Introduction
Dès les années 1980 sont décrits des cas d’infections associées aux soins (IAS) (alors encore appelées infections nosocomiales) liés à une contamination d’origine hydrique mais il était toujours difficile d’établir indiscutablement le rôle direct des points d’eau dans la contamination des patients. C’est dans les années 1990 que la thématique a été reconnue en France, en particulier avec l’épidémie à Mycobacterium xenopi, dite de la Clinique du Sport, de 1993 à 1999 [1]. Un premier cas d’ostéomyélite après nucléotomie sous endoscopie a été signalé en juin 1993, donnant lieu à des investigations qui ont permis de retrouver 9 cas, tous opérés sous endoscopie dans cet établissement de 1988 à 1993. Ils se sont révélés être liés à un rinçage final des endoscopes avec de l’eau faussement considérée comme « stérile » et contenant une mycobactérie « atypique » à croissance lente, Mycobacterium xenopi, également présente dans l’eau du réseau de la Ville de Paris. En 1995, 10 nouveaux cas ont été diagnostiqués, tous opérés durant la même période, ce qui a entraîné des investigations plus poussées qui ont permis de détecter 30 cas supplémentaires entre 1995 et 1997, puis 14 autres par imagerie par résonance magnétique, portant le total à 58 cas d’infection. C’est à ce moment-là que se concrétise une réflexion collective sur la qualité de l’eau utilisée dans les établissements de soins, réflexion accélérée en France par la « célèbre » épidémie de légionellose à l’ouverture de l’Hôpital européen Georges-Pompidou à Paris, avec 11 cas entre décembre 2000 et juin 2001, dont 5 décès [2]. Ceci entraîne pour la première fois l’utilisation à large échelle de filtres au point d’usage, qui à l’époque doivent être changés deux fois par semaine. Le retentissement médiatique de ces deux « affaires » conduit le ministère de la Santé à constituer un groupe de travail pluridisciplinaire chargé de la préparation d’un guide technique et à publier plusieurs circulaires relatives à la prévention de ces infections liées à l’eau, avant la publication in extenso de L’Eau dans les établissements de santé en 2005 seulement, en raison des conséquences techniques et financières induites [3]. Simultanément à la rédaction de ce guide se précise le rôle des points d’eau, en particulier pour les infections à Pseudomonas aeruginosa [4,5,6,7,8,9,10,11] et autres. Débutent ensuite des études cliniques à partir des années 2010 dont les résultats montrent qu’environ 50% des infections à Pseudomonas aeruginosa (avec de grandes différences selon les services) sont liées à une provenance hydrique de la bactérie au sein de la chambre ou de l’unité [12,13,14]. D’autres études vont tendre à étudier par des approches statistiques les différences d’incidence selon les services et les méthodes de travail dans ces unités [15], ce qui débouchera sur des méthodes de prévention. Deux excellentes revues bibliographiques de Kanamori et al. [16] et de Spagnolo et al. [17] font le point sur les micro-organismes pathogènes opportunistes rencontrés dans les réseaux d’eau hospitaliers et chez les patients les plus fragiles, leur existence au sein du biofilm, écosystème qui favorise leur développement et leur protection, les différentes voies de contamination des patients, les infections rencontrées et les différents moyens de prévention. Par ailleurs, la notion de « biofilm » inhérent à toute situation de contact entre micro-organismes en milieu hydrique et support est alors connue de tous : ceci s’est logiquement accompagné de mesures destinées à prévenir les conséquences néfastes de son développement dans les réseaux de distribution d’eau. L’objectif de ce travail est de synthétiser les recommandations du guide technique L’Eau dans les établissements de santé, puis les connaissances acquises sur la filtration au point d’usage (FPU) dans la perspective d’une actualisation de ces recommandations prenant en compte l’évolution technologique.
