campagne de sensibilisation à la vaccination antigrippale à T0 et à T1 et sur la nature de celle-ci. Puis, nous avons utilisé la méthode des « doubles différences », qui consiste à comparer, avant et après la mise en place d’une réforme (ici la campagne de sensibilisation), la valeur moyenne prise par une variable au sein d’un groupe de traitement à la valeur moyenne prise par cette variable au sein d’un groupe de contrôle préalablement défini. Un taux de variation (TV) a ensuite été calculé, afin de mesurer l’évolution en valeur relative entre le taux de CV antigrippale à T0 et le taux de CV antigrippale à T1.
Les résultats ont été anonymisés et présentés par type d’établissements (ES, EMS). Nous avons choisi de ne pas pooler l’analyse des CV antigrippales sur les deux ans de l’étude pour les comparaisons, car les mêmes individus ont pu figurer à la fois à T0 et à T1 dans notre échantillon. Pour l’ensemble des analyses, le logiciel SAS 9.4 (SAS Institute) a été utilisé. Tous les tests ont été considérés comme significatifs si la valeur de p était inférieure à 0,05.
Résultats
Population de l’étude et participation aux campagnes de sensibilisation à la vaccination antigrippale
L’analyse a porté sur 274 établissements, répartis en 128 ES (46,7%) et 146 EMS (53,3%). Parmi les EMS, on a retrouvé 133 Ehpad (48,5%), 7 foyers d’accueil médicalisés (2,6%) et 6 maisons d’accueil spécialisées (2,2%). Plus de 62% des établissements répondants avaient moins de 100 lits (38% pour les ES et 84% pour les EMS) et plus de 28% avaient entre 100 et 300 lits (42% pour les ES et 16% pour les EMS).
La répartition des établissements selon le fait qu’ils aient organisé ou non une campagne de sensibilisation à la vaccination antigrippale à T0 ou à T1, et le type de celle-ci à T1, est présentée en Tableau I.
Organisation des campagnes de sensibilisation à la vaccination antigrippale à T0 et T1
Sur l’ensemble des établissements de l’étude, 76,6% ont organisé une campagne de sensibilisation à la vaccination antigrippale à T0 et 86,1% à T1. Ce pourcentage ne diffère pas statistiquement selon le type d’établissement à T0 (81,2% en ES versus 72,6% en EMS ; p=0,09). Cependant on observe une différence significative à T1 (92,2% en ES versus 80,8% en EMS ; p=0,007).
L’organisation de la campagne sensibilisation à la vaccination est significativement différente entre ES et EMS (p<0,001) quelle que soit la période. En ES, aussi bien à T0 qu’à T1, cette campagne a été organisée essentiellement par le service d’hygiène. En EMS, elle a essentiellement été organisée par le médecin coordonnateur. Mais dans les deux cas, la vaccination a majoritairement été proposée en unités de soins, et dans environ 50% des cas des plages horaires pour le personnel de nuit ont été proposées. Dans les ES, la vaccination a été réalisée par différents membres du personnel (référent dans le service, équipe opérationnelle d’hygiène, service de santé au travail), tandis que dans les EMS, elle a essentiellement été réalisée par un référent soignant dans les unités ou par le médecin coordonnateur.
Lors des campagnes de sensibilisation à cette vaccination, l’information a essentiellement été diffusée par le biais d’affiches et de bulletins d’information.
Couverture vaccinale antigrippale et impact des campagnes de sensibilisation par saison
La population des professionnels inclus dans l’enquête était de 67 452 à T0 et de 77 143 à T1. La répartition par catégories professionnelles variait selon le type d’établissement. Dans les ES, la population des répondants était composée de : 6,9% de médecins à T0 et 8,2% à T1, 27,4% de paramédicaux (infirmiers diplômés d’État [IDE], aide-soignants [AS]) à T0 et 29,8% à T1, 5,9% d’agents de service hospitalier (ASH) à T0 et 6,3% à T1, et 59,8% d’autres professionnels à T0 et 55,7% à T1. Dans les EMS, la population des répondants était composée de : 1,2% de médecins à T0 et 1,6% à T1, 23,6% de paramédicaux (IDE, AS) à T0 et 27,7% à T1, 12,8% d’ASH à T0 et 14,8% à T1, et 62,4% d’autres professionnels à T0 et 55,9% à T1.
