Introduction
Dans les réseaux d’eau, tant extérieurs qu’intérieurs, peut se produire une dégradation de la qualité de l’eau distribuée, à la fois sur le plan chimique et sur le plan microbiologique [1]. De nombreux travaux ont eu lieu durant les dernières décennies pour progresser dans la connaissance de ces phénomènes et proposer des solutions techniques pour en maîtriser les conséquences néfastes. Les travaux les plus anciens sont d’ordre chimique, avec la problématique fort ancienne du saturnisme lié au relargage de plomb en présence d’eau acide, peu minéralisée, dans les tuyaux et robinets en contenant, puis ceux consacrés aux divers matériaux qui ont ensuite été utilisés pour les réservoirs et les canalisations [2,3,4]. Les recherches de type microbiologique sont plus récentes (moins de 50 années), liées en partie aux progrès analytiques. Elles ont permis de mettre en évidence la problématique des biofilms et de la croissance de germes pathogènes opportunistes. Parmi ceux-ci Legionella pneumophila a été le révélateur du développement microbien dans les canalisations d’eau chaude sanitaire, mais d’autres bacilles à Gram négatif, tel Pseudomonas aeruginosa, peuvent largement contaminer l’eau froide [5,6]. Pour prévenir ces phénomènes dans les réseaux extérieurs, une très nette amélioration de la qualité de l’eau en sortie d’usine a été obtenue avec, en particulier, une forte limitation de la teneur en carbone organique assimilable [7], le maillage des réseaux et la diminution des temps de séjour [8], la suppression de toute canalisation en plomb [9] et l’introduction d’une concentration résiduelle de désinfectant (en France, le chlore) avec son maintien tout au long du réseau par des postes de rechloration judicieusement répartis [10]. Mais il est heureusement maintenant clair pour tous que l’eau arrivant au compteur de l’usager n’est pas stérile comme l’emploi inadapté du mot « stérilisation » pour qualifier le traitement de désinfection mis en œuvre à l’usine de potabilisation pouvait autrefois le laisser croire. La quasi-totalité des problèmes de santé liés à l’eau conforme à la norme de potabilité sont dus à des phénomènes se produisant dans les réseaux intérieurs [11]. Y interviennent des phénomènes de corrosion favorisés par l’effet de pile lié à l’emploi successif de différents matériaux pour lesquels des traitements filmogènes à base de polyphosphates sont parfois appliqués, ce qui peut favoriser la croissance de micro-organismes [12]. Ces molécules contribuent à la constitution d’une chaîne trophique qui permet la constitution des biofilms au sein desquels bactéries et amibes peuvent se développer [13]. Comme l’eau en sortie d’usine, conforme à tous les critères de la norme de potabilité, ne contient aucun micro-organisme pathogène mais n’est pas exempte d’une flore considérée comme banale, il n’y a pas de risque qu’elle délivre des micro-organismes pathogènes au point d’entrée dans l’immeuble sauf introduction accidentelle dans le réseau. C’est donc au sein des biofilms que prolifèrent les germes pathogènes opportunistes, c’est-à-dire non pathogènes pour une personne saine mais prenant l’opportunité d’un terrain immunodéprimé ou d’une voie d’entrée court-circuitant les mécanismes de défense classiques de l’être humain pour s’y développer [14]. Cela se produit en particulier en milieu de soins avec des bactéries à Gram négatif telles Legionella pneumophila et Pseudomonas aeruginosa et des amibes, ce qui conduit les gestionnaires de ces établissements à mettre en place des opérations de désinfection [15]. Tout exploitant est tenu de mettre à la disposition du public une eau en permanence conforme à la réglementation en vigueur, excluant tout risque pour l’utilisateur. Cette exigence est particulièrement valide pour le risque infectieux lié à une éventuelle contamination microbiologique du réseau qui pourrait, en particulier dans les établissements de soins, toucher les personnes les plus fragiles. Un résultat conforme est obtenu, selon la situation, grâce à l’application d’une désinfection continue à visée préventive ou d’une désinfection discontinue « choc » à visée curative. Ces désinfections peuvent être mises en œuvre par divers procédés chimiques et physiques dont nous allons étudier les caractéristiques, les résultats obtenus et les limites.