Le guide L’Eau dans les établissements de santé et l’eau bactériologiquement maîtrisée
Les objectifs du guide de l’eau, qui semble avoir été précurseur à l’échelle internationale dans le contexte des connaissances scientifiques de l’époque, étaient de :
- faire prendre conscience aux acteurs du système de santé que les progrès de la technologie et la dangerosité des risques inhérents aux soins et la vulnérabilité des patients impliquaient d’utiliser autre chose que l’eau du robinet « conforme à la norme de potabilité » ;
- identifier les micro-organismes les plus dangereux et les principaux risques infectieux liés aux différents usages de l’eau lors des soins ;
- proposer des pistes pour organiser de manière adéquate la stratégie de réduction de ces risques ;
- fournir des recommandations quant aux différentes qualités d’eau à utiliser selon les types de soins ;
- définir un certain nombre de règles techniques pour la conception et l’entretien des réseaux de production et de distribution d’eau.
Certains éléments de ce guide rédigé il y a plus de 25 ans sont périmés en raison des importants progrès scientifiques et techniques réalisés depuis sa préparation, justifiant une réactualisation. Ceci est particulièrement vrai pour l’utilisation des filtres au point d’usage. Différentes catégories d’eau avaient été définies ainsi que leurs usages en prenant en compte le statut immunologique de patients de plus en plus fragiles, la notion de critères de qualité en fonction des différents usages et la définition de paramètres indicateurs permettant un suivi de leur qualité : l’eau au point d’usage, l’eau pour les soins standard, l’eau bactériologiquement maîtrisée et d’autres qualités pour des usages très spécifiques. Au sein des différentes catégories d’eau ainsi définies, la qualité dite Q.2. correspond aux eaux distribuées après traitement dans l’établissement de façon à respecter des critères de qualité liés à leur usage : soin, rinçage du matériel, eau chaude sanitaire, etc. Dans ce chapitre Q.2. apparaît la catégorie Q.2.1. « Eau bactériologiquement maîtrisée » à utiliser pour les patients à risque ou pour des soins à risque dont une liste assez exhaustive a été fournie, ainsi que la catégorie Q.2.2. « Eau chaude dite sanitaire » liée au risque de légionellose. Ce sont celles qui ont fait l’objet du plus grand nombre de travaux pour le maintien de la qualité nécessaire à leurs usages sur le patient. Compte tenu des incertitudes encore nombreuses à l’époque et de la difficulté de conduire à terme une démarche d’évaluation du risque parfaitement étayée, il avait été décidé de proposer, outre des recommandations techniques, une solution plus pertinente en définissant trois niveaux de qualité (guide, alerte et action renforcée) pour chaque paramètre proposé, à l’image des feux tricolores pour la régulation du trafic. Cette démarche a été reprise à l’échelle internationale, ce qui permet de penser qu’elle n’était pas totalement dénuée d’intérêt. La création de l’« EBM » (eau bactériologiquement maîtrisée) a introduit la notion d’une eau plus sûre sur le plan du risque microbiologique. Elle correspond par exemple aux usages tels que le contact avec les muqueuses d’un patient, le rinçage final des dispositifs médicaux ou les soins des patients à haut risque (transplantation, immunosuppression, corticothérapie prolongée…). Pour l’obtention de cette qualité d’eau, il avait été initialement recommandé d’utiliser un traitement chimique ou physique (filtration, rayons ultraviolets, chaleur). L’expérience et les progrès technologiques réalisés ont montré que, dans la très grande majorité des indications, la filtration au point d’usage était la solution la plus sûre, peu coûteuse et de mise en œuvre simple. En effet les solutions techniques disponibles, ébullition puis refroidissement, hyperchloration suivie d’une déchloration sur charbon activé, conduisaient à un risque de recontamination incompatible avec certains des usages.
