Préambule
Il y a quatre ans, j’aurais renoncé à l’invitation d’écrire un tel article en si peu de pages sur un sujet aussi complexe. Heureusement, le Journal de pharmacie clinique en 2016 et la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H) en 2017 m’ont permis d’écrire deux articles1 [1,2] qui complètent celui-ci. Face aux questions posées par la pédagogie, nous aimerions tous disposer de réponses simples, comme l’étaient la purge et la saignée pour « soigner » les affections du corps. Pourquoi a-t-il fallu que la médecine moderne complexifie les traitements ? Parce que les maladies et leurs soins sont complexes. Il en va de même pour la pédagogie et ce qui suit paraitra complexe à beaucoup de lecteurs parce que la psychologie des apprentissages, les objectifs, les méthodes et les évaluations des formations sont complexes. Je m’aligne sur la pensée d’Edgar Morin [3] en me permettant de souligner certains mots : « Ce que j’appelle la pensée complexe, c’est celle qui surmonte la confusion, l’embarras et la difficulté de penser à l’aide d’opérateurs et à l’aide d’une pensée organisatrice : séparatrice et reliante. » Concevoir un cahier des charges est souvent une œuvre collective, depuis le commanditaire ou promoteur jusqu’aux bénéficiaires de la formation. Il importe dès lors que les partenaires s’accordent sur les principes, les concepts, les termes et leurs définitions. D’ailleurs, dans le décret n° 2019-565 [4] sur la qualité des formations (textuellement « des actions concourant au développement des compétences »), le premier des 32 indicateurs d’appréciation est : « Le prestataire diffuse une information accessible au public, détaillée et vérifiable sur les […] prérequis, objectifs [O], durée, […] méthodes [M] et […] évaluation [E]. » J’ai ajouté les majuscules O, M et E, on comprendra pourquoi ci-après. Le présent article se termine par un formulaire de présentation de cahier des charges (Tableau III). Ce formatage est utile pour les communications entre le promoteur, le(s) concepteur(s) et les intervenants, et entre ceux-ci et les formés. Tout programme de formation, d’une seule journée ou de plusieurs années, en présentiel ou à distance, repose sur un certain nombre de principes dont on peut vérifier le respect pour évaluer a priori le cahier des charges d’une formation. L’évaluation a posteriori se base sur les observations (ou mesures) d’impact de la formation, ces types de mesures étant décrites dans le principe 9, le plus développé des 10 principes proposés ici. Un projet complet de formation démarre par son cahier des charges en 6 étapes encapsulées dans l’acronyme « Cebome » (voir le principe 1). Il se poursuit par sa préparation technique concrète (réalisation – R – des outils multimédias par exemple, formation des intervenants), son exécution (intervention – I), les mesures d’impacts (observations – O) et, sur ces bases, la révision (régulation – R) du tout : ce sont les étapes « Cebomerior ». Les étapes « Rior » sont ultérieures à la conception du cahier des charges et ne sont pas décrites dans le présent article.
Principe 1 – Promoteurs et concepteurs d’un cahier des charges ont des rôles différents
Les promoteurs (ou prescripteurs) d’une formation sont ceux qui lancent des appels à projets de formation et qui les financent. Ils ont auparavant procédé à des analyses du contexte, de l’existant et des besoins de formation. Dans certains cas, ces analyses sont très approfondies, dans d’autres, elles sont plus sommaires. Il en va de même pour les objectifs, qui sont, parmi les besoins identifiés, ceux auxquels on va essayer de répondre par la formation. En bref, les objectifs sont les besoins hiérarchisés par ordre de priorité étant donné les contraintes de temps, de moyens financiers, de personnel, etc. Leur motivation peut être de résoudre un problème, souvent de conduite humaine, ou de soutenir un projet de développement, humain la plupart du temps. Les concepteurs d’une formation sont ceux qui assurent la triple concordance (en anglais alignment) entre les trois piliers d’une formation, à savoir les objectifs, les méthodes et les évaluations. Souvent le concepteur devra approfondir l’analyse des besoins et des objectifs menée par le promoteur, en concertation avec celui-ci. Le cahier des charges est en effet le lieu de la clarification entre ces deux partenaires, mais aussi les formés. On attend du concepteur qu’il rende compte de l’existant concernant ces diverses étapes, qui devraient s’appeler « CEbEoEmEeE », le E signifiant « l’existant ». Cebome est plus facile à mémoriser. L’existant fournit les bases des constats et des raisonnements, leurs justifications théoriques étant le plus souvent issues de la littérature scientifique en pédagogie.