Couverture vaccinale antigrippale
La CV antigrippale de l’ensemble du personnel des établissements particpants était de 15,6% (20,3% dans les EMS et 15% dans les ES) à T0 et de 17,4% à T1 (22,4% dans les EMS et 16,8% dans les ES) (Figures 1 et 2). Les médecins avaient la CV antigrippale la plus élevée, avec un taux de 35,5% à T0 et de 34,8% à T1. Ce taux atteignait 67,4% pour les EMS à T0 et 62,9% à T1. Les infirmiers avaient un taux de CV antigrippale de 16,3% à T0 et de 17,7% à T1 ; ce taux était plus élevé dans les EMS que dans les ES, puisqu’atteignant presque 41% dans les EMS à T0 et presque 40% à T1. Les AS et les ASH avaient un taux de CV antigrippale de 10,9% à T0 et de 12,2% à T1, avec toujours un taux plus élevé dans les EMS que dans les ES. Les distributions des taux de CV antigrippale par catégories professionelles selon l’organisation ou non d’une campagne de sensibilisation sont détaillées en Tableaux II et III.
Impact d’une campagne de sensibilisation à la vaccination antigrippale
Sur l’ensemble du personnel, la CV antigrippale est significativement plus élevée si l’établissement a organisé une campagne de sensibilisation à la vaccination antigrippale (T0 : 15,9% versus 14%, avec OR=1,16 ; IC95 [1,09-1,24] ; p<0,05 ; et T1 : 17,7% versus 12,9% , avec OR=1,45 ; IC95 [1,33-1,59] ; p<0,05). Cet effet campagne de sensibilisation sur la CV antigrippale n’est observable, pour l’ensemble du personnel, que dans les EMS (22,9% versus 11,6% ; p<0,05) à T0, alors qu’en T1 il est observable, pour l’ensemble du personnel, aussi bien en EMS qu’en ES.
Nous observons un effet campagne de sensibilisation significatif pour l’ensemble des médecins et des infirmiers quelle que soit la période. Cet effet n’est pas observable pour l’ensemble des AS et des ASH à T0, alors qu’à T1 il est significatif pour l’ensemble des AS.
Dans les EMS, nous observons un effet campagne de sensibilisation significatif seulement pour les médecins et les AS à T0, alors qu’à T1 il est significatif pour les infirmiers, les AS et les ASH mais pas pour les médecins. Dans les ES, cet effet campagne de sensibilisation est observé pour les médecins, les infirmiers et les ASH à T0, alors qu’à T1, il est aussi significatif pour les AS(Tableaux II et III).
Impact de la campagne de sensibilisation multimodale du CClin Sud-Est à T1
Pour les établissements ayant mené une campagne de sensibilisation à la vaccination antigrippale, ceux qui ont utilisé celle multimodale du CClin Sud-Est, versus une autre campagne, ont une augmentation significative de leur taux de CV antigrippale pour l’ensemble du personnel, avec un taux de 18% versus 17,3% (avec OR=1,05 ; IC95 [1,01-1,09] ; p=0,02) ; cet effet campagne multimodale CClin Sud-Est pour l’ensemble du personnel n’étant significatif que dans les ES (Tableau III).
Comparaison des taux de CV antigrippales (T0 versus T1) et impact des différentes campagnes par groupes d’établissements
Comparaison des taux de CV antigrippales (T0 versus T1)
Lorsque nous comparons les taux de CV antigrippale T0 versus T1, nous constatons une augmentation pour l’ensemble du personnel, le taux de CV antigrippale passant de 15,6% à 17,4% (p<0,0001), soit une augmentation de 11,5%. Cette amélioration de la CV antigrippale est constatée aussi bien en EMS (20,3% versus 22,4% ; p=0,0009) qu’en ES (15% versus 16,8% ; p<0,0001).