La filtration au point d’usage pour l’obtention d’une eau bactériologiquement maîtrisée
La filtration utilise un support au travers duquel le flux de liquide s’écoule de façon perpendiculaire ou tangentielle. Le diamètre des pores a un rôle fondamental dans la rétention des particules et des micro-organismes mais la fixation des bactéries et autres micro-organismes sur la surface est aussi fonction d’un certain nombre de liaisons physicochimiques et d’interactions. Cette fixation liée à des forces d’interaction entre molécules des surfaces et des micro-organismes est un attachement réversible. Elle devient un attachement irréversible qui peut être passif ou actif, alors lié à une activité métabolique (accrochage). Elle peut également être plus ou moins ferme selon les forces d’interaction qui entrent en jeu, certains micro-organismes adhèrent mieux que d’autres au sein d’une population par la présence d’une capsule, la synthèse d’exopolysaccharides de type « slime », etc. À ceci s’ajoute la matière organique contenue dans l’eau qui va provoquer un phénomène d’obstruction de la surface du filtre et de ses pores. Ce phénomène de colmatage va diminuer le débit de filtration jusqu’à une rupture si la pression est suffisante. Certains processus de filtration peuvent inclure un cycle de décolmatage (p. ex. rinçage à contrecourant, remise en suspension…) pour allonger leur durée d’utilisation. Plus la surface filtrante est grande, plus la durée d’utilisation du filtre sera longue avant colmatage à qualité d’eau égale. De même, la filtration tangentielle, par exemple sur des nanotubes, permettra des performances supérieures en limitant l’encrassement des membranes par rapport à une filtration frontale. La qualité du filtre est aussi fonction de l’étanchéité entre filtre(s) et carter ; ce « potting » est réalisé avec une colle adéquate (et conforme aux critères fixés pour les matériaux étant au contact avec l’eau destinée à la boisson). Cette étanchéité est essentielle pour éviter la création de « fuites » et le passage de micro-organismes évitant le filtre par écoulement préférentiel. Deux types de filtres sont successivement apparus dans les usages hospitaliers : ceux placés dans un carter inséré dans la ligne de distribution d’eau, en amont du robinet, puis ceux dits terminaux, fixés sur les robinets ou remplaçant les pommes de douche, communément désignés comme filtres au point d’usage (ou point of use filters – POUF). Les indications de ces deux systèmes de filtration sont différentes :
- les gros carters insérés avant le robinet sont indiqués pour la filtration de grands volumes, par exemple pour le remplissage d’une baignoire (excision des plaies chez les grands brûlés, bain d’un enfant immunodéprimé, etc.) mais présentent l’inconvénient de la possible rétro-contamination du volume mort entre le filtre et le point d’usage ;
- les plus petits filtres terminaux fixés directement sur le robinet, qui limitent très fortement ce volume mort mais ne sont, malgré tout, pas à l’abri de cette rétro-contamination par des aérosols créés par rebond de l’eau sur les siphons de lavabo qui sont des nids à micro-organismes pathogènes d’origine hydrique. Bien utilisés et entretenus, ces FPU sont actuellement la meilleure solution technique pour produire une EBM utilisée pour les soins aux patients immunodéprimés, le rinçage des dispositifs médicaux non stériles pour les actes à risque (filtres tous germes) ou la prévention de la légionellose lors de la douche.
Un consensus est rapidement apparu pour produire des filtres dont la porosité était de 0,2 μm, assurant l’élimination des pathogènes opportunistes rencontrés en milieu de soin. Les premiers filtres terminaux étaient réutilisables par restérilisations successives [18] mais finissaient par laisser passer des bactéries avec l’augmentation du nombre de stérilisations. Les filtres à usage unique se sont imposés en raison de l’augmentation de leur durée de vie et de la diminution de leur coût unitaire. Si en 2000 un filtre au point d’usage devait être changé deux fois par semaine car non certifié pour une durée plus longue, on trouve maintenant sur le marché des filtres certifiés pour des usages d’un à plusieurs mois. Actuellement les essais de « qualification » des filtres sont effectués selon la norme ASTM1 F838-15a [19] qui prend en compte un abaissement logarithmique de cocktails