Résumé de l’étude d’Anderson et al.
Il s’agit d’un essai croisé pragmatique, randomisé en grappes, réalisé dans neuf hôpitaux des États-Unis entre avril 2012 et juillet 2014, dans l’objectif de comparer l’effet de quatre stratégies de désinfection de chambres (« contaminées ») après la sortie de patients colonisés ou infectés par des bactéries résistantes aux antibiotiques (Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline [SARM], entérocoque résistant aux glycopeptides [ERG], Acinetobacter) ou par C. difficile [4].
Quatre méthodes de « bionettoyage » ont été utilisées :
- détergent désinfectant (DD) à base d’ammonium quaternaire avec microfibre, méthode de référence du bionettoyage dans les établissements ;
- méthode UV, DD avec microfibre suivi de l’utilisation d’un appareil délivrant une lumière ultraviolette UV-C : Tru-D Smart UVC© ;
- eau de Javel sur lingettes ;
- eau de Javel sur lingettes et UV-C.
Pour C. difficile, l’eau de Javel a été utilisée seule ou en association avec le générateur à UV-C (méthode c ou d). Chaque méthode a été utilisée dans chaque hôpital au cours de quatre périodes consécutives de sept mois selon une séquence de randomisation. Les équipes étaient formées.
Le critère de jugement principal était le taux d’incidence d’infection ou de colonisation par les micro-organismes cibles chez des patients secondairement hospitalisés dans ces chambres (« patients exposés », inclus selon des critères définis dans le protocole d’étude), en fonction de la méthode de désinfection utilisée.
Sur les 31 226 patients exposés, 21 395 (69 %) répondaient à tous les critères d’inclusion. Ils ont été randomisés dans les 4 groupes : 4 916 en (a), 5 178 en (b), 5 438 en (c) et 5 863 en (d). Pour tous les micro-organismes cibles, l’incidence était de 51,3 pour 10 000 jours d’exposition (a) ; significativement plus faible (b) à 33,9 cas pour 10 000 jours d’exposition (risque relatif [RR] = 0,70 ; IC95 [0,50-0,98] ; p = 0,036) ; plus faible mais non statistiquement significative avec l’eau de Javel seule (41,6 cas pour 10 000 jours d’exposition ; RR = 0,85 ; IC95 [0,69-1,04] ; p = 0,116) ou l’eau de Javel et UV-C (45,6 cas pour 10 000 jours d’exposition ; RR = 0,91 ; IC95 [0,66-1,09] ; p = 0,303). Concernant C. difficile, l’incidence n’était pas modifiée par l’ajout d’UV-C à une désinfection à l’eau de Javel (31,6 cas versus 30,4 cas pour 10 000 jours d’exposition, RR = 1,0 ; IC95 [0,57-1,75] ; p = 0,997).
Les auteurs concluent qu’un environnement contaminé est une source importante d’acquisition de pathogènes dont le risque est diminué par une désinfection renforcée.