Cependant cette augmentation du taux de CV antigrippale dépend de catégorie professionnelle, en effet, celui des médecins et des ASH n’a pas varié de manière significative de T0 à T1 (p=0,44 et p=0,06), et cela aussi bien dans les EMS (p=0,48 et p=0,29) que dans les ES (p=0,45 et p=0,16). Le taux de CV antigrippale des infirmiers a globalement augmenté de manière significative de T0 à T1 (p=0,007), ce constat ne se retrouvant que dans les ES (p=0,003) ; tandis que le taux de CV antigrippale des AS a globalement augmenté de manière significative de T0 à T1 (p=0,004), ce constat ne se retrouvant que dans les EMS (p=0,03).
Étude de l’impact des différentes campagnes de sensibilisation par groupes d’établissements
Six groupes ont pu être identifiés, selon la réponse de chaque établissement participant sur l’organisation ou non d’une campagne de sensibilisation à la vaccination antigrippale en son sein à T0 et à T1 et sur la nature de celle-ci (Tableau IV) :
- groupe 1 (n=110) : campagne de sensibilisation à T0 + campagne de sensibilisation multimodale à T1 (CClin Sud-Est) ➞ intervention A
- groupe 2 (n=93) : campagne de sensibilisation à T0 + campagne de sensibilisation à T1 (autre) ➞ témoin A
- groupe 3 (n=28) : campagne de sensibilisation multimodale à T1 (CClin Sud-Est) ➞ intervention B
- groupe 4 (n=31) : aucune campagne de sensibilisation ➞ témoin B
- groupe 5 (n=7) : campagne de sensibilisation à T0 ➞ témoin C
- groupe 6 (n=5) : campagne de sensibilisation à T1 (autre) ➞ témoin D
Pour connaître l’intérêt de l’utilisation de la campagne de sensibilisation multimodale du CClin Sud-Est versus une autre campagne de sensibilisation, nous avons comparé les groupes « intervention A » et « témoin A » : la variation est plus grande en cas de campagne de sensibilisation multimodale du CClin Sud-Est (+ 13%) versus une autre campagne de sensibilisation (+ 9,7%), soit 3,3 points de plus. Pour connaître l’intérêt de l’utilisation de la campagne de sensibilisation multimodale du CClin Sud-Est versus aucune campagne de sensibilisation, nous avons comparé les groupes « intervention B » et « témoin B » : la variation est plus grande en cas de campagne de sensibilisation multimodale du CClin Sud-Est (+ 11,8%) versus aucune campagne de sensibilisation (+ 10,4%),soit 1,4 point de plus. Ainsi, l’impact de la campagne de sensibilisation multimodale du CClin Sud-Est sur la CV antigrippale est de 0,6% à 0,7% selon le groupe contrôle choisi. Autrement dit, la causalité ou l’impact réel de la campagne de sensibilisation multimodale du CClin Sud-Est est de 0,6% si nous prenons comme contrôle une autre campagne de sensibilisation, et de 0,7% si nous prenons comme contrôle aucune campagne de sensibilisation.
Les résultats des groupes témoins C et D sont à interpréter avec réserve du fait de leurs faibles effectifs.
Ainsi le fait d’organiser une campagne de sensibilisation multimodale avec les outils du CClin Sud-Est (versus une autre campagne de sensibilisation ou pas de campagne de sensibilisation) permet une augmentation significative de la CV antigrippale de T0 à T1 (Tableau V).
Utilisation de la campagne de sensibilisation multimodale du CClin Sud-Est
Pour fédérer personnel et direction autour de chaque campagne de sensibilisation à la vaccination antigrippale, la charte d’engagement n’a été signée et diffusée que dans 21% des établissements, sans différence significative selon le type de ceux-ci (p=0,3).
