Les cathéters centraux veineux, artériels ou de dialyse sont insérés chez les trois quarts des patients de réanimation. Les complications associées à l’utilisation des cathéters sont non seulement infectieuses mais aussi liées à l’insertion et à la thrombose des vaisseaux. Ces complications nosocomiales sont associées à une morbi-mortalité élevée [1]. Or il faut garder à l’esprit que la part évitable de ces complications est très élevée, plus élevée que celle d’autres infections nosocomiales fréquentes. Enfin, les processus d’amélioration continue de la qualité, lorsqu’ils sont mis en place localement et intègrent les nouvelles techniques et matériaux, sont souvent couronnés de succès. La Société de réanimation de langue française (SRLF), en association avec deux autres sociétés de médecine intensive, a récemment préparé de nouvelles recommandations formalisées d’experts permettant de faire le point sur les pratiques susceptibles de réduire les risques associés aux différents types de cathéters vasculaires en prenant en compte la prévention, la surveillance et le traitement [2]. La revue de la littérature scientifique a porté sur les articles en anglais ou français référencés par PubMed ou la Cochrane Library pendant la période allant de 1980 à 2018. Le groupe d’experts a formulé des questions concernant certaines interventions selon le modèle Pico1 [3]. Puis la méthode Grade2 a été utilisée pour qualifier le niveau de preuve des recommandations [4]. Cet article présente les éléments clés de ces recommandations pour la prévention des complications infectieuses associées aux cathéters chez l’adulte.
Mesures générales : organisation et qualité des soins
Il convient au préalable de formuler un message central. La prévention des infections liées aux cathéters repose sur un bouquet de mesures générales largement validées, comprenant entre autres l’hygiène des mains, l’asepsie chirurgicale à la pose, l’ablation systématique des cathéters inutiles et le changement immédiat des pansements s’ils sont souillés ou décollés [1]. L’appropriation de ce bouquet de mesures est un élément majeur d’efficacité. Il doit être inclus dans tout programme d’amélioration de la qualité discuté et amélioré localement et conjointement par l’équipe médicale et paramédicale (Figure 1). Dans le cadre des recommandations de la SRLF, deux éléments dans ce sens ont été particulièrement retenus :
- Il faut instaurer un programme d’amélioration de la qualité des soins au sein des services de réanimation pour réduire les bactériémies liées aux cathéters veineux centraux (Grade 1+, accord fort).
Et comme on ne prête attention qu’à ce que l’on mesure, il est indispensable de surveiller les taux d’infection et, de façon au moins aussi importante, de surveiller la procédure de soins. Un taux acceptable de « bactériémies liées aux cathéters » doit être inférieur à 1/1 000 journées de cathétérisme. Au-delà, les efforts sont nécessaires et ils seront très certainement couronnés de succès.
- Les experts suggèrent que l’appartenance des services de réanimation à un réseau de surveillance permet de limiter l’incidence des infections (avis d’experts).
L’insertion des cathéters
Concernant l’insertion des cathéters veineux (Figure 2), les recommandations de la SRLF mentionnent :
- Pour diminuer le risque d’infection associée au cathéter veineux, il faut utiliser la voie sous-clavière plutôt que la voie fémorale ou jugulaire, en l’absence de contre-indication. Cette recommandation ne s’applique pas aux cathéters veineux utilisés pour l’épuration extrarénale. (NB : les études ont été réalisées en l’absence d’abord systématique par ultrasons lors de la pose de la voie d’abord jugulaire ou fémorale) (Grade 1+, accord fort).
- Il ne faut probablement pas préférer la pose d’un cathéter central par abord jugulaire interne par rapport à un abord fémoral afin de diminuer le taux d’infection (Grade 2-, accord fort).
Les données de la littérature ne montrent pas de différence de risque entre le site jugulaire et le site fémoral. Cependant la colonisation des cathéters de dialyse est plus importante en fémoral chez les patients obèses d’après une analyse en sous-groupe d’un essai contrôlé et randomisé [5] et la voie jugulaire est préférable à la voie fémorale pour les cathéters dont la durée d’insertion doit être supérieure à 5 jours, dans un modèle d’inférence causale post hoc d’un essai contrôlé randomisé [6].