La désinfection chimique
Ce type de désinfection peut être réalisé soit de manière continue, préventive, soit de façon discontinue à but curatif lorsque, l’eau ne respectant plus les critères réglementaires, il doit être procédé à une intervention permettant de rentrer dans le cadre légal.
La désinfection continue préventive
L’objectif de la désinfection continue est d’obtenir en permanence une eau en conformité avec la norme de potabilité sur le plan microbiologique [16] et, dans les établissements recevant du public, en particulier les établissements de soins, avec des critères spécifiques tels que, par exemple, un niveau guide pour Legionella pneumophila de 1 000 UFC/L [17]. Elle nécessite l’installation d’un dispositif injectant un désinfectant avec maintien d’une concentration résiduelle sensiblement constante dans le réseau tout en respectant l’ensemble des critères chimiques de la norme de potabilité, y compris pour l’eau chaude dite « sanitaire » (ECS). Le traitement n’est pas limité dans le temps mais il peut être arrêté lorsque la qualité microbiologique est maintenue en permanence. C’est souvent le cas dans les réseaux d’eau froide (EF) où la faible concentration résiduelle de chlore libre (0,1-0,3 mg/L) appliquée par le distributeur d’eau avant l’entrée dans l’établissement suffit pour assurer une flore planctonique limitée. En revanche les amibes, et en particulier leurs kystes très résistants, jouent le rôle de réservoirs de légionelles et de nombreuses autres espèces bactériennes, permettant la recolonisation rapide du réseau d’ECS dès l’arrêt de la désinfection si elles persistent dans un biofilm. Le type et la dose de désinfectant doivent donc être soigneusement sélectionnés en fonction de la situation en prenant en considération les paramètres caractéristiques de l’eau tels que température, potentiel hydrogène (pH), dureté et teneurs en composés organiques et inorganiques [18]. Les produits utilisés pour la désinfection continue sont en majorité des oxydants.
Les produits oxydants
Le chlore
Oxydant le plus fréquemment utilisé, le chlore est produit de différentes manières (hypochlorite de sodium, hypochlorite de calcium, électrolyse d’ions chlorures, voire dissolution de chlore gazeux) aboutissant toutes à la formation d’acide hypochloreux (HOCl) dont l’ion hypochloreux est la forme active [19]. Compte tenu de sa forte réactivité avec les composés organiques, son usage peut produire des sous-produits toxiques tels les trihalométhanes, dont le chloroforme dont la concentration est réglementée, et des chloramines en présence d’ammoniac [20]. Dans tous les réseaux on ne doit pas dépasser 0,3 mg/L de chlore libre car l’ECS doit rester en permanence potable. Le pH de l’eau est important à prendre en compte car en dessous de 7,6 le chlore est majoritairement présent sous forme d’acide hypochloreux, plus biocide que l’ion chlorite présent à un pH supérieur [21]. La température est aussi un paramètre important pour l’efficacité biocide qui augmente avec elle. Le chlore agit sur divers mécanismes du métabolisme bactérien (respiration, transport et acides nucléiques). Les bactéries utilisées classiquement comme indicateurs de la qualité microbiologique de l’eau sont très sensibles à la chloration alors que celles qui sont susceptibles de s’intégrer dans les amibes libres et les biofilms ne sont guère plus présentes dans l’eau (bactéries planctoniques) mais y persistent pour en ressortir dès la disparition du désinfectant [22].
