Principe et modalités de la décontamination digestive
La décontamination digestive comme utilisée par de nombreuses unités de réanimation repose sur l’utilisation d’une antibiothérapie par voie orale non absorbable dont le spectre inclut les micro-organismes pathogènes dont les bacilles à Gram négatifs (BGN) ainsi que les cocci à Gram positifs à l’exception des staphylocoques résistants à la méticilline. Cette décontamination entérale est administrable par sonde gastrique et peut être limitée à une décontamination digestive ou être associée à une décontamination oropharyngée. Ce « cocktail » antibiotique doit préserver la « flore » anaérobie dite de barrière et est accompagné par une antibiothérapie systémique brève par céfotaxime sur une durée de 4 jours. Elle a en théorie pour objectif, de réduire le risque d’infection endogène et est basée sur un concept simple qui consiste à admettre l’idée qu’il existe un continuum entre l’acquisition d’un micro-organisme en réanimation, la survenue d’une colonisation durable et enfin de par l’augmentation de la concentration des bactéries pathogènes (amplification) un sur-risque d’infection.
Existe-t-il un rationnel quant à l’utilisation de la décontamination digestive sélective ?
De nombreuses études animales ont suggéré l’existence d’une corrélation entre la concentration bactérienne retrouvée dans le tube digestif et l’oropharynx et la survenue d’infection. Dans un premier travail effectué en 1984, Soutenbeek et al., ont évalué l’apport de la décontamination digestive sélective dans une cohorte de 122 patients traumatisés, hospitalisés en unité de soins intensifs pendant 5 jours ou plus et nécessitant une ventilation mécanique [1]. Ce groupe a été comparé (rétrospectivement) à un groupe témoin de 59 patients n’ayant pas reçu d’antibiotique en prophylaxie. Le taux global d’infection pendant le séjour en soins intensifs était de 81%. La plupart des infections était liée à des micro-organismes potentiellement pathogènes provenant de la cavité buccale ou du tube digestif (c’est-à-dire des infections endogènes). Dans ce travail, à l’issue de deux semaines d’hospitalisation, 80% des patients étaient colonisés, au niveau du tube digestif et de l’oropharynx, par des BGN retrouvés dans l’environnement de l’USI. Cette colonisation secondaire du tube digestif semblait être une étape très importante dans la pathogenèse des infections. L’utilisation d’antibiotiques non absorbables digestif chez 63 patients a permis une décontamination totale de la cavité buccale (absence de micro-organismes pathogènes) dès le 3e jour et une diminution significative de la colonisation rectale, le tout permettant une réduction de 16% des épisodes infectieux [1]. Ce travail clinique, malgré les nombreuses limites méthodologiques, a été l’un des premiers permettant d’évoquer le rôle de la colonisation endogène dans la survenue des infections associées aux soins.
Plus récemment, quelques travaux effectués hors réanimation et chez des patients colonisés par des entérobactéries sécrétrices de bêtalactamase à spectre élargi [2] ou à Klebsiella pneumoniae productrices de carbapénémase (KpC) [3] ont confirmé l’existence d’une corrélation entre la quantité de bactéries pathogènes (i. e. abondance relative) et la survenue des épisodes infectieux secondaires. En effet, la majeure partie des infections acquises en réanimation sont d’origine endogène et si la relation entre concentration bactérienne et infection secondaire était établie, l’intérêt de la décontamination digestive et orale dans la réduction du risque semblerait évident. Toutefois, la prescription en prophylaxie d’antibiotiques, notamment en réanimation, expose non seulement au risque d’émergence de résistance (induction et sélection) mais aussi à un plus grand risque d’acquisition de bactéries multirésistantes. C’est effectivement ce risque potentiel qui est à l’origine des réticences à généraliser l’utilisation de la décontamination digestive dans nos unités de réanimation. Afin de limiter ce risque potentiel, les premiers auteurs avaient souligné l’importance de la préservation de la « flore » anaérobie. En effet, les bactéries anaérobies sont considérées depuis les travaux de Freter et Bonhoff comme la flore de barrière qui permet de réduire le risque d’acquisition de bactéries pathogènes [4,5].
Enfin, le succès d’une telle stratégie dépend de la maîtrise de nombreux autres facteurs qui participent d’une part au risque d’infections associées aux soins en réanimation tels que la fréquence et durée des procédures invasives, et d’autre part au risque d’émergence de bactéries multirésistantes tels que la prescription antibiotique et le niveau d’observance de l’hygiène des mains.
