Le nettoyage et la désinfection des surfaces environnementales et des dispositifs médicaux font partie de l’arsenal de prévention des infections associées aux soins. Toutefois l’impact de ces pratiques sur la réduction des infections est très difficile à mesurer, alors que la démonstration de leur efficacité antimicrobienne, beaucoup plus simple à objectiver, peut s’appuyer sur de nombreuses études. Par ailleurs, les attentes légitimes de la part des professionnels de santé de modes de désinfection à la fois pratiques, modernes et le plus respectueux possible de l’environnement entraînent un regain d’intérêt pour des techniques alternatives aux procédés « tout chimique » qui prévalent depuis plusieurs décennies dans les hôpitaux. Dans le même temps, la modernité et l’aspect a priori pratique de techniques de nettoyage et désinfection automatisées et sans contact suscitent un intérêt croissant chez les professionnels de l’hygiène, ces procédés se réclamant souvent d’une approche écologique. Ce mouvement a été amplifié depuis la crise sanitaire du SARS-CoV-21 car les entreprises commercialisant ces procédés « alternatifs » ont bénéficié de l’explosion des besoins et des demandes dans le domaine de la désinfection dans tous les secteurs d’activité et en assurent une promotion active. Il est très difficile dans ce contexte de discerner les techniques efficaces et utiles pour atteindre notre objectif premier qui est la prévention des infections associées aux soins. Le but de cet article est de proposer une analyse critique des données de la littérature scientifique et médicale sur quelques procédés de désinfection « alternatifs » actuels en recherchant en priorité les études rapportant un impact sur les taux d’infection. Les procédés examinés dans cet article sont les ultraviolets, l’ozone sous forme gazeuse et en solution, l’eau électrolysée et le plasma froid. La désinfection par voie aérienne n’est pas abordée en dehors de l’exemple de l’ozone.
Les ultraviolets
Le rayonnement ultraviolet (UV) est un rayonnement électromagnétique d’une longueur d’onde comprise entre 100 nm et 400 nm intermédiaire entre celle de la lumière visible et celle des rayons X. La gamme des rayons UV est souvent subdivisée en UV-A (400-315 nm), UV-B (315-280 nm) et UV-C (280-100 nm). En général seuls les UV-C sont utilisés dans le domaine de la désinfection (Figure 1). La longueur d’onde de 254 nm proche des pics d’inactivation microbienne de 260 nm reste la plus communément employée (lampes à mercure). Le mode d’action moléculaire repose sur la rupture des liaisons au sein des acides nucléiques (ADN ou ARN2) qui absorbe ces radiations, la formation de dimères nucléotidiques et la déformation et la cassure des brins d’acide nucléique. Les UV peuvent être émis par de nombreuses sources différentes, chacune présentant des avantages et des inconvénients [1]. Les lampes à mercure basse pression sont les plus anciennes et les plus fréquemment utilisées mais elles ont des inconvénients indéniables : présence de mercure, émission de chaleur, allumage non instantané. De développement plus récent, les lampes au xénon sont utilisées de façon croissante sous la forme d’émission continue ou pulsée. Le caractère pulsé induit une production accrue d’énergie sur un large spectre de longueur d’onde, ce qui améliore l’effet antimicrobien mais entraîne un risque plus important d’irradiation [1]. Les UV peuvent aussi être produits par des diodes électroluminescentes (LED3) offrant de nombreux avantages, par des lampes à excimère quasiment monochromatiques, et très récemment par des lampes au krypton qui émettent dans le spectre UV lointain (longueur d’onde 222 nm). L’efficacité antimicrobienne de ces UV lointains est maintenant avérée et cette longueur d’onde présenterait moins de risque en cas d’exposition [2,3]. Cependant l’émission d’UV lointains entraîne la production aérienne d’ozone nocif pour l’homme. Au-delà du spectre UV, quelques rayonnements produits par des LED dans le spectre de la lumière visible (longueur d’onde >400 nm) sont en développement. C’est le cas de la lumière bleu violette à haute intensité émise à une longueur d’onde de 405 nm à l’essai en microbiologie alimentaire. L’intérêt théorique de cette longueur d’onde est qu’elle agit via des constituants intra-microbiens photosensibilisants (porphyrine), diminuant ainsi le potentiel de mutagénicité sur les génomes microbiens [4]. Les rayonnements UV sont couramment utilisés pour la désinfection de l’eau et dans le secteur de l’agro-alimentaire. Dans le domaine de la santé, ils ont été utilisés à partir des années 1940 dans un objectif de désinfection aérienne. Le pionnier de cette utilisation a été William Wells et, depuis lors, une