Le dioxyde de chlore (ClO2)
Le dioxyde de chlore (ClO2) est un traitement autorisé pour les eaux potables. C’est un gaz instable dont les solutions doivent être réalisées sur le lieu d’utilisation sans pouvoir dépasser 4 g/L. Dans l’eau, les chlorites (ClO2-) représentent la majorité du ClO2 ayant réagi, le reste étant converti en chlorates et en chlorure. Chlorites et chlorates sont toxiques et font l’objet de références de qualité à 0,2 mg/L [23]. Il existe plusieurs procédés de fabrication de la solution de ClO2, utilisés par les divers fabricants d’appareillage pour le traitement des réseaux intérieurs d’ECS. L’avantage de ce traitement à 0,2 mg/L est une moins grande formation de sous-produits et une efficacité sur les bactéries planctoniques, mais il a l’inconvénient d’être corrosif pour les installations y compris en acier inoxydable, peu stable et inefficace sur le biofilm. En cas d’absence momentanée de ClO2, une réapparition des légionelles est constatée en quelques jours [24]. Il est difficile d’obtenir une concentration résiduelle constante dans le réseau et, dans notre expérience, cela rend possible la réémergence de bactéries indésirables à partir du biofilm dans les réseaux d’ECS.
La monochloramine
Les chloramines sont utilisées comme désinfectant dans le traitement de l’eau potable et dans les réseaux de distribution intérieurs aux États-Unis mais sont actuellement interdites en Europe, où des dossiers d’autorisation au titre de la directive relative aux biocides sont encore en cours d’examen. Certains pays comme l’Italie utilisent un traitement à la monochloramine dans les réseaux intérieurs hospitaliers d’ECS à titre expérimental. Les chloramines sont moins efficaces que le chlore libre pour tuer ou inactiver les agents pathogènes, mais elles produisent moins de trihalométhanes et d’acides haloacétiques. Elles sont aussi plus stables que le chlore libre, assurant un temps de contact de désinfection plus long à l’intérieur du réseau de distribution, mais des phénomènes de corrosion ont parfois été décrits [25]. Des trois chloramines, la monochloramine est l’espèce chimique privilégiée pour la désinfection de l’eau potable en raison de ses propriétés biocides et de sa relative stabilité. Elle cause peu de problèmes de goût et d’odeur, comparativement à la dichloramine et à la trichloramine [26]. En raison de ces propriétés, la monochloramine est utilisée comme désinfectant secondaire afin de maintenir une concentration résiduelle de désinfectant dans un réseau de distribution, et pas comme désinfectant primaire. La monochloramine produite à des fins de désinfection est formée au cours d’un processus appelé « chloramination » par ajout d’ammoniac (NH3) à du chlore libre aqueux (acide hypochloreux), opération qui nécessite un appareillage avec un contrôle fin des divers paramètres. Son emploi comme désinfectant résiduel dans les réseaux de distribution publics aux États-Unis ayant permis d’observer une diminution des colonisations par les légionelles, son emploi a été élargi aux réseaux intérieurs dont la température était inférieure à 50°C. Elle a montré une plus grande efficacité que le chlore libre sur les légionelles, probablement en raison d’une meilleure pénétration dans le biofilm [27]. La concentration doit être de l’ordre de 2-3 mg/L pour éviter la formation de sous-produits tels que des nitrosamines comme la NDMA1 [28]. À l’inverse des travaux récents soupçonnent ce traitement de favoriser l’émergence de mycobactéries non tuberculeuses [29].
Les autres oxydants
Le brome n’est pas utilisé dans les réseaux, pas plus que l’iode, à l’inverse du permanganate de potassium (de moins en moins et seulement dans les réseaux publics) dont l’action est fortement dépendante du pH. Des travaux récents portent sur le peroxyde d’hydrogène et l’acide peracétique, mais pas en usage continu, ainsi que sur l’ozone dont une concentration résiduelle est impossible à maintenir dans un réseau [30].