En effet, pour qu’une telle politique soit efficiente, il est impératif que la prescription de la DDS ne vienne pas se surajouter à la consommation antibiotique et qu’elle s’intègre dans une politique globale de maîtrise du risque d’acquisition/infection bactérienne.
Quelles sont les données scientifiques quant à l’efficacité de la DDS dans la réduction du risque d’infections associées aux soins en unité de soins intensifs ?
De nombreuses études randomisées contrôlées, observationnelles et de type avant/après, ainsi que des revues systématiques et méta analyses ont montré ou suggéré l’intérêt de la décontamination digestive sélective dans la réduction des infections associées aux soins en réanimation. L’étude la plus emblématique reste probablement celle de Smet et al publiée dans le New England Journal of Medecine en 2009 [6]. Dans cette étude prospective randomisée en cross over incluant 13 USI des Pays-Bas, les auteurs avaient évalué l’intérêt de la décontamination digestive sélective et de la décontamination orale sélective (DOS) comparativement à un groupe standard dans la réduction du risque infectieux.
Dans ce travail étaient inclus les patients dont la durée d’intubation prévue était supérieure à 48 heures ou dont la durée de séjour prévue en USI était supérieure à 72 heures. Dans chaque USI, trois schémas thérapeutiques (DDS, DOS et soins standard) ont été appliqués dans un ordre aléatoire sur une période de 6 mois. La mortalité au 28e jour était le principal critère d’évaluation. Dans ce travail, La DDS consistait en l’administration de 4 jours de céfotaxime par voie intraveineuse et l’application topique de tobramycine, colistine et amphotéricine B dans l’oropharynx et le tube digestif. La DOS consistait en l’application oropharyngée unique des mêmes antibiotiques.
Au total, 5 939 patients ont participé à l’étude ; respectivement 1990, 1 904 et 2 045 ont été affectés aux soins standard, à la DOS et au groupe DDS. La mortalité brute dans les différents groupes à J-28 était respectivement de 27,5%, 26,6% et 26,9%. Dans un modèle de régression logistique incluant les principales co-variables (âge, sexe, score Apache II, l’intubation et la spécialité médicale) les auteurs mettaient en évidence une réduction de risque de mortalité significative dans les deux groupes traités par DDS et DOS.
De plus, ce travail mettait en évidence une réduction significative des bactériémies à BGN non fermentant, à entérobactéries et à Staphylococcus aureus. L’utilisation de la DDS et de la DOS dans ce travail était aussi accompagnée d’une réduction significative de la consommation des différentes classes antibiotiques à l’exception des céphalosporines (classe incluse dans le schéma thérapeutique de la DDS). Enfin, dans les deux groupes interventionnels, on notait une réduction de la colonisation digestive à BGN dans les selles et l’oropharynx pendant la période de traitement avec un rebond certain dès le 14e jour et à 3 et 4 semaines de suivi.
D’autres travaux ont abondé dans ce sens, suggérant une réduction significative du risque de pneumonie acquise sous ventilation mécanique (PAVM) et de bactériémies notamment à BGN. Il semblerait toutefois que si la DOS réduit le risque de PAVM, son poids dans la réduction du risque de bactériémie semble moindre. Enfin, trois études ayant évalué la réduction de la mortalité ont toutes suggéré une réduction significative en cas d’utilisation de la DDS en réanimation [6,7,8]. Il en est de même pour la DOS lorsque cette dernière est comparée à un groupe de patients recevant un traitement standard ; toutefois comparativement au groupe de patient recevant un traitement par DDS, la DOS ne permettait pas de réduire le risque de mortalité [9].
La DDS/DOS expose-t-elle à une augmentation de la résistance aux antibiotiques ?
Dans la mesure où la consommation des antibiotiques est un facteur associé à la sélection des bactéries multirésistantes, il est tout à fait justifié de se poser la question et d’essayer d’y répondre avant d’envisager une généralisation de cette méthode de prévention.
L’analyse de la littérature est rapidement limitée par le type d’études réalisées ainsi que les méthodes utilisées. Deux limites majeures sont à souligner :
- les méthodes microbiologiques qui ont majoritairement utilisé les cultures standards et
- la période de surveillance qui a généralement été limitée à la période de séjour en USI et souvent à la période d’utilisation de la DDS/DOS.
La majeure partie des études s’étant intéressées au risque d’émergence de résistance ne mettait pas en évidence de corrélation entre DDS/DOS et résistance aux antibiotiques.