bactériens dont la bactérie de plus petite taille est Brevundimonas diminuta. Les filtres d’une porosité de 0,2 µm subissent actuellement ce test avec succès. Ces essais sont aussi réalisés avec Legionella pneumophila et Pseudomonas aeruginosa, dont la rétention est toujours parfaite en raison de leur taille supérieure. Cependant des données de terrain et bibliographiques récentes montrent parfois le passage possible de bactéries plus petites (microcells), dont Brevundimonas vesicularis, sans qu’il soit actuellement possible de dire si ceci est uniquement dû à la morphologie particulière de ces micro-organismes ou à une dégradation des propriétés de filtration au cours du temps, éventuellement liée à la présence de désinfectants ou à l’effet de la température. Ainsi, dès 2004, Hahn [20] rapportait la présence de diverses bactéries viables (19 taxons) à travers des filtres de 0,2 µm et concluait son article par l’affirmation que les microbiologistes pouvaient largement sous-estimer la diversité des bactéries susceptibles de passer à travers ce type de filtres. Kaushal et al. [21] ont également décrit le passage de Serratia marcescens et Brevundimonas diminuta, de façon inconstante, à travers des filtres de 0,2 µm. En conséquence, les spécialistes des tests de filtration se sont tournés vers de nouvelles bactéries pour tester les filtres quantitativement, telles Hydrogenophaga pseudoflava pour Lee et al. [22]. En 2018, Ryan et Pembroke [23] ont fait une revue de la littérature sur les cas d’infection à Bremundimonas spp. décrits dans 49 publications. Cette revue montre que Brevundimonas vesicularis (71% des cas) peut maintenant être considéré comme un pathogène opportuniste émergent non dénué de virulence pour des sujets immunodéprimés. B. diminuta apparaît, lui, surtout comme associé à des pseudo-épidémies sans grand pouvoir pathogène. Aussi des discussions sont-elles en cours pour « durcir » les conditions d’essai selon cette norme, avec des cycles de fonctionnement du filtre dans diverses situations de température et de présence de désinfectant avant qu’il ne subisse le « challenge test » avec probablement un micro-organisme plus fin que B. diminuta, faisant partie des « ultramicrocells ».
Les études techniques et cliniques montrant l’efficacité des filtres au point d’usage
Le risque infectieux lié aux bacilles à Gram négatif tels que Pseudomonas aeruginosa, choisi initialement comme indicateur en raison de sa grande fréquence de présence dans les réseaux d’eau à l’hôpital, n’est plus à démontrer. Mais ce type d’infection touche d’autres patients que ceux des unités de soins intensifs (USI) et d’autres types de soins (grands brûlés, prématurés, personnes immunodéficientes…). De nombreuses familles de bactéries à tropisme hydrique peuvent aussi être en cause telles que Acinetobacter, Enterobacteriaceae, Burkholderia, Sphingomonas, etc. également capables de devenir résistantes aux antibiotiques. La protection des patients est réalisée par l’éloignement des points d’eau et l’équipement de ceux-ci de filtres terminaux tout en tentant de limiter le risque lié aux aérosols générés à partir des siphons. Selon le principe de précaution, la valeur retenue pour l’EBM en Pseudomonas aeruginosa avait été fixée dans le guide à la limite de détection (LD=1 UFC/100 ml). La plus récente réglementation britannique de 2012 a repris le principe des trois niveaux : valeur guide <LD, niveau d’alerte entre 1 et 10 UFC/100 ml, action renforcée si >10 UFC/100 ml. De très nombreuses publications ont montré l’efficacité de ces filtres et leur aptitude, s’ils sont bien entretenus, à délivrer une EBM (absence de germes pathogènes opportunistes mais eau non stérile, laquelle ne peut se concevoir qu’au sein d’un container étanche jusqu’à son ouverture). Nous ne citerons ici, sur le plan technique, que les études princeps d’Ortolano et al. [24], Salvatorelli et al. [25] et Sheffer et al. [26], toutes publiées en 2005 et ciblant préférentiellement l’élimination de Legionella pneumophila. La gamme des micro-organismes dont l’élimination a été validée s’est ensuite élargie, et c’est dans ce contexte que l’usage de filtres « tous germes » au point d’usage s’est progressivement imposé comme la solution la plus simple et la plus fiable pour la prévention des IAS pour les patients à risque et à haut risque dans les USI et autres services à risque [27].