Les produits non oxydants
Le seul traitement de désinfection continue par produits non oxydants est actuellement le traitement par cuivre-argent. L’utilisation de ces cations est autorisée aux États-Unis, mais pas en Europe sauf dérogation pour la réalisation de nombreux essais sous contrôle des autorités sanitaires, avec des résultats contrastés qui justifient cette absence d’autorisation. Ce traitement est réalisé sur l’ECS avec des électrodes de ces deux métaux qui permettent d’obtenir des concentrations de ces cations de respectivement 0,2-0,4 mg/L pour le cuivre et 0,02-0,04 mg/L pour l’argent [31] qui semblent agir en synergie. L’action sur le biofilm est faible, entraînant l’apparition rapide de légionelles planctoniques [32]. L’inconstance des résultats observés lors des expérimentations réalisées en Europe pourrait s’expliquer par les concentrations plus élevées autorisées aux États-Unis et par la présence d’une concentration résiduelle de chlore, elle aussi plus importante, pouvant atteindre 0,7-1 mg/L, soit quasiment le niveau des concentrations utilisées en piscine en Europe.
La désinfection chimique instantanée (« choc ») curative
Les produits utilisés pour la désinfection instantanée « choc » sont les agents oxydants qui ont été présentés ci-dessus, utilisés dans des concentrations bien plus élevées. La mise en œuvre de la désinfection choc se fait dans un laps de temps court. Elle est suivie d’un rinçage abondant et d’une vérification des concentrations présentes aux points de distribution les plus distaux pour éviter tout risque pour les utilisateurs. Ce genre de traitement est réalisé sur tous les réseaux (EF et ECS) à leur mise en service, puis en général sur les réseaux d’ECS pour tenter de les désinfecter.
L’hyperchloration
La réalisation d’un « choc chloré » permet de désinfecter rapidement une installation hautement contaminée. Pour parvenir à des résultats significatifs, 10 mg/L de chlore libre au minimum (de 20 mg à 50 mg de chlore, voire plus) doivent être utilisés et mesurés en chaque point du réseau pendant au minimum 60 minutes. Le réseau ne doit pas être utilisé pendant le traitement et doit être rincé jusqu’à retrouver des valeurs d’au maximum 0,3 mg/L avant de pouvoir être réutilisé. On peut craindre une importante production de sous-produits indésirables et une corrosion plus ou moins nette des canalisations qui s’aggrave avec la répétition éventuelle de ces chocs. À terme, cette désinfection choc s’avère en général inefficace en raison de la protection des bactéries au sein des biofilms et des kystes d’amibes très résistants ; la sélection d’espèces plus pathogènes (p. ex. émergence de Legionella pneumophila sg1) en remplacement d’autres espèces de légionelles a même été observée [33].
L’acide peracétique et l’eau oxygénée
L’utilisation d’acide peracétique et d’eau oxygénée reste pour le moment exceptionnelle car, si des résultats peuvent être obtenus rapidement, elle n’empêche pas la recolonisation rapide du réseau à des taux beaucoup plus élevés qu’avant le traitement. La non-destruction du biofilm, la présence d’acide peracétique en tant que source de carbone ou les probables différences de matériaux sont des pistes avancées pour tenter d’expliquer ces résultats alors que l’usage de ces produits pour la désinfection des eaux usées se répand [34].