Dans un essai clinique prospectif, contrôlé, randomisé, incluant 934 patients admis dans une unité de soins intensifs chirurgicaux et médicaux, ayant reçu de la polymyxine E, de la tobramycine et de l’amphotéricine B par voie orale et entérale en association avec un traitement initial de céfotaxime intraveineux de 4 jours (groupe DDS n=466) comparativement à un traitement standard (témoins n=468), les auteurs soulignaient une réduction de la colonisation par des bactéries aérobies résistantes à Gram négatif.
En effet, au cours de leur séjour en soins intensifs, une colonisation par des bactéries Gram-négatives résistantes à la ceftazidime, à la ciprofloxacine, à l’imipénème, à la polymyxine E ou à la tobramycine est survenue chez 61 (16%) des 378 patients dans le groupe interventionnel et chez 104 (26%) des 395 patients du groupe témoin (p=0,001). Une colonisation par des entérocoques résistants à la vancomycine s’est produite chez 5 (1%) patients recevant la DDS et chez 4 (1%) témoins (p=1,0). Aucun patient des deux groupes n’a été colonisé par Staphylococcus aureus résistant à la méticilline [7].
De même, dans l’étude prospective de SMET et al., les auteurs soulignaient une proportion de bactériémies à BGN résistant aux antibiotiques (BGN-R) inférieure dans le groupe DDS comparativement au groupe DOS ou au groupe soins standard. Il en était de même pour la colonisation pulmonaire à bactéries résistant aux antibiotiques.
Dans un travail plus récent Oostdjick et al. ont souligné, à partir des données d’études randomisées en cluster, l’efficacité de la DDS dans l’éradication du portage d’entérobactéries résistantes ou sensibles aux antibiotiques et l’absence d’augmentation de la résistance chez les patients en échec du traitement [9].
Plus récemment, les mêmes auteurs, s’attelant à évaluer les conséquences de prescriptions de colistine en prophylaxie, soulignaient, à partir des prélèvements respiratoires, l’absence d’acquisition de résistance à la colistine dans le groupe recevant la DDS et la DOS comparativement au groupe standard. Toutefois, en cas de colonisation persistante le risque d’émergence de résistance était 5 fois plus élevé dans le groupe recevant une décontamination et 15 fois plus élevé au niveau rectal lorsque l’isolat était résistant à la tobramycine [10].
En outre, de nombreuses études observationnelles et méta analyses ont suggéré l’absence d’augmentation de l’incidence de la résistance en cas d’utilisation (sur des durées longues) de la DDS ou la DOS. Toutefois, la grande majeure partie des études a été réalisée dans des pays à faible prévalence de résistance et dans des unités à haut niveau d’observance de l’hygiène des mains et ayant une large et rigoureuse expérience de la maîtrise de la prescription antibiotique.
Enfin, dans un travail dont l’objectif était d’étudier la résistance aux antibiotiques des BGN dans 38 unités de soins intensifs entre janvier 2008 et 2012, les auteurs avaient comparé la prévalence de résistance respective entre des USI utilisant continuellement, n’utilisant pas ou introduisant l’utilisation de DOS/DDS. Ce travail effectué à partir de souches cliniques (hémocultures et prélèvements respiratoires) et évaluant 5 classes antibiotiques (colistine, tobramycine, ciprofloxacine, ceftazidime et céfotaxime/ceftriaxone) mettait en évidence une tendance à l’augmentation de la résistance aux antibiotiques. Toutefois, l’analyse des isolats respiratoires mettait en évidence une augmentation de la résistance à la céfotaxime/ceftriaxone dans les USI qui n’utilisaient pas de DDS/DOS (p<0,001) et une diminution dans celles qui utilisaient continuellement DDS/DOS (p=0,04), tout comme la résistance à la ciprofloxacine (p<0,001). Dans ce travail, l’introduction de la DDS/DOS a été suivie de réductions statistiquement significatives des taux de résistance pour tous les agents antimicrobiens [11].
Malgré les différentes données publiées dans la littérature [12], malgré les résultats des 71 études randomisées contrôlées, qui pour toutes aboutissent à la même conclusion, la DDS/DOS n’a pas été retenue voire a été exclue [13] des recommandations nationales et internationales comme un élément permettant d’améliorer la mortalité des patients avec un niveau de preuve élevé (2B). Il est donc important ici d’essayer d’apporter les arguments qui pourraient expliquer les réticences individuelles et collectives à la généralisation de cette méthode de prévention.