Les patients considérés à haut risque sont ceux hospitalisés dans des services spécifiques pour le traitement des leucémies avec greffe, la transplantation d’organe ou le traitement lourd pour cancer ou troubles immunitaires graves. Les patients à risque sont ceux hospitalisés dans les services de soins intensifs où les cathéters et la ventilation artificielle constituent des points d’entrée pour les germes aérosolisés dans la chambre ou lors de la toilette de ces patients inconscients. Il est alors le plus souvent posé un FPU robinet et/ou douche. Les réseaux de ces services sont régulièrement contrôlés et les germes éventuellement isolés doivent être comparés par des techniques moléculaires à ceux isolés chez les patients lors des prélèvements de routine (souvent hebdomadaires) pour dépister une contamination de ceux-ci ou en cas d’infection cliniquement ou microbiologiquement confirmée. La première démonstration clinique d’efficacité en USI est due à l’équipe de Trautmann à Stuttgart en 2005 [28]. Il est à noter que, jusqu’à aujourd’hui, aucune étude publiée ne correspond à un « vrai » essai clinique avec randomisation et en double aveugle : ce sont toutes des séries chronologiques. Cette publication constitue donc une étape clef sur ce sujet. Y sont présentées les données préliminaires d’observation de la chute du nombre de patients infectés ou contaminés après pose systématique de filtres terminaux dans une USI chirurgicale. Ces résultats sont détaillés avec une analyse statistique dans une publication de 2008 [29]. Le nombre d’épisodes d’infection ou de contamination diminue de 85% (P<0,001%) par analyse descriptive pré/post pose de filtres terminaux. Vianelli et al. [30] rapportent ensuite les résultats obtenus dans un service d’hématologie en Italie avec une diminution progressive de l’incidence des infections, ce qui montre l’implication d’autres facteurs de contamination. Une étude américaine par Cervia et al. [31] en 2010 montre la réduction des IAS chez des receveurs de moelle par la filtration de l’eau aux points d’usage. Lors de cette étude observationnelle portant sur le taux d’infection durant 16 mois avant la pose de filtres puis durant les 9 mois suivants, les incidences des infections totales et de celles à bacilles à Gram négatif sont respectivement passées de 1,4 et 0,4 pour 100 jours d’hospitalisation à 0,18 et 0,09 (p=0,007 et p=0,004). Les filtres ont significativement diminué l’incidence des IAS chez ces patients greffés tandis qu’il persistait un fond d’infections non liées à l’eau. Zhou et al. [32] ont publié en 2014 un travail réalisé à Shanghai dans un service de transplantation hépatique. Seulement 27% des points distaux du service ont été équipés de filtres, cependant l’incidence des colonisations et infections par bacilles à Gram négatif a baissé de 47% durant la période de 4 mois suivant l’installation de ceux-ci par rapport à celle des 4 mois précédents (incidence 1,7/1 000 jours par rapport à 3,2/1 000 jours d’hospitalisation, p=0,06). La même année est publié un essai de courte durée réalisé dans un hôpital hongrois [33]. Dans ce service de soins intensifs caractérisé par une haute prévalence des cas d’infection à Pseudomonas aeruginosa, des filtres ont été installés pendant un mois sur tous les robinets, avant retour à une période sans filtration. De 2,7/100 jours/patient pendant une période de deux ans, l’incidence est tombée à zéro avant de remonter immédiatement après l’enlèvement des FPU. Cette étude a priori démonstrative est cependant loin d’être satisfaisante sur le plan méthodologique, avec une incidence en période sans filtre très élevée, de l’ordre de 10 fois supérieure à celles décrites dans d’autres USI. Lors d’une épidémie liée à Pseudomonas aeruginosa dans une USI de néonatologie, l’utilisation de FPU a démontré son efficacité préventive puisque les nouveau-nés traités dans des locaux avec EBM avaient un risque relatif d’être infectés significativement moins important que celui des autres après ajustement sur l’âge gestationnel [34]. À la même période, Garvey et al. [35] démontrent l’efficacité combinée de filtres installés dès 2014 et, à partir de 2016, d’interventions sur les robinets et d’une meilleure gestion des eaux usées provenant des soins aux patients d’une USI de l’hôpital Queen Elisabeth de Birmingham. Alors que les