Principe 2 – L’éducation fondée sur les preuves (EFP) doit guider le cahier des charges
Se référer à l’existant relève du principe d’éducation fondée sur les preuves (en anglais evidence based education) [5] plutôt que sur la tradition, l’idéologie, le bon sens ou la seule intuition. L’intuition est en effet précieuse pour générer des hypothèses, mais l’EFP consiste à les vérifier expérimentalement. Ainsi, pour vérifier l’efficacité d’une méthode de formation, on en mesure les effets, les gains, par l’application d’un prétest et d’un post-test. On exprime les gains dans une unité appelée « ampleur de l’effet intraformés ». En outre, on compare ces gains avec ceux d’une méthode « contrôle », souvent la méthode traditionnelle. On exprime cette comparaison par l’« ampleur de l’effet interméthodes ». Aujourd’hui les résultats de telles études comparatives sont tellement nombreux qu’on doit les rassembler dans des méta-analyses, et même dans des méta-analyses de méta-analyses. La plus connue en ce qui concerne les méthodes de formation est celle de John Hattie (2009) [6]. Ces démonstrations sont d’autant plus convaincantes qu’au choc des chiffres s’ajoute le poids des théories basées sur les observations interprétées à la lumière de la psychologie des apprentissages dans les domaines cognitif [7], affectif [8], sensorimoteur [9], de l’implication [10] et de la métacognition [11]. Ces domaines ont fait l’objet de listes de besoins et d’objectifs dont le concepteur peut s’inspirer au moment où il rédige le cahier des charges.
Principe 3 – L’analyse des besoins éducatifs doit considérer plus de trois domaines
On cite souvent trois grands domaines : le domaine affectif (celui des attitudes, des préférences, des aversions, des peurs, etc. – A), le domaine des savoir-faire (les automatismes perceptifs ou sensorimoteurs – S) et le domaine cognitif (les savoirs mémorisés, la compréhension de concepts et de principes, leur application, l’analyse et la résolution de problèmes… – C). Ce sont ces trois domaines qui sont évoqués par les trois premières lettres de l’acronyme « Ascid », lequel représente ce que j’appelle « le noyau central des facteurs qui influencent la conduite ». D’autres domaines doivent cependant être pris en compte, comme celui de l’image de soi (ou identité ou métacognition – I), celui de la décision (de l’intention à l’action – D). En fait, il est utile, devant un problème de conduite ou un projet d’éducation, d’examiner systématiquement 12 facteurs soit, en plus des 5 ci-dessus (Ascid) : le biologique, le relationnel (les contacts sociaux), les habitudes, la volition (protection de la décision), les normes, le matériel et l’empreinte écologique et climatique. Ces facteurs ont été présentés de façon approfondie et illustrés ailleurs [2,12]. Souvent des analyses de besoins de formation ont été réalisées, notamment par des associations professionnelles, sur la base d’analyses des tâches professionnelles, et des référentiels de compétences ont été publiés [13,14].
Principe 4 – Les trois piliers pédagogiques doivent être en triple concordance ou en alignement
Tout dispositif pédagogique repose sur trois piliers : les objectifs, les méthodes et les évaluations (O, M, E), et sur leur triple concordance ou alignement. La triple concordance est satisfaite si trois règles sont respectées : (1) tout objectif doit être poursuivi par au moins une méthode (concordance O-M) ; (2) tout objectif doit être évalué par au moins une évaluation (concordance O-E) ; (3) toute méthode et évaluation doivent se rapporter à au moins un objectif. Ce qui exclut des évaluations auxquelles une méthode n’aurait pas préparé. Si les règles 1 et 2 sont respectées pour un objectif donné, alors, par transitivité, la méthode et l’évaluation concernées sont en concordance entre elles (concordance M-E). Cette exigence de triple concordance, apparemment simple, est pourtant la plus difficile à satisfaire dans le cahier des charges d’une formation (Figure 1).
Principe 5 – Les objectifs doivent distinguer compétences et capacités
Aujourd’hui les pédagogues convergent vers une définition de la « compétence » à géométrie variable. Cela signifie que l’on peut s’en tenir à 6 mots-clés : pouvoir, situation complexe, ressources internes et externes. Plus souvent on énoncera « pouvoir d’agir en situation complexe en mobilisant des ressources internes et externes ». On peut compléter cette définition par des renvois à des références externes la rendant de plus en plus précise (Tableau I) [14,15]. Dans « pouvoir d’agir » on reconnait l’expression anglaise empowerment. Il apparait qu’une compétence repose sur des capacités, vérifiables et entrainables, mais pas forcément « en situation complexe ».