Pour l’ensemble des trois voies d’abord, les experts ont recommandé l’insertion échoguidée pour réduire le nombre de complications mécaniques, le niveau de preuve étant plus élevé pour les cathéters jugulaires internes (Grade 1+) que pour les cathéters sous-claviers (Grade 2+) et les cathéters fémoraux (avis d’experts). Concernant l’impact de l’insertion échoguidée sur le risque de complication infectieuse, les données sont parcellaires et discordantes. Une analyse post hoc de trois études randomisées contrôlées a été publiée après la rédaction de ces recommandations [7]. L’analyse portait sur 5 502 cathéters fémoraux et jugulaires internes chez 4 636 patients (2 088 jugulaires, 1 733 fémoraux et 1 681 sous-claviers). L’insertion était échoguidée pour 2 147 cathéters. Pour les cathéters jugulaires et fémoraux, après pondération et ajustement utilisant un modèle d’inférence causale, l’insertion échoguidée était associée à un surrisque d’infection systémique (Hazard ratio [HR] : 1,55, IC953 [1,01-2,38] ; p=0,045) et d’infection bactériémique (HR : 2,21, CI/IC95 [1,17-4,16] ; p=0,014) liée aux cathéters. Le résultat de cette étude ne remet pas en question l’impact bénéfique de l’abord échoguidé sur les complications mécaniques. Il souligne cependant la nécessité d’une procédure d’asepsie rigoureuse de l’abord échographique incluant des champs stériles larges et des manchons stériles de protection de la sonde d’échographie incluant la tubulure la raccordant avec l’échographe.
Pour l’asepsie chirurgicale lors de la pose et sur la base de l’essai randomisé contrôlé Clean [8], les experts recommandent :
- Avant l’insertion d’un accès intravasculaire en réanimation, il faut utiliser une solution alcoolique de chlorhexidine à 2% plutôt qu’une solution alcoolique de povidone iodée pour diminuer le taux d’infections (Grade 1+, accord fort).
Sur la base de ce même essai, les experts ont aussi abandonné l’étape de détersion avant désinfection si la peau est macroscopiquement propre :
- Avant l’insertion d’un cathéter intravasculaire, il faut effectuer une désinfection en un seul temps pour diminuer le taux d’infection (Grade 1+, accord fort).
Pansement et entretien du cathéter
L’essentiel des recommandations pour l’entretien des cathéters est exposé dans la Figure 3. Concernant la réfection des pansements, les recommandations de la SRLF énoncent :
- Il ne faut probablement pas refaire le pansement avant le 7e jour sauf s’il est décollé, souillé ou imbibé de sang (Grade 2-, accord fort).
Cette recommandation est basée sur la pratique quotidienne. Une analyse post hoc de l’étude « Dressing4 » [9] a montré une relation quantitative entre le risque d’infection liée au cathéter et le nombre de pansements refaits pour décollement pendant la vie du cathéter (avec un Odds ratio [OR] de 2) ou la réfection du dernier pansement avent retrait pour décollement (avec un OR de 15).
Concernant l’utilisation de pansements avec des gels ou des éponges imprégnés de chlorhexidine, les experts proposent la formulation suivante :
- Il faut probablement utiliser des pansements imprégnés de chlorhexidine pour diminuer le taux d’infections liées au cathéter veineux central ou artériel (Grade 2+, accord fort).
Cette recommandation est basée sur les données de deux larges essais randomisés réalisés en réanimation [10,11]. Ces données sont confortées par l’analyse d’une large cohorte de patients effectuée à Genève [12]. Enfin une analyse post hoc des essais randomisés [13] suggère une efficacité identique des éponges et des gels à la chlorhexidine sur le risque infectieux. Il existe en revanche moins de décollements de pansement avec les gels (OR 0,72, IC95 [0,60-0,86] ; p<0,001), mais plus d’eczéma de contact (OR 3,60, IC95 [2,51-5,15] ; p<0,01).
Utilisation de cathéters imprégnés
Les experts se sont prononcés contre l’utilisation des cathéters imprégnés d’antiseptique ou d’antibiotique :
Il ne faut probablement pas utiliser les cathéters veineux centraux imprégnés par des antimicrobiens (antiseptiques ou antibiotiques) dans le but de diminuer la densité d’incidence des bactériémies (Grade 2-, accord fort).
En effet, une méta-analyse des essais randomisés et contrôlés [14] ne retrouvait pas de différence significative d’incidence des bactériémies liées aux cathéters exprimée pour 1 000 jours avec cathéter, ni de réduction de signes locaux. Chez l’adulte, les données publiées sont apparues insuffisantes pour formuler une recommandation concernant l’utilisation de cathéters imprégnés d’héparine pour prévenir le risque de thrombose.
Conclusion
Les données scientifiques disponibles montrent que, lorsqu’elles sont mises en place, ces mesures sont efficaces. Les recommandations formalisées d’experts de la SRLF ont actualisé, conforté ou précisé un certain nombre de mesures de prévention existantes. Mais c’est l’appropriation de ces recommandations qui est essentielle, par leur discussion au niveau des équipes médicales et paramédicales, aidées par les unités d’hygiène et par l’élaboration de recommandations locales, puis par leur mise en pratique et par l’évaluation de leurs résultats, éléments clés de la stratégie de prévention.
Notes :
1- Patient intervention comparison outcome.
2- Grading of recommendations assessment, development and evaluation.
3- Un intervalle de confiance à 95% contient cette valeur avec une probabilité de 95%.
4- Pansement.