La désinfection thermique
La désinfection thermique en continu à visée préventive
La désinfection thermique en continu à visée préventive consiste à maintenir en tout point la température de l’ECS au-dessus de 55°C, température connue pour inhiber la croissance ou détruire les micro-organismes. Les systèmes de production d’eau chaude sont alors dimensionnés pour fournir une ECS au moins égale à 60°C avec éventuellement un volume de stockage équivalent à une période de pointe adaptée. Une pompe de bouclage et une pompe de secours, équipées de manomètres différentiels, sont à prévoir avec un basculement automatique de fonctionnement. L’ensemble des réseaux d’ECS est bouclé entre 55°C et 60°C sur la totalité des parcours. La température cible du retour de boucle est de l’ordre de 55°C. La longueur des antennes non irriguées par le bouclage est aussi courte que possible et limitée à huit mètres linéaires maximum conformément au DTU2 60.11. On sait maintenant que la présence d’un équilibreur de pression en amont, qui par son fonctionnement crée de la cavitation donc des bulles d’oxygène, favorise la prolifération de Pseudomonas. La surface interne de ces dispositifs équilibreurs de pression augmente le biofilm car elle intègre une grosse membrane en éthylène-propylène-diène monomère (EPDM) positionnée entre les passages d’ECS et d’EF. L’EPDM est clairement interdit dans la norme française spécifique à la robinetterie destinée au milieu médical (NF 077 MM) qui le précise concernant les flexibles d’alimentation. Ceux-ci intègrent obligatoirement des clapets anti-retour pour éviter l’interconnexion permanente entre l’EC et l’EF, ce qui est déconseillé par les circulaires du ministère de la Santé. La mise en place de la désinfection thermique en continu entraîne un risque important de brûlure. La seule solution pour écarter ce risque est l’utilisation de mitigeurs thermostatiques ou de mitigeurs à équilibrage de pression au point de puisage. Ils sont équipés de butées de température à 41°C et ferment instantanément l’eau chaude en cas de coupure d’eau froide. Ces dispositifs protègent ainsi très efficacement des brûlures. L’utilisation d’un réseau bouclé avec ces limites de température fait partie des obligations réglementaires dans de nombreux pays européens et a fait ses preuves là où elle est mise en place de manière constante et attentive. La température de retour de boucle doit être relevée tous les jours. Ce type de réseau a l’inconvénient d’être coûteux en énergie sauf excellente isolation des canalisations d’ECS. Il peut aussi se produire un réchauffage des canalisations d’eau froide par les canalisations d’eau chaude mal isolées, particulièrement notable lorsque les canalisations d’EF et d’ECS sont implantées dans des gaines techniques non ventilées. La température de l’air y est élevée et réchauffe l’eau froide pendant les périodes de non-puisage. Les canalisations d’EF deviennent alors dangereuses car elles contiennent de l’eau tiède propice au développement des bactéries mésophiles et thermophiles. Il faut donc déconseiller les équilibreurs de pression en amont des points de puisage et rendre impératif à ces points de puisage les mitigeurs thermostatiques ou à équilibreur de pression, dont les chambres de mélange ne doivent pas être sous pression. Ils ont exactement le même rôle tout en étant au bout du parcours, juste en amont d’un filtre terminal éventuel, et tout établissement de soins se doit de les utiliser car ils garantissent le confort (maintien d’une température constante malgré les variations de température et de pression) et la sécurité anti-brûlure. Aux États-Unis, c’est la technologie de l’équilibrage de pression qui est utilisée car les différences de pression sont très importantes entre l’ECS et l’EF. Dans le reste du monde, c’est la technologie du thermostatique qui s’est imposée, car les pressions ECS et EF sont à peu près toujours les mêmes alors que leurs températures peuvent varier fortement (phénomène de douche écossaise lorsque plusieurs personnes prennent leur douche en même temps). La désinfection thermique est peu efficace en présence de dépôts importants d’impuretés dans les canalisations car ils servent d’isolant pendant les chocs thermiques (et chimiques). Attention également aux bras morts qui ne sont pas atteints par la désinfection thermique (ni chimique !) et à la stagnation de l’eau, en particulier dans les points de puisages les plus éloignés (chambres au fond des couloirs qui sont souvent vides). La pasteurisation est maintenant connue pour favoriser les émergences [35], aussi la stagnation d’eau chaude est déconseillée.