abondante littérature, essentiellement anglo-saxonne, a montré de façon convaincante l’intérêt des UV en milieu communautaire, notamment scolaire, pour la prévention de pathologies à transmission aérienne comme la tuberculose et la rougeole [5,6]. L’irradiation est émise soit dans la couche aérienne supérieure des locaux, associés ou non à un brassage de l’air, soit sur l’air recirculant dans les tuyaux d’une installation centralisée ou mobile [7]. Toutefois il est indispensable de prendre en compte tous les facteurs susceptibles d’affecter l’efficacité des UV : le brassage et la vitesse de l’air, l’hygrométrie, l’intensité lumineuse, la nature de la source ainsi que les paramètres liés à la configuration du local traité (surface, volume, revêtements réfléchissants). Ainsi, l’efficacité de la mise en place d’une telle installation est conditionnée à l’intervention d’experts du domaine. Actuellement il n’y a aucune indication à ce type de traitement d’air dans les hôpitaux. Concernant la désinfection des surfaces, une multitude d’études microbiologiques ont démontré l’action antimicrobienne des UV vis-à-vis des différents micro-organismes et objectivé la réduction de la contamination de l’environnement en conditions expérimentales et en situation d’activité hospitalière [8]. Sur les surfaces, l’efficacité de la désinfection par rayonnement peut être limitée par la présence de microfissures ou de zones d’ombre et par tout dépôt comme la poussière qui, en absorbant une partie du rayonnement, en diminue l’efficacité. Les matériaux poreux peuvent aussi fournir un abri aux micro-organismes, réduisant leur exposition à l’irradiation. Ces limites expliquent que l’irradiation par les UV doit être précédée d’une étape de nettoyage et est considérée comme un complément aux techniques traditionnelles de nettoyage et désinfection. Pour une efficacité optimale des UV, la proximité entre la source et les surfaces à désinfecter et la limitation des zones d’ombre semblent des facteurs plus critiques que la nature de la source d’émission [9]. En pratique l’évaluation de l’efficacité d’un dispositif de désinfection par UV repose sur la norme de désinfection par voie aérienne NF T72-281 et son annexe E [10]. Par ailleurs le document Afnor Spec T72-902 (2021), qui n’est pas une norme nationale au sens du décret n° 2009-697 du 16 juin 2009 sur la normalisation et du règlement européen (UE) n° 1025/2012 du 25 octobre 2012 relatif à la normalisation européenne, constitue un document d’information de référence développé par un groupe de travail ouvert [11]. Dans cet article nous nous focalisons sur l’impact des UV en termes de réduction d’incidence des infections associées aux soins sur laquelle les données bibliographiques sont beaucoup plus pauvres et ont été récemment regroupées dans trois méta-analyses (Tableau I) [12,13,14]. Les résultats de ces méta-analyses appellent des commentaires qui nuancent fortement leurs conclusions. La majorité des études incluses ont été conduites aux États-Unis, ce qui pousse à s’interroger sur la généralisation des résultats à d’autres contrées. Ces études se placent souvent dans des contextes épidémiques ou évaluent des ensembles de mesures, rendant délicate l’interprétation du rôle précis des UV. La majorité des études en faveur des UV ont des schémas non contrôlés, et globalement les facteurs confondants et les protocoles auxquels les UV sont comparés sont peu décrits. Les rares études contrôlées ne montrent pas de bénéfice. Ainsi l’étude souvent citée d’Anderson et al. ne retrouve pas d’impact sur les infections dans une analyse en intention de traiter hormis sur les infections à entérocoque résistant à la vancomycine [15]. Les indications à l’utilisation des UV en milieu hospitalier sont donc très restreintes. Une application pratique potentiellement intéressante pourrait être la désinfection, avec des dispositifs UV portatifs, de petits objets très manipulés comme les téléphones, claviers, jouets en pédiatrie, etc. dont la désinfection est difficile et souvent négligée [9,16]. Récemment, dans le contexte de pénuries de masques, les ultraviolets ont été proposés par de nombreux auteurs pour la désinfection des masques chirurgicaux ou FFP24 avant leur réutilisation [17,18]. Dans cette indication, l’efficacité varie en fonction des matériaux des masques et il s’avère impossible de définir des paramètres universels d’irradiation. De plus le risque de dénaturation des polymères constitutifs des masques est non négligeable. Enfin, les UV peuvent aussi être utilisés, pour l’instant de façon expérimentale, pour augmenter l’effet « photocatalytique » des nanoparticules de dioxyde de titane (TiO2) déposées sur des surfaces dites « autodésinfectantes » [19].