Principe 6 – Apprentissages au pluriel et méthodes appropriées
On se plaint souvent de ce que les spécialistes en éducation se contredisent. Notamment sur la (ou les) stratégie(s) et méthode(s) la (les) plus efficace(s) pour apprendre. Souvent, ils ont tous raison, mais ils ne parlent pas de la même chose. En effet, le terme « apprentissage » (au singulier) cache plusieurs types d’apprentissages, comme le terme « maladie » cache la nature de la maladie. Or il existe des maladies très différentes les unes des autres. La langue anglaise n’a pas de pluriel pour le terme learning. Je pense que cela a influencé la regrettable habitude de parler de « l’apprentissage », comme s’il n’en existait qu’une forme. Or les mécanismes cérébraux ne sont pas les mêmes pour différents types d’apprentissages. Ainsi, dans les apprentissages du domaine affectif, des émotions, comme apprendre à aimer certaines choses et à en détester ou en craindre d’autres, les associations stimulus-réponse étudiées par Pavlov jouent un grand rôle, et certaines structures cérébrales (hypothalamus, amygdale) sont particulièrement impliquées. Un exemple récent illustre une méthode appropriée à la poursuite d’un objectif affectif, émouvoir le ministre de la Santé, par la visite d’un hôpital au bord de la saturation par des patients atteints de la Covid-192. Un hôpital de la région liégeoise a ainsi reçu, en novembre 2020, le ministre belge de la santé qui, interrogé juste après, n’a pu retenir ses larmes. Dans l’apprentissage des automatismes perceptifs, comme apprendre une langue ou apprendre à lire, et sensori-moteurs, comme apprendre à écrire ou à nager, ce sont les associations action-renforcement qui jouent un grand rôle. Les pionniers de leur étude sont Thorndike et Skinner. Pour certains de ces apprentissages, les processus sensoriels, le cervelet et le système nerveux périphérique sont très impliqués. Un exemple actuel illustre une méthode appropriée pour poursuivre un de ces objectifs sensorimoteurs : se laver efficacement les mains. Des institutrices maternelles remplacent l’eau du lavage des mains par des peintures de couleur (lavables ultérieurement à l’eau). Ainsi les enfants peuvent voir le résultat de leurs gestes : toute la surface des mains (y compris dans les plis) est-elle bien lavée (ici colorée) ? Pour les apprentissages cognitifs, comme comprendre des principes de la physique ou de la chimie ou de la biologie, c’est la construction individuelle de représentations et de modèles internes, étudiée par Piaget et les psychologues cognitivistes, qui est un mécanisme central, et les aires cérébrales associatives et frontales sont particulièrement impliquées. Un exemple actuel est celui de la conception que les personnes se font de la transmission du virus de la Covid-19 par le biais des expectorations. On les invite à dessiner le trajet des gouttelettes et des aérosols, puis à comparer leur dessin avec une vidéo réalisée en laboratoire3,4. Pour les apprentissages relationnels, identitaires (image de soi) et décisionnels, ce sont les échanges interpersonnels, décrits par les socioconstructivistes comme Vygotsky, Doise et Mugny, qui sont efficaces. L’apprentissage de ses propres limites, du besoin de la collaboration et de l’estime des autres établissent des liens entre des aires cérébrales cognitives et émotionnelles. Un exemple actuel est la résolution en équipe du problème de l’aménagement des zones « Covid » et « non-Covid » ainsi que des parcours ou des protocoles sanitaires nouveaux dans une unité hospitalière. Cette méthode du projet (collectif) a pour but de fortifier la solidarité entre les membres du groupe, la valorisation aux yeux de chacun de son utilité et de sa créativité, la confiance dans la capacité du groupe à affronter les défis, et le respect des règles que l’on a soi-même élaborées plutôt que celles imposées de l’extérieur. Avant de parler de méthode efficace ou de modalité d’évaluation pertinente, il importe donc de préciser de quel type d’apprentissage on parle.