Le choc thermique à visée curative
De nombreuses études ont montré que la température minimale pour une désinfection par choc thermique était de 60°C [36]. Il y a consensus pour utiliser la température initiale de 70°C et chercher à l’obtenir en tout point du réseau pendant au minimum trois minutes aux points distaux (p. ex. DVGW-Arbeitsblatt W 5513). Cette action présente le risque d’endommager les installations et d’entraîner une turbidité anormale ainsi que des brûlures, avec des cas mortels rapportés dans plusieurs pays. En général on recommande plutôt 30 minutes de maintien en température tout en n’ignorant pas que cela s’avère très difficile en pratique. Les recommandations en France sont les suivantes : 30 minutes à 60°C en tout point du réseau. Dans les faits il est très difficile d’obtenir le respect de ces paramètres, quelle que soit la nature des matériaux. En effet, des dépôts d’impuretés et l’épaisseur du biofilm, forcément importants dans les réseaux où la prolifération est forte et dans lesquels les micro-organismes restent abrités, ainsi que les corps épais des robinetteries, ont un pouvoir isolant et limitent la montée en température. De plus, les capacités de production et les réserves d’eau chaude sont en général insuffisantes pour une telle opération car les besoins en eau chaude pour appliquer des chocs thermiques dans toute une installation ne sont jamais pris en compte lors de la conception de celle-ci. Bien entendu, les chocs thermiques soumettent ces installations à rude épreuve, avec de nombreuses conséquences techniques. Le choc thermique ne change en rien les conditions d’un réseau qui a un niveau élevé de bactéries pathogènes opportunistes : les conditions de prolifération y sont fortes en raison des impuretés, des points morts, de la stagnation de l’eau, de températures de bouclage inférieures à 50°C en certains points du réseau…, si bien que, rapidement après le choc thermique, on retrouve les mêmes conditions qu’avant. En conséquence, le choc thermique n’est pas d’une grande efficacité et contribue à endommager le réseau sauf s’il est prévu dès la conception avec des tuyaux inox et des points de puisage adaptés, comme dans les unités de production pharmaceutique ou dans les unités de dialyse, où la température peut monter à 90°C. Dans une récente publication, Muzzi et al. [37] ont comparé les résultats de trois périodes successives d’utilisation de diverses méthodes de prévention de la légionellose dans un hôpital italien de 2000 à 2018, montrant les difficultés à obtenir des résultats satisfaisants. De 2000 à 2005, les chocs chlorés et thermiques ont été employés sans résultat probant ; de même de 2005 à 2010 avec l’utilisation d’une désinfection continue par ionisation cuivre-argent. C’est seulement à partir de 2010, grâce à la combinaison d’une désinfection chimique par dioxyde de chlore et de l’utilisation de filtres aux points d’usage, que la situation épidémiologique a été maîtrisée malgré la persistance d’une contamination des réseaux avec une augmentation progressive de Legionella pneumophila du sérogroupe (Lp1). Compte tenu de toutes les limites de la désinfection choc, qu’elle soit chimique ou thermique, il est évident que la conception correcte du réseau et de la robinetterie ainsi que sa maintenance régulière sont les meilleurs gages de l’obtention d’une eau peu contaminée. Un réseau ainsi conçu dans une vision préventive, permet de s’abstenir d’opérations de désinfection choc nuisibles à son intégrité, ce que nous allons aborder dans la discussion.