Pour sensibiliser les professionnels, les affiches générales et humoristiques ont été utilisées dans plus de 80% des établissements. Les outils des groupes de réflexion (méthode Métaplan®, paperboard) et les jeux collectifs ont eu très peu de succès (moins de 8% d’utilisation) aussi bien en ES qu’en EMS (p>0,2). L’argumentaire scientifique et le diaporama « info/intox » ont servi pour des séances de sensibilisation à la vaccination antigrippale dans un peu moins de la moitié des établissements, sans différence significative selon le type de ceux-ci (p>0,13).
La moyenne de l’indice de satisfaction concernant l’organisation et les outils de la campagne de sensibilisation multimodale du CClin Sud-Est était de 3/4 (IC95 [2,8-3,2]), sans différence significative selon le type d’établissement (p=0,89).
Discussion
Deux-cent-trente-trois établissements ont utilisé une campagne de sensibilisation à la vaccination antigrippale à T1. Les différentes publications montrent que, malgré les dispositifs gouvernementaux et les différentes campagnes de sensibilisation mises en place, les taux de CV antigrippales des membres du personnel sont toujours faibles [1,2,14,15,16,17].
À l’instar des études antérieures [20], nous avons constaté une meilleure CV antigrippale du personnel médical par rapport au personnel paramédical.Cela suppose une démarche altruiste plus importante chez les médecins, et une démarche antivaccins encore relativement ancrée chez le personnel paramédical. Une autre hypothèse pouvant expliquer cette différence de CV antigrippale entre le personnel médical et paramédical pourrait être l’âge plus élevé des médecins, puisqu’à l’image de la population générale, la CV antigrippale du personnel hospitalier augmente avec l’âge [14]. Notre étude révèle par ailleurs une meilleure CV antigrippale dans les EMS et cela pour toutes les catégories professionnelles, atteignant plus de 60% pour les médecins. À noter, toutefois, que nous constatatons dans les Figures 1 et 2 des valeurs extrêmes (outliers) avec des établissements ayant des taux de CV antigrippales supérieurs à 70% et atteignant même 100%. Ceci peut tenir au fait que ces établissements ont déclaré peu de personnel au total, ce qui pourrait faire mécaniquement augmenter le taux de CV antigrippale.
L’intérêt d’organiser une campagne de sensibilisation à la vaccination antigrippale pour augmenter la CV antigrippale est clairement démontré dans notre étude. Sur l’ensemble du personnel, la CV antigrippale est ainsi significativement plus élevée si l’établissement a réalisé une campagne de sensibilisation à la vaccination antigrippale (17,7% versus 12,9%, p<0,0001). Cet effet campagne de sensibilisation est observable pour l’ensemble du personnel aussi bien dans les EMS que dans les ES, mais n’est pas systématiquement retrouvé dans une analyse par catégorie professionnelle. Il a été montré que l’impact d’une campagne de sensibilisation à la vaccination antigrippale semble plus faible chez le personnel jeune (amené à changer souvent de service comme les étudiants hospitaliers, les internes, etc.), chez les médecins (contrairement à notre étude) et chez les non-soignants [14]. Il est clair que la campagne d’information hospitalière menée par affichage, à l’instar de la campagne de sensibilisation à la vaccination antigrippale multimodale du CClin Sud-Est, a un impact non négligeable sur la CV antigrippale, ce qui illustre les suggestions de plusieurs études [14].
La comparaison de la CV antigrippale entre les saisons montre une augmentation significative des taux de celle-ci, passant en moyenne de 15,6% à 17,4% (p<0,0001) toutes catégories professionnelles confondues. Cette amélioration de la CV antigrippale est constatée aussi bien en EMS (20,3% versus 22,4% ; p=0,0009) qu’en ES (15% versus 16,8% ; p<0,0001), mais elle dépend de chaque catégorie professionnelle et de chaque structure. En effet ni la CV antigrippale des médecins ni celle des ASH n’ont varié d’une saison à l’autre, ce quel que soit le type d’établissement. Pour les autres professions, les résultats sont variables en fonction du statut ES ou EMS. Quoi qu’il en soit, nous n’avons noté aucune baisse significative de la CV antigrippale, ce quelle que soit la profession.