études des souches de Pseudomonas aeruginosa par techniques moléculaires avaient démontré qu’environ 30% des souches isolées chez les patients provenaient du réseau d’eau, ces interventions combinées ont permis de diminuer de 50% les isolements de ce germe chez les patients en un an (p<0,0001). Dans une publication de 2018, Shaw et al. [36] rapportent les résultats de leur stratégie pour réduire les infections à bacille à Gram négatif multirésistants dans l’USI d’un hôpital de Barcelone de 2011 à 2016. Il s’agit là aussi d’interventions combinées mises en place progressivement sur la période, incluant en 2014 la solution drastique de supprimer tous les lavabos des chambres et de n’utiliser que de l’eau filtrée provenant de postes centralisés, les eaux usées des soins aux patients étant éliminées en dehors des chambres. L’incidence des complications infectieuses a été fortement réduite, passant de 9,15 à 2,20/1 000 jours/patient, différence hautement significative. Enfin l’étude de Baranovsky et al. [37], bien que centrée sur la recherche de voies de contamination résiduelles à bacilles à Gram négatif en hématologie au centre hospitalier universitaire de Montpellier, démontre l’efficacité des filtres. Bien que tous les points d’eau soient filtrés, avec une efficacité de rétention validée par suivi analytique, il persistait, dans ce service, des contaminations et infections par bacilles à Gram négatif. Un énorme travail de traçage par prélèvements et analyse par biologie moléculaire a permis de retrouver les voies de transmission à partir de l’eau produite par deux robinets non équipés de filtres situés dans des pièces communes. Ceci illustre bien la nécessité d’équiper tous les points d’eau de l’USI.
Discussion
La préparation du guide technique L’Eau dans les établissements de santé au début des années 2000 correspondait avant la lettre à la démarche préconisée par l’Organisation mondiale de la santé des « water safety plans » (plans de sécurité de l’eau), démarche d’évaluation des risques reprise dans la directive européenne sur la qualité des eaux destinées à la boisson, déclinée depuis dans la réglementation de nombreux pays. Ceci ne peut que conforter cette réflexion, qui préconisait la création d’un comité « eau » associant les différents acteurs impliqués au sein de l’établissement de soins, une bonne connaissance des réseaux, la détermination des points critiques et leur suivi technique et analytique sur la base de certains indicateurs simples (température, flore revivifiable, Pseudomonas aeruginosa), et la poursuivre en prenant en compte les dangers microbiologiques nouvellement décrits. Ceux-ci, tels que les amibes libres susceptibles d’héberger des agents pathogènes bactériens ou viraux, les biofilms, la résistance aux agents antimicrobiens, la flore viable non cultivable, etc. seront importants pour améliorer la prévention des infections associées aux soins dues à des pathogènes d’origine hydrique. Cette démarche de type assurance qualité amenant à bien connaître les réseaux et leurs points critiques, en particulier dans les services hébergeant les patients les plus à risque avec mise en place d’une surveillance de la qualité par prélèvements, a conduit à une amélioration indiscutable, comme en témoigne la rareté actuelle des cas hospitaliers de légionellose. Cependant la maîtrise du risque ne doit pas reposer principalement sur ce contrôle microbiologique, mais sur une conception et une maintenance des réseaux sans faille, et sur la surveillance des souches isolées chez les patients et de celles retrouvées dans l’eau pour comparaison et traçage des IAS d’origine hydrique. Pour les usages les plus à risque et pour les patients les plus immunodéprimés, la garantie de cette qualité repose de plus en plus sur l’utilisation de filtres dits terminaux fixés au point d’usage : robinet ou pomme de douche. Après une utilisation initiale pour la prévention de la légionellose lors de la douche, les indications se sont drastiquement élargies. Ces filtres équipent maintenant largement les USI d’adultes et de nouveau-nés, les services d’hématologie, de greffe et de brûlés. Dans toutes ces indications, les publications citées plus haut ont montré l’intérêt de cette protection et un rapport coût/bénéfice favorable, au point de devenir souvent un standard de soin malgré l’absence