Principe 7 – Une méthode d’apprentissage est une succession d’évènements ou actomes
Leclercq et Poumay (2005) ont proposé un modèle des évènements d’apprentissage et d’enseignement (EAE) [16] : les méthodes de formation y sont comparées à des molécules chimiques (très nombreuses et on en crée constamment de nouvelles) et les EAE, au nombre de 8 seulement, sont comparés aux atomes (une bonne centaine seulement). D’où le nom que je propose pour les désigner : actomes. Les combinaisons d’atomes forment les molécules et les combinaisons (d’ordre et de durée) d’actomes forment les méthodes d’apprentissage. Chaque actome a 2 faces : l’une présente les rôles de l’apprenant et l’autre les rôles du formateur/éducateur/enseignant (Tableau II). Un actome est un évènement repérable dans l’espace et dans le temps. Dans l’espace, on doit pouvoir identifier où il s’est produit et par qui ou chez qui. Dans le temps, on doit pouvoir en identifier le début et la fin, donc la durée et les diverses circonstances qui l’accompagnent. On peut représenter une méthode par le chronogramme des actomes [2] sur la ligne du temps pour un apprenant donné. Pour un formateur, on peut représenter la charge d’enseignement en dessinant un autre chronogramme qui inclut, outre les actomes vécus simultanément (en synchronie) avec l’apprenant, les actions de préparation (avant la coprésence avec les apprenants) et les actions de suivi (après cette coprésence). La durée des actomes vécus par un apprenant peut servir de mesure de sa charge de travail (mental) lors d’un épisode d’apprentissage. Dans le système ECT5, un « crédit européen » correspond à une durée de 24 à 30 heures de travail d’un étudiant en classe ou à domicile. On parle en termes d’activité mentale soutenue ou de temps de travail effectif, sans compter les interruptions de détente.
Principe 8 – Les évaluations diffèrent selon leurs visées et leurs précisions
Comme pour l’expression « les apprentissages », j’utiliserai l’expression « les évaluations ». En effet, il faut distinguer plusieurs types d’évaluations selon leurs visées et leur précision. On confond souvent les évaluations sanctionnantes, destinées à certifier ou sélectionner, avec les évaluations à précision sommative, qui se résument (se concentrent) en un seul mot ou un seul nombre (réussite, accepté, B, 65%, 11/20, avec honneur, etc.). On confond aussi les évaluations à visée formative (pour améliorer les apprentissages des formés ou pour améliorer la formation) avec les évaluations à précision diagnostique, qui fournissent les preuves, les explications causales et la réflexivité (métacognition). Ces évaluations doivent être classées dans les méthodes ! Il est vrai que la visée va souvent de pair avec la précision correspondante. Le portfolio peut avoir les deux fonctions avec, dans les deux cas, une volonté de précision diagnostique (l’apprenant doit fournir des preuves de ses observations, réalisations, réflexions).
Principe 9 – Des évaluations « 5 sur 5 » se conçoivent à 5 niveaux de profondeur et pour 5 types d’acteurs
Les évaluations (d’impacts) se déploient dans une « 3e dimension », la « profondeur », dessinée en perspective et constituée de 5 niveaux [20] : les 4 niveaux de Kirkpatrick [21] et celui des conduites en situation simulée, niveau que j’ai ajouté (Figure 2) :
- Profondeur 1 : la satisfaction des formés quant à l’utilité perçue de la formation, son déroulement, etc.
- Profondeur 2 : les acquis, les modifications en termes de compétences, de capacités, dans divers domaines (cf. Ascid). Par exemple, dans le domaine cognitif : « Évaluer les connaissances du patient est un acte qui garantit la sécurité » [22]. Cette phrase s’applique aussi aux soignants en formation initiale ou continue. La faculté de médecine de l’université de Maastricht a mis au point une stratégie originale d’évaluation des acquis appelée « tests de progression » [1], maintenant appliquée par la majorité des facultés de médecine des Pays-Bas.
- Profondeur 3 : les conduites en situation simulée, beaucoup utilisée dans des spécialités à haut risque comme le pilotage d’avion, la médecine, la pharmacie, ou encore les sciences infirmières. En particulier, la technique des examens cliniques objectifs structurés (Ecos) recourt à des jeux de rôle avec des patients simulés [1]. En médecine d’urgence, des mannequins (haute ou basse fidélité) permettent de vérifier l’appropriation de gestes, comme la réanimation cardiopulmonaire, l’aide à l’accouchement, etc. Des sites comme www.sauveunevie.be (films interactifs pour apprendre les gestes qui sauvent sur smartphone) permettent d’exercer et de mesurer la capacité de décider dans l’urgence6,7.