Quelles sont les limites des études publiées à ce jour, comment expliquer la non-utilisation de la DDS/DOS alors que les preuves semblent solides ?
Une des premières raisons de la non-généralisation de cette méthode de prévention s’explique par la « géographie » des études effectuées à ce jour. En effet, la majeure partie des études ont été effectuées aux Pays-Bas, pays dans lequel la prévalence et l’incidence de la résistance restent basses. Les plus sceptiques s’inquiètent, notamment dans les pays à plus haute prévalence de résistance, de ce que la généralisation d’une antibioprophylaxie en réanimation accentue le risque de diffusion et d’acquisition de bactéries résistantes [14]. En effet, cette crainte peut être largement justifiée pour des raisons multiples dont :
- l’état de la résistance actuelle dans le monde et son caractère endémo-épidémique concernant essentiellement les bactéries du tube digestif ;
- la problématique liée à l’utilisation de la colistine (considérée jusqu’alors comme un traitement de réserve) et le risque de voir émerger ou de sélectionner des entérobactéries résistantes à cet antibiotique de recours ;
- l’existence de données au niveau du microbiote suggérant l’émergence de résistance au sein des entérobactéries.
En effet, dans un travail longitudinal effectué par l’équipe d’Utrecht et discutable méthodologiquement, les auteurs mettaient en évidence chez un patient une augmentation de 6 à 7 fois des gènes de résistance aux aminoglycosides portés par des bactéries anaérobies [15]. De même, en comparant le microbiote de patients traités par DDS au microbiote de patients sains les auteurs mettaient en évidence une augmentation des gènes de résistance aux aminoglycosides, aux macrolides, aux désinfectants et aux tétracyclines [16].
Une deuxième explication est liée aux biais méthodologiques des différentes études publiées à ce jour. En effet, parmi les 207 études publiées, certaines sont des études non interventionnelles, observationnelles ou de type avant/après, avec ou sans groupe témoin. Concernant les études randomisées, de nombreux auteurs ont souligné certaines incohérences comme celles liées à la prévalence élevée des PAVM/bactériémies dans les groupes témoins comparativement aux données et expériences antérieurement publiées. Dans un travail récent, analysant les biais méthodologiques des études de l’évaluation de la DDS/DOS, Hurley [17] soulignait des prévalences/incidences de bactériémies et des PAVM anormalement élevées pouvant expliquer une réduction artificielle du risque dans le groupe interventionnel.
Par ailleurs, depuis 34 ans que le débat est en cours, de nombreuses améliorations ont été apportées à la prévention du risque infectieux en réanimation. Généralement cette prévention inclut un ensemble de mesures qui n’étaient pas effectives en 1984 et qui modifient profondément nos pratiques et la prévalence des infections associées aux soins en USI.
Enfin, deux études randomisées, dont une récente, suggéraient l’absence de bénéfice de la DDS dans la prévention des infections associées aux soins en USI. En effet, dans un premier travail multicentrique randomisé en double aveugle, incluant 445 patients recevant ou non (placebo) une DDS (tobramycine, sulfate de colistine et amphotéricine B), les auteurs ne mettaient pas en évidence de différence, ni de pneumonie à 30 jours, ni de mortalité à 60 jours entre les deux groupes. Dans ce travail [18], la décontamination sélective du tube digestif n’améliorait pas la survie des patients et augmentait considérablement le coût de leurs soins. Plus récemment dans une étude multicentrique européenne [19], les auteurs ont comparé l’intérêt de la DDS/DOS (sans antibiothérapie par voie intraveineuse) à la toilette à la chlorhexidine 2% dans des unités de réanimation avec une prévalence de bactériémies à entérobactéries productrices de bêtalactamase à spectre élargi d’au moins 5%. Il s’agissait d’un essai randomisé effectué dans 13 réanimations, avec pour critère principal de jugement, l’incidence des bactériémies à BGN-R et la mortalité à 28 jours. Quatre groupes étaient comparés : un groupe recevant des soins standards, un groupe traité par des bains de bouche à la chlorhexidine 2%, un groupe recevant une décontamination orale sélective (pâte contenant de la colistine, tobramycine et nystatine), et un groupe recevant une décontamination digestive sélective (la même pâte et une suspension gastro-intestinale avec les mêmes antibiotiques). Un total de 8665 patients a été inclus dans l’étude. Une bactériémie à BGN-R est survenue chez respectivement 2,1%, 1,8%, 1,5% et 1,2% des patients. Il n’existait aucune différence significative en termes de réduction du risque de bactériémie à BGN-R ou de mortalité entre les périodes et comparativement à la période de référence. Dans ce travail, l’utilisation de lingettes à la chlorhexidine, de DOS ou de DDS n’était pas associée à une réduction des risques.