Pour une bonne conception du réseau
Seule une vision préventive permettant une conception correcte des réseaux d’EF et d’ECS, si possible dès la construction de l’établissement, est garante d’un résultat stable dans le temps. La conception d’un réseau d’ECS doit prendre en compte les enseignements de la lutte contre la prolifération des légionelles menées depuis une vingtaine d’années en Europe. Elle permet également plus facilement les opérations de suivi et de maintenance [38,39]. Idéalement, l’ensemble des réseaux d’ECS est bouclé entre 55 et 60°C sur la totalité des parcours. La température cible du retour de boucle est de l’ordre de 55°C, avec des antennes non irriguées par le bouclage, aussi courtes que possible. La température au point d’usage de l’eau dans les pièces destinées à la toilette ne doit pas dépasser les 50°C. La robinetterie thermostatique ou à équilibrage de pression doit intégrer une butée de température pour écarter le risque de brûlure, butée qui doit être débrayable par un professionnel pour permettre un éventuel choc thermique. La robinetterie ne comprend pas de chambre de mélange sous pression, pour éviter toute interconnexion entre l’eau chaude et l’eau froide. La surveillance des températures de l’ECS dans les établissements de soins, mais aussi dans tous les grands établissements recevant du public, est réalisée par la mise en place de sondes de température aux points suivants : départ du collecteur d’ECS général (un par sous-station), dans les collecteurs des retours généraux en sous-station, et au retour de chaque boucle dans l’ensemble de la distribution. Les sondes de température sont raccordées sur un automate d’acquisition des valeurs permettant le traitement des données et leur transmission aux installations de supervision.
Les différentes causes de prolifération microbienne dans les installations sont :
- la stagnation liée à des points d’eau peu voire jamais utilisés, comme les chambres au fond des couloirs ou les lavabos du personnel soignant dans des services où le lavage des mains n’est pas essentiel, ou encore à la présence de bras morts due à la conception du réseau ou à des travaux ultérieurs ayant supprimé des points de puisage inutilisés sans enlever la tuyauterie en amont. La stagnation d’eau est également un des facteurs de contamination, en particulier des robinets, par Pseudomonas aeruginosa [40] ;
- une température de retour du bouclage des réseaux d’ECS inférieure à 50°C, qui peut avoir des origines variées : entartrage, grosse quantité d’impuretés dans les appareils de production ou de stockage d’eau chaude et dans les canalisations, clapets anti-retour non étanches, mauvaise isolation des tuyaux d’EF et d’EC conduisant à augmenter involontairement la température de l’eau froide… et à inventer l’eau tiède, milieu idéal pour la prolifération des bactéries mésophiles. Tous ces facteurs contribuent également à l’échec des tentatives d’« éradication » de la contamination par des désinfections chimiques choc ou des chocs thermiques [42] ;
- des écarts de pression entre les arrivées d’ECS et d’EF qui provoquent une interconnexion entre les deux. Ce cas de figure conduit également à un réchauffement de l’EF et à une diminution de température de l’ECS. Une réglementation récente NF 077 MM interdit pour cette raison les clapets anti-retour sur les mitigeurs aux points de puisage parce qu’ils laissent passer l’eau dès que le joint d’étanchéité présente la moindre impureté, rendant obligatoire leur contrôle régulier, ce qui n’est jamais fait, en particulier dans les établissements de soins.
Ainsi la plus grande attention doit être accordée à la conception et à la réalisation du réseau en fonction des besoins réels des utilisateurs. Il convient par exemple de poser l’alternative technique et économique d’un réseau d’ECS dans tout un bâtiment à partir soit d’un ballon de stockage avec un réseau bouclé, soit de réchauffeurs instantanés sur les points de puisage qui en ont besoin [42]. Les ballons d’eau chaude verticaux sont souvent plus contaminés que ceux qui sont horizontaux, vraisemblablement en raison d’une meilleure circulation de l’eau dans ces derniers. Les canalisations doivent être les plus courtes possibles et d’un diamètre adapté au débit prévu. La présence de vannes de régulation et d’un système de purge est indispensable pour éviter les zones « mortes » et garantir des temps de stagnation les plus courts possibles (p. ex. la nuit dans un établissement de soins). Les températures d’EF et d’ECS doivent respecter la réglementation, ainsi que les constituants du