Commentaires
Méthodologie
Il s’agit de la première étude multicentrique randomisée comparant des techniques de désinfection de l’environnement, ciblant l’acquisition d’une colonisation ou d’une infection à micro-organismes résistants par des patients hospitalisés (exposés) dans des chambres précédemment occupées par des porteurs de ces mêmes germes. Cette étude comprend un grand nombre de patients inclus. Elle est publiée dans une revue prestigieuse en raison de sa qualité méthodologique qui est toutefois complexe1. Une double randomisation a concerné l’ordre de mise en œuvre des stratégies comparées et son attribution aux établissements (échantillon de différents types d’hôpitaux). Ces mises en œuvre ont été entrecoupées d’une période d’un mois de « wash-in » après chaque modification (pour éviter l’influence de la technique précédente sur l’incidence) ; l’impossibilité d’une application à l’aveugle s’explique par les aspects techniques des stratégies de désinfection. Les professionnels chargés de l’entretien des chambres étaient formés à l’usage des désinfectants et de l’appareil à UV-C, et disposaient de protocoles. Pour limiter les biais, des audits réguliers sur l’observance de l’hygiène des mains (conformité à 89,9 %) et du bionettoyage (conformité à 93 %) ont été faits. Le matériel de bionettoyage était identique pour tous les hôpitaux. Une mesure de la pression de colonisation a été faite parallèlement. Une chambre « contaminée » était définie comme occupée par un patient colonisé ou infecté par un (ou plusieurs) des micro-organismes cibles ou l’ayant été dans l’année précédant son admission. Un patient était défini comme incident si un (ou plusieurs) des micro-organismes cibles était isolé dans un prélèvement clinique (culture ou par réaction en chaîne par polymérase [PCR]) après 48 heures d’hospitalisation dans une chambre « contaminée », et s’il était identique à un micro-organisme cible isolé chez un patient ayant occupé précédemment la même chambre. Cette acquisition était comptabilisée comme telle, que le prélèvement du patient « exposé » soit réalisé pendant son hospitalisation dans cette chambre ou en cas de réadmission dans les 90 jours (SARM, entérocoques résistants à la vancomycine [VRE], Acinetobacter) ou dans les 28 jours pour C. difficile. Pour tous les patients « exposés » des données démographiques et de comorbidités ont été recueillies pour calculer l’indice de Charlson (score de comorbidité). Dans certains cas, le traitement randomisé par le générateur UV-C ne pouvant pas être mis en place (ou non tracé), deux analyses ont été faites : une en intention de traiter (le traitement UV était toujours comptabilisé, qu’il soit réalisé ou non) et une perprotocole (le traitement UV n’était comptabilisé que s’il avait été effectué). La puissance de l’étude (modèle de simulation selon une loi de Poisson) a été calculée sur la base de données de quatre années de surveillance provenant des établissements inclus mais également de publications. De façon parallèle, une évaluation microbiologique de l’environnement de 92 chambres « contaminées » (sélectionnées par randomisation dans deux hôpitaux participants) a été réalisée après nettoyage et désinfection.
Résultats
Parmi les 31 226 patients « exposés », l’analyse en intention de traiter a porté sur 21 395 (69 %) d’entre eux, après exclusion de patients hospitalisés moins de 24 heures ou déjà porteurs d’une infection communautaire ou d’antécédents de colonisation ou d’infection. Les caractéristiques de base des patients « exposés » admissibles étaient similaires pour les quatre stratégies comparées. Sur un total de 423 acquisitions, 228 (54 %) étaient des infections et 195 (46 %) des colonisations. Tous micro-organismes cibles confondus, l’ajout d’une désinfection par UV-C (b) à la désinfection de référence (a) abaissait significativement le taux d’acquisition (51,3 pour 10 000 jours d’exposition vs 33,9) ; il n’existait aucune différence significative dans l’incidence d’acquisition dans le groupe eau de Javel ou eau de Javel-UV-C (c ou d) par rapport à la désinfection de référence. L’incidence de C. difficile n’était pas significativement différente avec ou sans dispositifs UV-C par rapport à la désinfection à l’eau de Javel. L’analyse perprotocole a montré des résultats superposables à celle en intention de traiter tous micro-organismes confondus (51,3 versus 37,4) ; cependant l’incidence d’acquisition de SARM était significativement plus basse dans le groupe UV-C comparé au groupe de référence. Les prélèvements d’environnement des 92 chambres ont montré que les trois stratégies (UV-C, eau de Javel, eau de Javel-UV-C), comparées à la méthode de référence, entraînaient une diminution significative de la contamination pour tous les micro-organismes cibles ; la baisse la plus importante était liée à l’utilisation d’UV-C. La médiane de la durée de la désinfection était de quatre minutes supérieure pour les méthodes utilisant les UV-C (b et d). Ce point interroge car en plus du nettoyage manuel, il fallait ajouter la durée de fonctionnement du générateur. À titre d’information le cycle UV-C « végétatif » a une durée de 30 min, et celui sporicide de 55 min.