L’ozone
L’ozone (O3) est employé en désinfection sous forme de gaz ou d’eau ozonée. Utilisé depuis plus d’un siècle pour la désinfection de l’eau, c’est un gaz très oxydant, instable (demi-vie de 20 à 30 minutes), se dégradant en oxygène (O2). Il est produit par des générateurs électriques à partir de l’air ou de l’oxygène. L’ozone gazeux peut être utilisé en désinfection des surfaces par voie aérienne (DSVA) mais les dispositifs à base d’ozone gazeux sont bien moins nombreux que ceux à base de peroxyde d’hydrogène (H2O2). L’efficacité de l’ozone gazeux a été démontrée expérimentalement en laboratoire sur un grand nombre d’agents infectieux bactériens ou viraux mais son activité antimicrobienne est inhibée par les matières organiques et directement liée à l’humidité relative de l’air. Plusieurs travaux expérimentaux montrent l’efficacité de ces dispositifs pour diminuer la biocontamination environnementale en chambres tests [20] mais il n’existe pas d’étude clinique publiée démontrant la réduction des infections associées aux soins grâce à l’ozone. Les inconvénients de l’ozone gazeux sont ceux des gaz oxydants : dégradation de certains matériaux et toxicité obligeant à un emploi hors présence humaine. En effet, les concentrations d’ozone requises en désinfection sont beaucoup plus élevées que les limites d’exposition humaine définies par les organismes de prévention (valeur moyenne d’une exposition à l’ozone pendant 8 heures : 0,1 ppm). Enfin, comme pour tous les dispositifs de DSVA, la durée des cycles de désinfection est un obstacle pratique à l’utilisation de l’ozone gazeux. L’ozone peut être injecté dans l’eau pour former de l’eau ozonée. La concentration d’ozone dans l’eau ozonée est très inférieure à celle de l’ozone gazeux quand il est utilisé en DSVA (respectivement de 0,5 à 4 ppm et plusieurs dizaines de ppm5). Dans la littérature médicale, l’eau ozonée a été employée comme alternative au lavage des mains avec du savon [21], au cours de traitements endodontiques en remplacement des antiseptiques et pour les soins de bouche de patients intubés [22]. On trouve également des essais de désinfection de réseaux d’eau de fauteuils dentaires [23]. Précisons que la validité méthodologique de ces études est souvent insuffisante notamment en raison de leur caractère monocentrique et des effectifs faibles, et que leurs résultats sont variables en termes d’efficacité [24,25]. La désinfection des surfaces hospitalières n’a pas fait l’objet de travaux publiés. Les arguments mis en avant dans les études prônant le développement de l’eau ozonée sont de nature écologique, le principal étant l’absence d’utilisation de produit chimique et la dégradation très rapide de l’ozone en oxygène. Toutefois ce dernier point implique une utilisation quasi extemporanée de l’eau ozonée après sa production et induit contrainte pratique et risque d’inefficacité en cas de délai avant utilisation. De plus, l’indication potentielle de l’eau ozonée reste à définir car l’intérêt écologique de cette solution ne serait avéré qu’en remplacement de détergent désinfectant. Or aujourd’hui la démonstration d’une équivalence d’efficacité entre l’eau ozonée et les détergents désinfectants n’est pas suffisamment établie.
