Les spécificités des pathologies mentales conjuguées à l’architecture souvent pavillonnaire des établissements psychiatriques compliquent la mise en œuvre des bonnes pratiques de gestion des excreta [1], pourtant indispensable pour prévenir les épidémies de gastroentérites. Au centre hospitalier isarien (CHI)1 de Clermont de l’Oise, de telles épidémies surviennent périodiquement2. Afin d’y gérer les excreta en dépit de l’absence de locaux appropriés, de pièces dédiées et de lave-bassins, nous avons mis en place des solutions alternatives permettant d’éviter la diffusion des bactéries ; puis nous avons globalisé la démarche à l’ensemble de la prise en charge du patient selon cinq axes décrits ci-dessous. Cet article rapporte cette expérience.
La démarche
L’établissement est organisé en dix secteurs de psychiatrie adulte et trois sous-secteurs de psychiatrie infantojuvénile, répartis sur trois sites d’hospitalisation (850 lits), complétés par 108 structures extrahospitalières de proximité (centres médicopsychologiques [CMP], centres d’activités thérapeutiques à temps partiel [CATTP], hospitalisation à domicile [HAD], hôpitaux de jour [HDJ], foyers postcure, maisons communautaires, appartements à visée thérapeutique, établissements et services d’aide par le travail [Ésat], maisons d’accueil spécialisées [MAS]) qui assurent les soins tout au long du parcours du patient. Les pavillons les plus anciens du CHI ont été construits durant la seconde moitié du XIXe siècle. Ils ont accueilli la célèbre artiste-peintre Séraphine Louis dite « Séraphine de Senlis » jusqu’à son décès en 1942 [2].
Notre démarche globale s’est organisée autour de cinq axes :
1–Repérage des patients à risque BHRe : patients rapatriés ou ayant été hospitalisés à l’étranger dans l’année précédant leur admission au CHI
Une fiche de repérage des patients à l’admission (Annexe I) et son guide d’utilisation ont été élaborés afin d’évaluer, à l’unité d’accueil des urgences, le risque de portage de bactéries hautement résistantes émergentes (BHRe) ; de mettre en place les précautions complémentaires contact en cas de suspicion de portage et de programmer le premier écouvillonnage rectal de dépistage.
2–Optimisation des soins de nursing
Les patients de psychiatrie sont pour un nombre non négligeable d’entre eux désorientés, dépendants, incuriques, négligents, etc. Environ 10 % d’entre eux ont des problèmes d’incontinence et portent des changes. Ils nécessitent de ce fait des soins de nursing particuliers en lien avec l’incontinence. Pour cela, un état des lieux de l’utilisation des changes et des carrés de soins a été réalisé. Puis 39 référents « soins et gestion de l’incontinence » ont été désignés, avec trois missions : prévention, formation/information, et suivi/évaluation. Ceci a permis de mettre en place des actions correctrices, d’optimiser le choix des changes au cas par cas, et de proposer aux patients les plus autonomes des sous-vêtements absorbants. Entre 2015 et 2017, l’ensemble des référents « soins et gestion de l’incontinence » ainsi que 144 agents ont été formés. Enfin, des groupes de travail animés par les référents ont été mis en place pour élaborer des fiches de bonnes pratiques d’hygiène en soins de nursing.
3–Prévention de la constipation
La constipation étant un effet secondaire fréquent des traitements psychiatriques, un suivi journalier de l’émission des selles, à l’aide d’un calendrier, est réalisé par les soignants. La qualité des selles est évaluée à l’aide de l’échelle de Bristol [3] (Annexe II). La prescription médicale de laxatifs et de compléments alimentaires accompagne, si besoin, les traitements.
4–Amélioration de la gestion des excreta
Un état des lieux de la disponibilité des sacs protecteurs de bassins dans les différents services a été réalisé en 2016 : seuls la psychogériatrie et les ambulances en disposaient. La mise à disposition des sacs protecteurs de bassins avec gélifiant a donc été généralisée à tout l’établissement, et une sensibilisation à leur bonne utilisation a été réalisée par différentes sessions d’information et de formation. À ce jour 68 soignants ont été formés. Enfin, une évaluation de la présence des sacs protecteurs et des carrés de soins à usage unique a été réalisée dans 38 unités intrahospitalières du CHI lors d’un « diagnostic hygiène » : le taux de conformité était de 84 %.
5–Sensibilisation à l’importance de l’hygiène des mains des soignants et des patients
La mise en œuvre des précautions standards, et en particulier l’hygiène des mains, est primordiale en psychiatrie comme pour les autres soins [4]. Les patients du CHI ont été régulièrement sensibilisés à l’hygiène des mains à l’aide de différents supports, en particulier des sets de table présentant les situations où le lavage des mains est recommandé, comme à la sortie des toilettes ou avant de passer à table (Annexe III). Des journées d’information axées sur l’hygiène corporelle sont ponctuellement organisées par le service opérationnel d’hygiène hospitalière, avec la participation des patients (Figure 1) (Annexe IV). Des animations de sensibilisation sont proposées à différentes occasions, aussi bien aux soignants qu’aux patients : au cours de la traditionnelle journée mondiale de l’hygiène des mains, de la fête de la musique, de la semaine de la sécurité des patients, etc.
Particularité : l’utilisation des solutions hydroalcooliques par les patients ne peut se faire que sous le contrôle des soignants qui les dispensent individuellement, du fait d’une addiction à l’alcool chez certains patients. En revanche, les soignants les utilisent conformément aux préconisations officielles, au moins pour 83 % d’entre eux, comme le montre l’audit que nous avons réalisé en novembre 2017.
Conclusion
Notre démarche, initialement ciblée sur la gestion des excreta proprement dite, s’est rapidement révélée trop restrictive. Ceci nous a conduits à réfléchir à la concrétisation d’une vision plus globale du risque infectieux, au cours de la prise en charge spécifique aux patients de psychiatrie, selon les cinq axes présentés ci-dessus. Cela nous a notamment permis de sensibiliser les soignants à l’importance de l’observance de l’hygiène des mains et de l’ensemble des précautions standard, qui intègrent depuis juillet 2017 la gestion des excreta [5].
Les résultats de ces différentes actions préventives sont difficiles à évaluer, dans la mesure où nous n’avons que très peu de patients porteurs de bactéries multirésistantes au CHI, et aucun cas de BHRe n’y a été décelé jusqu’à présent. Toutefois aucune épidémie de gastroentérites ne s’y est déclarée depuis 2016.
Notes: 1- En 2017, le CHI s’appelait encore centre hospitalier interdépartemental. Depuis le 13 juillet 2018, suite à la relocalisation des secteurs de psychiatrie des Hauts-de-Seine de Neuilly-sur-Seine et de Courbevoie, et par décision de l’agence régionale de santé, notre établissement porte désormais l’appellation centre hospitalier isarien (CHI) – établissement public de santé mentale (EPSM) de l’Oise. 2- Deux épidémies en 2013, cinq en 2014, une en 2016.