d’une étude répondant aux critères d’une étude clinique indiscutable sur le plan méthodologique. Cette stratégie doit s’accompagner d’une action pédagogique auprès de tous les acteurs, dont l’adhésion est indispensable au bon respect des indications par rapport au risque lié au patient et à l’acte, mais aussi au bon respect des mesures garantissant la qualité de l’eau produite par ces FPU. Ainsi, au fil des années, l’évolution technologique a permis de grandement améliorer la prévention des IAS d’origine hydrique grâce aux FPU. Cependant, des alternatives aux filtres terminaux commencent à apparaître. Ainsi Garvey et al. [38] ont récemment publié un travail où de nouveaux robinets démontables et désinfectés en machine ont remplacé les robinets fixes dans une USI au Royaume-Uni. Le suivi microbiologique réalisé auparavant avait montré un taux de positivité des robinets de 30% en Pseudomonas aeruginosa. Ce taux est tombé à zéro après le remplacement, et celui des isolats cliniques a diminué de 50%. Les filtres eux-mêmes mériteront d’être encore améliorés en termes de fiabilité, comme l’a démontré l’étude de Florentin et al. [39] qui a retrouvé dans certains cas des micro-organismes dans l’eau après filtre. Il conviendra à l’avenir de savoir si ceci est dû à un passage au travers de la membrane lié à une évolution péjorative de celle-ci dans le temps, ou à une rétro-contamination à partir des aérosols générés à partir des siphons dont il faut souhaiter la disparition dans les locaux les plus à risque. Le « durcissement » des conditions d’essai des filtres et des garanties quant à leur fabrication sont à l’étude de façon à assurer une sécurité croissante pour les utilisateurs.
Conclusion
En quelques décennies, la notion d’infection associée aux soins (IAS) d’origine hydrique a été largement prise en compte dans tous les établissements de santé à partir d’une abondante littérature, consacrée initialement à Legionella pneumophila et à Pseudomonas aeruginosa. L’Europe y a pris une part prépondérante mais les États-Unis rattrapent vite leur retard. Pour la prévention de ces IAS, la création d’une équipe dédiée et un suivi de la qualité des réseaux selon les indications de leurs usages dans les divers services de soins sont devenus une recommandation internationale et ont servi de base à la mise en œuvre de « water safety plans ». Dans ce cadre, pour les usages les plus à risque et les patients les plus fragiles, l’utilisation de filtres au point d’usage (FPU) s’est largement répandue. Après les filtres réutilisables et restérilisables, l’évolution technologique permet aujourd’hui de disposer de filtres à usage unique d’un prix accessible pour une durée d’utilisation pouvant atteindre plusieurs semaines à plusieurs mois selon les indications. Il semble logique de penser qu’un FPU destiné à prévenir la légionellose dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes pourra avoir une plus longue durée d’utilisation qu’un FPU placé dans une chambre d’unités de soins intensifs hébergeant un patient immunodéprimé pour lequel le risque infectieux est lié à d’autres pathogènes opportunistes d’origine hydrique. D’autres progrès sont encore en vue sur le plan de la fiabilité de ces filtres grâce à des conditions de test et de fabrication plus sévères dans le cadre de leur certification. Le guide L’Eau dans les établissements de santé doit être actualisé car, si les principes qui ont guidé ses rédacteurs restent d’actualité et, par exemple, ont été repris assez récemment dans les recommandations de diverses instances américaines, certains aspects techniques sont obsolètes. Les progrès scientifiques et techniques doivent conduire à la révision des recommandations relatives aux matériaux et aux méthodes de désinfection, et plus largement de traitement des eaux, y compris l’usage des FPU. Ceux-ci, par exemple, n’avaient une durée de vie que de quelques jours alors qu’elle peut maintenant atteindre plusieurs semaines voire plusieurs mois, tandis que leurs indications se sont largement étendues, de la prévention de la légionellose lors d’une douche avec une eau chaude contaminée, à la prévention des complications infectieuses lors des soins au patient en USI et autres services à risque et haut risque.
Note :
1- American society for testing material : société américaine pour les essais de matériaux.