L’eau électrolysée
L’électrolyse est une méthode physico-chimique classique qui permet de réaliser des réactions chimiques grâce à une activation électrique réalisant un processus de conversion de l’énergie électrique en énergie chimique. Très utilisée dans l’industrie chimique, elle permet la séparation d’éléments ou la synthèse de composés chimiques. L’eau électrolysée est obtenue à partir de sel (chlorure de sodium) en solution dans l’eau dont l’électrolyse par un courant électrique génère différents composés, dont du chlore (acide hypochloreux). En fonction des conditions de production, l’eau électrolysée est basique (pH 10-13), neutre ou acide (pH 2-3). Ce sont les formes neutre ou acide qui sont utilisées en désinfection. L’activité antimicrobienne est due au chlore (principalement acide hypochloreux), au pH et au potentiel d’oxydo-réduction [26]. L’action microbicide est rapide. De rares études dénombrant la flore aérobie sur les surfaces en unité de soins après utilisation de l’eau électrolysée comparativement à d’autres produits détergents ou désinfectants ont été conduites [27,28]. Les résultats de ces études, peu robustes méthodologiquement, sont mitigés [26,29]. De plus, seule la contamination bactérienne a été évaluée mais les données d’activité sur les spores, virus et champignons dans un contexte hospitalier ne sont pas disponibles [30]. Ce procédé est théoriquement moins toxique que l’eau de javel car les composés chlorés de l’eau électrolysée retournent rapidement à leur état initial de sel. Cette instabilité de la solution est donc un avantage, mais aussi un inconvénient car elle compromet la conservation de la solution et oblige à une production régulière. Comme tout produit chloré, l’eau électrolysée est inhibée par les matières organiques. À l’heure actuelle, l’industrie alimentaire est la principale utilisatrice d’eau électrolysée à visée de nettoyage et de désinfection. Des essais très ponctuels de désinfection de dispositifs médicaux (endoscopes, dialyseurs) ont été faits il y a quelques années mais leurs résultats ne permettent pas d’envisager un usage en routine [31,32].
Le plasma froid
Le plasma froid est une méthode encore à un stade de développement pour la désinfection. Le plasma, décrit par les physiciens comme le quatrième état de la matière (les trois autres étant les états solide, liquide et gazeux), est formé d’un mélange d’atomes ionisés et des électrons libérés de ces atomes. C’est le plasma froid (dit aussi basse température ou non thermique) qui est utilisé dans l’indication de désinfection par opposition aux plasmas chauds. Les technologies de plasma froid sont basées sur la décomposition d’un gaz, généralement l’air, en ions et électrons par un courant électrique de haute fréquence. L’activité antimicrobienne du plasma froid est due à une combinaison complexe de divers mécanismes et de réactions chimiques, ce qui rend impossible l’établissement d’une corrélation entre une quantification de ce procédé et son efficacité [33]. L’efficacité antibactérienne, aussi bien sur les formes planctoniques que le biofilm, est largement établie mais nous disposons de peu de données pour les autres formes de micro-organismes. Les avantages théoriques de ce procédé sont multiples et prometteurs. Le risque de sélection de résistance semble faible en raison de la multiplicité des cibles. Il n’utilise pas de chimie et ne produit pas d’effluents toxiques. La faiblesse de l’émission thermique (<40°C) évite la dégradation du matériel thermosensible. En termes de désinfection, du fait de ses caractéristiques de mise en œuvre, l’intérêt potentiel du procédé se situe plutôt pour les dispositifs médicaux que pour l’environnement [33]. À ce jour, les travaux d’évaluation de cette technique concernent surtout le secteur alimentaire et restent rares et exclusivement de nature expérimentale dans le domaine médical [34]. La faisabilité pratique sur le terrain et l’évaluation clinique de l’efficacité n’ont pas été mesurées [29].
Conclusion
Globalement, la plupart des « nouveaux » procédés de désinfection ont une activité antimicrobienne répondant aux critères d’efficacité attendue, mais leur impact clinique pour réduire les infections associées aux soins n’est pas mesuré ou au mieux incertain. L’usage de ces dispositifs ou produits dans le domaine de la désinfection hospitalière ne se développera que si des données issues d’études cliniques de bonne qualité démontrent une réduction du nombre d’infections. Concernant les dispositifs de désinfection sans contact (UV, désinfection des surfaces par voie aérienne [DSVA]) ils ne peuvent que compléter et non remplacer les méthodes manuelles. Pour que ces procédés soient intéressants, il faut donc que leur ajout aux méthodes manuelles de nettoyage et de désinfection diminue significativement le risque infectieux. Dès lors l’aspect médico-économique prend toute son importance [35,36] et, si des études médico-économiques sont menées, elles doivent prendre en compte toutes les contraintes techniques et logistiques [36], ce qui comprend au minimum le nombre d’appareils nécessaires, leur coût et les conditions de maintenance, la formation et l’encadrement du personnel, le temps d’immobilisation des chambres pour les procédés hors présence humaine, le temps pour conditionner les chambres (DSVA), et le temps de déplacement du matériel pour le matériel partagé.
Notes :
1- Severe acute respiratory syndrome coronavirus 2, coronavirus 2 du syndrome respiratoire aigu sévère.
2- Acide désoxyribonucléique ou acide ribonucléique.
3- Light-emitting diode.
4- Filtering facepiece, pièce faciale filtrante, ici de classe 2 filtrant 94% des virus et aérosols.
5- Parties par million.