Faut-il donc abandonner la DDS/DOS comme outil de prévention du risque ? Si non, faut-il la généraliser ?
Il est réellement difficile de se faire une idée indépendante de l’intérêt et/ou des risques liés à l’utilisation de la DDS/DOS dans la prévention du risque infectieux en réanimation. Il existe de nombreux arguments directs et indirects pour penser que cette méthode est en théorie efficace dans la réduction du risque : des études animales, qui suggèrent une corrélation entre concentration bactérienne et infection secondaire, des études humaines en réanimation et hors réanimation [20,21]. Il existe aussi des arguments indirects qui suggèrent que la réduction du risque passe par la réduction de la concentration bactérienne que ce soit dans l’infection du site opératoire [22], en réanimation [23] ou ailleurs.
Il est aussi évident qu’il existe une corrélation entre prescription antibiotique et résistance. Si l’antibiothérapie n’est pas la « cause » de la résistance, elle participe à son émergence et à son amplification. Les inquiétudes que nous exprimons quant à la surconsommation de certaines classes d’antibiotiques dont les antibiotiques de recours telle que la Colimycine semblent justifiées. Toutefois, il est important de souligner quelques éléments essentiels.
Si la prescription de la Colimycine a « mis en lumière » la résistance des BGN à la Colimycine, cette dernière préexistait et il est peu probable du fait des corésistances associées que celle-ci, même en l’absence de consommation de Colimycine, ne continue pas à augmenter. Par ailleurs, si la consommation des antibiotiques participe à l’amplification de la résistance, l’objectif de la DDS/DOS est d’en réduire la consommation globale et non de se surajouter à la consommation actuelle. Aussi, la DDS/DOS ne peut être mise en place sans une réelle politique de maîtrise antibiotique. Il est donc probable que, dans les unités où la consommation globale des antibiotiques n’est pas réduite, l’introduction d’une politique de DDS/DOS s’accompagnera d’une amplification de la résistance. Ceci est aussi vrai en cas de non-maîtrise du risque de transmission manuportée. Ainsi, il est important de souligner que sans maîtrise de la prescription antibiotique, sans maîtrise de la transmission manuportée et sans amélioration de l’observance de l’hygiène des mains, toute politique antibiotique prophylactique est vaine et expose à un sur-risque d’augmentation de la prévalence de la résistance.
Une des limites majeures des études actuelles dans l’évaluation du risque d’acquisition de la résistance liée à la prescription de la DDS/DOS en réanimation réside en :
- une sous-estimation du risque lorsque seuls les prélèvements cliniques de surcroît effectués pendant le séjour en réanimation sont pris en compte,
- une surestimation du risque lorsque le microbiote (i. e. le résistome) est évalué. En effet, dans le premier cas il est peu probable du fait des concentrations antibiotiques retrouvées dans le microbiote et de la courte durée de surveillance, de mettre en évidence des bactéries résistantes aux antibiotiques reçus, alors que dans le second cas il est extrêmement difficile d’attribuer la résistance à la seule DDS/DOS d’autant que le comparateur est le patient sain.
Enfin, s’il nous est difficile en 2019 de mettre en évidence un bénéfice de la DDS, cela est probablement lié aux progrès effectués en termes de lutte contre les infections associées aux soins. La dernière décennie a vu une nette diminution des infections associées aux soins en réanimation liée à l’introduction d’un « fagot » de mesures [24] avec une tendance à la réduction des durées d’exposition aux procédures invasives (cathéters, sondage urinaire, ventilation mécanique), principaux facteurs de risque infectieux. Dans ce contexte, évaluer l’apport de la DDS/DOS dans la maîtrise du risque infectieux reviendrait à prendre en compte tous ces facteurs confondants dans l’analyse du risque.
Au regard de toutes ces incertitudes, il est difficile de « bannir » la DDS/DOS à ce stade des connaissances. Il nous semble évident, que ce mode de prévention pourrait être utile à un sous-groupe de patients. Sa généralisation à l’ensemble de la population de réanimation nous semble discutable, toutefois les prochaines études devront autant que possible répondre à cette question en essayant de prendre en compte les facteurs confondants et de définir au mieux les groupes contrôles et les durées de suivi.