Les campagnes de sensibilisation à la vaccination antigrippale sont organisées de façon significativement différente en ES et en EMS, ce quelle que soit la période.
L’appréciation des outils de la campagne de sensibilisation multimodale du CClin Sud-Est a été correcte par les pilotes des campagnes de sensibilisation dans les établissements, avec un indice de satisfaction de 3 sur 4 en moyenne aussi bien en ES qu’en EMS ; cette appréciation ayant été légèrement plus faible mais tout aussi correcte de la part des professionnels ayant bénéficié de cette campagne.
L’utilisation des outils de la campagne de sensibilisation multimodale du CClin Sud-Est entraîne une augmentation significative de la CV antigrippale de l’ensemble du personnel, avec un taux de 18% pour les utilisateurs versus 17,3% pour les non-utilisateurs (p=0,02). Cependant les résultats dépendent des types d’établissements et des catégories professionnelles, avec parfois des résultats n’allant pas dans le sens escompté.
Une limite de cette étude est la non-maîtrise des éventuels facteurs de confusion, en particulier la sévérité de l’épidémie d’une saison sur l’autre pouvant augmenter le taux de CV antigrippale, ce indépendamment de l’existence d’une campagne de sensibilisation. D’autre part, le fait que les mêmes individus aient pu être la cible des campagnes à T0 et à T1 vient encore compliquer l’analyse.
Toutefois, malgré toutes les interventions, aucune CV antigrippale n’a excédé les 20%, à l’exception de celle du personnel médical. Plusieurs facteurs peuvent expliquer l’attitude du personnel hospitalier face à la vaccination antigrippale. Dans l’étude de Valour et al. [14], les raisons motivant le refus de cette vaccination sont ainsi par ordre d’importance : le fait de ne pas être intéressé/concerné, la préférence pour l’homéopathie, le fait d’être trop jeune, l’oubli et l’impression que le vaccin n’est pas assez efficace. Dans cette même étude, les conditions d’accès à la vaccination antigrippale sont essentielles, de même que la gratuité, importante notamment pour les plus jeunes (18-29 ans).
Notre étude pourrait également relancer la discussion, d’une part sur le fait de rendre cette vaccination antigrippale obligatoire pour le personnel de santé, afin de protéger les patients et les résidents particulièrement vulnérables ; et d’autre part sur l’importance de diffuser des messages d’information sur la réelle utilité de ce vaccin face aux fake news qui ne cessent de croître.
Conclusion
Pour motiver le personnel des ES et des EMS à se faire vacciner tous les ans contre la grippe, des campagnes multimodales de sensibilisation à la vaccination antigrippale sont proposées depuis plusieurs années. Ces campagnes n’ont pas le même impact selon que l’on travaille dans un ES ou dans un EMS, les taux de CV antigrippale étant généralement plus élevés dans ces derniers.
Pour tous les établissements ayant organisé une campagne de sensibilisation à la vaccination antigrippale en 2016-2017, l’augmentation de la CV antigrippale est significative mais modeste. Les outils proposés par la campagne de sensibilisation multimodale du CClin Sud-Est permettent d’améliorer significativement la CV antigrippale, mais son impact reste modeste et très dépendant des catégories professionnelles et des établissements concernés. Une mobilisation importante et l’utilisation d’outils multiples n’entraînent pas une modification radicale du comportement vaccinal antigrippal d’une année sur l’autre.
Par la suite, il est prévu que la CV antigrippale en ES devienne un indicateur de la Haute Autorité de santé sur le thème des infections associées aux soins. En effet, la vaccination antigrippale des professionnels de santé fait partie des nouveaux indicateurs de processus, proposés en expérimentation auprès d’ES volontaires depuis le deuxième semestre 2018. Par ailleurs, en EMS, la CV antigrippale des résidents et des professionnels de santé est également devenue, en 2018, un indicateur recueilli par l’agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes auprès des Ehpad de l’ensemble de cette région.
Note :
1- Le CClin Sud-Est est devenu le centre d'appui pour la prévention des infections associées aux soins (CPias) Auvergne-Rhône-Alpes en juillet 2017.