- Profondeur 4 : les conduites sur le terrain en conditions réelles, souvent observées plusieurs mois après la formation. En principe, cette observation se fait à l’insu de la personne dont la conduite est évaluée. En réalité, devant la difficulté à relever ces preuves, on recourt souvent à des témoignages, comme celui de supérieurs, de pairs ou de bénéficiaires (les patients par exemple). Il n’est pas toujours nécessaire de solliciter ces témoignages. Certains sont apportés spontanément, trop souvent les seuls négatifs. Ainsi, en 2014, Tamblyn et al. [23] ont publié les résultats d’une étude ayant recouru à une mesure d’impact particulière : les plaintes des patients. Ils ont calculé la relation entre le nombre de plaintes déposées pendant 10 ans et le score obtenu au volet « compétences cliniques » du test du Medical Council of Canada par plus de 3 000 médecins, révélant une relation significative entre les deux mesures.
- Profondeur 5 : les conséquences des conduites sur le terrain, leurs impacts sur les bénéficiaires (par exemple, sur les patients pour les actes des soignants, sur les formés ou les élèves pour les actes des enseignants). La littérature est remplie des liens entre des actes techniques relatifs à la santé et les conséquences en termes de guérison, d’amélioration, d’aggravation ou de décès. C’est le socle même de la médecine basée sur les preuves. En éducation thérapeutique du patient (ETP), des diabétologues [24,25] ont mesuré l’impact de camps de plusieurs jours pour enfants et adolescents diabétiques non seulement sur les quatre niveaux de profondeur précédents mais aussi sur les conséquences, chez les patients, en termes d’hémoglobine glyquée, d’hypo et hyperglycémies et de qualité (ressentie) de la vie. Dans bien des formations, on calcule aussi le coût de la formation et son impact financier sur l’entreprise (retour sur investissement) [26].
En plus de ces 5 niveaux de profondeur, qui peuvent être désignés par le sigle AACCC (avis, acquis, conduite simulée, conduite réelle, conséquences), on peut, et souvent on doit, considérer 5 types d’acteurs. En ETP par exemple, ces niveaux de profondeur s’appliquent non seulement aux patients, mais aussi à 4 autres catégories d’acteurs. Ainsi l’entourage du patient peut exprimer son avis sur la formation par les échos qu’il en a, sur ses propres acquis par ce que le formé lui a transmis, sur les conduites sur le terrain (par exemple qui, à la maison, prend désormais en charge le traitement du diabète de l’adolescent ?). Les soignants/éducateurs/formateurs peuvent avoir apprécié ou acquis des connaissances, modifié leurs conduites suite à l’ETP ou à la formation qu’ils ont menée auprès du (des) patient(s). De même, les 5 niveaux de profondeur de l’évaluation d’une formation peuvent être investigués auprès de l’institution locale (le service, l’hôpital, l’école), nationale (le ministère) ou internationale (l’Organisation mondiale de la santé…).
En formation, les liens de cause (la formation) à effets (ses impacts) sont souvent très difficiles à établir au-delà de la profondeur 2 (les acquis). En effet, à côté des soins directs (conduites sur le terrain réel) (Figure 4, 4b), les soignants sont amenés à compter sur les conduites des patients qui se soignent eux-mêmes (4a). Les soignants formés doivent ainsi à leur tour assurer des formations sous forme d’ETP. Le problème des évaluations est donc doublé. Les conséquences ultimes de la formation du soignant passent par les conduites des soignants sur le terrain (4b), mais les conséquences de l’ETP assurée par les soignants auprès des patients passent en plus par les conduites de ces derniers (4a). Ces effets « à double détente » sont de plus en plus nombreux à mesure que l’on s’éloigne de la formation dans le temps. L’expression « à double détente » évoque le rôle de relais que joue le soignant par l’ETP, l’acteur ultime étant le patient.