L’interprétation des résultats doit tenir compte de plusieurs éléments
Tout d’abord, l’analyse des résultats par micro-organisme montre que pour SARM, en intention de traiter, la baisse de l’incidence d’acquisition dans le groupe UV-C n’était pas statistiquement significative, alors qu’elle l’était dans l’analyse perprotocole (p = 0,019). On rappellera que dans cette deuxième analyse, le générateur UV était toujours utilisé. Cette incidence était inchangée dans les deux autres groupes quel que soit le type d’analyse ; celle d’ERG n’était pas significativement plus faible dans le groupe UV-C mais l’était pour le groupe eau de Javel (réduction de 57 %) et le groupe UV-C-eau de Javel (réduction de 64 %) dans les deux analyses ; aucune comparaison n’a été faite pour Acinetobactermultirésistant car un seul patient était concerné. Il est à noter que dans les groupes c et d, il n’y avait pas de réalisation d’une détergence avant désinfection, contrairement aux recommandations françaises.
Ensuite, nous soulignons le contexte de cette étude où les professionnels ont été formés, dotés en équipements spécifiques et évalués pour leur mise en œuvre avec une conformité globale d’environ 90 %. L’application stricte de la méthode de référence explique la diminution de l’incidence y compris dans le groupe référence, probablement à l’origine de la perte de puissance de l’étude et de l’absence de significativité lorsque les résultats sont donnés par micro-organisme (en l’absence d’acquisition d’un des micro-organismes cibles). L’absence d’efficacité du rajout d’UV-C à l’eau de Javel peut également être liée à une erreur de type II.
L’efficacité du rayonnement UV-C est d’autant meilleure que la lumière atteint directement les surfaces concernées ; ce qui n’est pas le cas dans cette étude, les auteurs ayant précisé que l’appareil était placé uniquement dans la chambre, ce qui compromet la désinfection notamment de la partie sanitaire.
Les prélèvements microbiologiques concernant les patients devaient initialement être effectués à titre clinique, mais on ne peut exclure une modification des pratiques et une variabilité entre établissements et au cours de l’étude ; l’adjonction ou non de prélèvements de dépistage pouvant influencer le nombre de patients inclus (par exemple inclusion de patients admis avec une infection communautaire ou une colonisation méconnue).
Enfin, concernant l’innocuité de cette technique, elle n’utilise pas de produits toxiques, mais l’étude rapporte l’exposition d’une infirmière diplômée d’État au générateur pendant une courte période ayant entraîné chez elle des céphalées et des taches de soleil.
Conclusion
Le nettoyage manuel, bien qu’indispensable, est dépendant de facteurs humains, et sa qualité est très variable en pratique. Pour limiter la contamination de l’environnement par des pathogènes multirésistants, l’utilisation des méthodes de type « no-touch » est à évaluer.
Comme le souligne une méta-analyse récente à propos de ces dernières par UV-C (ou peroxyde d’hydrogène), sur les 20 articles répertoriés, seule cette étude est un essai multicentrique contrôlé randomisé [5]. La méta-analyse des 13 études centrées sur l’utilisation d’UV-C a montré une réduction statistiquement significative pour les infections à C. difficile et à ERG. Elle rappelle également les nombreux biais de ces études, difficiles à mener en raison des aspects multifactoriels des infections associées aux soins et du bionettoyage de l’environnement, même si ce dernier joue un rôle non négligeable comme source de contamination.
Le recours aux appareils à UV-C pour la désinfection des chambres d’hospitalisation doit tenir compte des aspects logistiques limitants (utilisation hors présence humaine, pas d’obstacle à la diffusion du rayonnement, temps d’exposition, etc.) et du coût-bénéfice. Si son efficacité reste à confirmer, l’utilisation de la lumière ultraviolette peut actuellement se discuter en complément d’un bionettoyage classique dans certaines situations où la désinfection est indispensable.
Note: 1- Liens d’intérêt déclarés : deux auteurs reçoivent des honoraires de Clorox ; Angelica Corporation, Shared Linen Services, TruD SmartUVC, Ecolab, et Clorox ont fourni matériels et équipements utilisés pour l’étude.