Principe 10 – La séquence « Cebomerior » et un formulaire sont des aides à la conception et à la communication
Un plan de formation (ou « engagement pédagogique », en anglais syllabus) donne aux futurs apprenants l’idée la plus précise possible de ce que seront les buts, les moyens, les évaluations de la formation, et les rôles et charges du formateur et de l’apprenant. Cette visibilité permet aux formés qui le veulent non pas seulement de suivre une formation, mais de la précéder, tout spécialement en ces temps de formation à distance et de classe inversée (où le formé se prépare, par exemple en prenant connaissance de la matière avant la rencontre avec le formateur). Le cahier des charges de la formation peut aussi préciser les coûts pour chacun, du bénéficiaire au promoteur. Les dix principes qui viennent d’être énoncés ont été l’occasion de présenter des concepts et des démarches dont devrait s’inspirer la conception du cahier des charges d’une formation résumé par l’acronyme Cebome (ci-après et Annexe I). Ces dix principes sont aussi la base de l’évaluation du cahier des charges (Annexe II). L’évaluation des impacts de la formation exécutée peut être consignée dans les étapes Rior du rapport de formation. Le lecteur découvre progressivement la signification des lettres qui forment l’acronyme Cebomerior. Les sections qui précèdent présentent le formulaire (Tableau III) pour décrire les 6 étapes de la phase de conception (Cebome) d’un cahier des charges avec des exemples, incomplets, portant sur des soignants à domicile8. Alternent des introductions et des portions de formulaire conçues pour que tout concepteur puisse garder les titres des rubriques (colonne de gauche) et remplacer les exemples (colonne de droite).
Conclusions
Les numéros (de 1 à 10) des principes n’ont pas d’importance ; on peut en changer l’ordre. L’acronyme Cebome n’a rien de sacré non plus, des étapes peuvent être ajoutées et les titres changés. Ces 10 principes et ces 6 étapes de la conception d’une formation (Cebome) ont pour but de clarifier plusieurs autres activités liées à la formation. Ainsi, ils clarifient la mise en œuvre de la formation par les acteurs impliqués dans les 4 étapes suivantes (Rior) : réalisation des ressources matérielles et humaines ; intervention (comment cela s’est vraiment déroulé, les acteurs, leurs actions) ; observations (données détaillées [quantitatives], anecdotes et incidents critiques [qualitatifs]) ; régulation (améliorations à apporter au dispositif de formation, conception et mise en œuvre – c’est la définition originelle de l’expression « évaluation formative » créée par Scriven en 1967 [27]). Comme pour les étapes de la conception (Cebome), le producteur peut exiger que certaines rubriques de ces 4 étapes (Rior) soient décrites de façon plus détaillée que d’autres (par exemple les coûts) ou, au contraire, en omettre certaines. Il est souhaitable pour les partenaires (du producteur aux acteurs) que le concepteur présente une analyse de faisabilité des solutions proposées dans la partie OME dans un schéma de type SWOT (strengths, weaknesses, opportunities, threats – forces, faiblesses, opportunités, menaces). Les 10 principes et les 6 étapes Cebome clarifient aussi l’évaluation du cahier des charges, qui peut être jugé avant sa mise en œuvre, non pas en rendant une note unique mais à la lumière de chacun des 10 principes évoqués. Ce qui peut donner lieu à un profil d’évaluation, et affiner, pour certains aspects pédagogiques, les 32 indicateurs d’appréciation du décret n° 2019-565, afin de répondre au défi de « l’introuvable qualité en formation » [28]. On trouvera à la fin de l’article de Fabry [29] une liste de facteurs indépendants de la volonté du formateur qui ont une influence sur les impacts de la formation. Enfin, ces 10 principes et 6 étapes clarifient les discussions et les débats. Par cet article, j’ai essayé de répondre à l’injonction de Voltaire « Si vous voulez discuter avec moi, commencez par définir vos termes » et à l’avertissement de Camus « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde ». Or de la discussion peuvent résulter les compréhensions mutuelles et jaillir les nécessaires innovations.
« Tout l’monde est demandé au parloir » (Raôul Duguay).
Notes :
1- Voir aussi : https://www.youtube.com/watch?v=zBo4xr4CB1E&feature=youtu.be (Consulté le 18/11/2020).
2- Coronavirus disease 2019, maladie à coronavirus 2019.
3- https://www.quechoisir.org/actualite-covid-19-comment-l-infection-se-propage-a-plus-d-un-metre-n83487/ (Consulté le 19/11/2020).
4- https://www.ccn.com/japan-scientists-find-new-transmission-route-of-coronavirus-in-breakthrough-study/ (Consulté le 19/11/2020).
5- European credit transfer system : système européen de transfert et d'accumulation de crédits.
6- https://www.caresimulation.uliege.be/cms/c_3474828/fr/portail-centre-de-simulation-medicale (Consulté le 19/11/2020).
7- https://www.caresimulation.uliege.be/cms/c_4227010/fr/sauve-une-vie-2 (Consulté le 19/11/2020).
8- Inspiré du travail de Valérie-Anne Constant, diététicienne-nutritionniste, communication personnelle.