réseau, afin de maîtriser les conditions de la prolifération bactérienne dans tout cet ensemble. La conception des réseaux tient désormais compte des risques de prolifération avec par exemple des boucles de dimensions réduites – et plus aucune sous-boucle. Les clapets anti-retour peuvent être source d’interconnexion entre eau chaude et eau froide et il faut privilégier les mitigeurs thermostatiques sans clapet anti-retour, dont les chambres de mélange ne sont pas sous pression, comme l’impose la norme NF 077 MM. Cette robinetterie doit être de qualité et bien entretenue afin d’éviter la stagnation d’eau à température plus faible inévitablement source de prolifération des bactéries thermophiles telle que Legionella pneumophila. La stagnation étant l’une des principales causes de prolifération, on ne peut que conseiller la purge automatique périodique qui se déclenche 24 heures après la dernière utilisation. Ce dispositif est normalement de série sur les robinets électroniques. En Allemagne, la réglementation dans les établissements recevant du public oblige l’écoulement de l’eau à chaque point de puisage toutes les 72 heures maxi. La réglementation ne prend pas encore en compte ces connaissances récentes et la plupart des hôpitaux ont été construits différemment, donc avec des risques importants. C’est pourquoi, pour la garantie de l’obtention d’une eau bactériologiquement maîtrisée, l’utilisation de filtres ou de dispositifs à ultraviolets (UV) est indiqué pour tous les usages à risque. L’utilisation seule de la désinfection UV est insuffisante pour contrôler les micro-organismes en raison de son faible rayon d’action et des interactions avec les composés de l’eau. Les appareils présents sur le marché font passer l’eau sous forme de couche mince autour du tube émetteur avec un bon résultat immédiat. Mais le maintien de la qualité dépend de la place du dispositif. Situé en ligne, il peut permettre d’améliorer la qualité microbiologique de l’eau si l’intensité du rayonnement UV est suffisante par rapport au débit, mais une contamination dans le réseau peut se produire, surtout liée aux bactéries que le biofilm libère sous forme planctonique. Une autre cause peut être la reviviscence de bactéries aptes à réparer les lésions non létales induites par une irradiation insuffisante. Si le dispositif est fixé en position terminale, au robinet, le biofilm pouvant se détacher par amas, le rayonnement UV devient complètement inefficace (effet de masquage), de même que les UV ne peuvent pas détruire les légionelles à l’intérieur des amibes ; il faut pour cela coupler le rayonnement UV à un rayonnement ultrasonore [43]. La formation de nitrites avec des longueurs d’onde inférieures à 240 nm est également possible. L’utilisation de filtres à 0,22 µm, compte tenu de leur capacité de coupure permettant de retenir presque tous les micro-organismes (tels que les Legionella et les Pseudomonas [44]) peut avoir deux objectifs : être une solution palliative à la maîtrise de la qualité microbiologique d’un réseau contaminé pendant la période où des travaux sont menés pour revenir à une situation satisfaisante, ou être la solution de référence pour les usages et les zones sensibles afin de prévenir une contamination lors des soins pour les patients à très haut risque. Cette technique a fait l’objet d’un article spécifique dans cette revue [45].
Conclusion
La contamination microbiologique des réseaux d’eau par des micro-organismes pathogènes opportunistes entraîne des conséquences maintenant bien décrites sur la possibilité d’infection associée aux soins pour les patients les plus à risque en établissements de soins. En raison du développement de l’hospitalisation à domicile, de telles infections sont maintenant décrites chez des patients contaminés par des pathogènes opportunistes présents dans le réseau de leur immeuble (p. ex. mycobactéries non tuberculeuses). À l’hôpital, pour prévenir la survenue de telles infections, une surveillance des points critiques des réseaux est obligatoire ainsi que la tenue d’un carnet sanitaire. Lors de la constatation d’une dérive d’un des paramètres de cette surveillance (p. ex. Legionella pneumophila, Pseudomonas aeruginosa, etc.), une intervention est nécessaire pour revenir à une situation satisfaisante. Les opérations de plomberie sont lourdes, mais en général indispensables, ainsi la tendance est-elle souvent de tenter d’abord une opération de désinfection. La désinfection chimique a de nombreuses limites et peut entraîner à long terme l’émergence de germes tolérants. Si des désinfections choc sont répétées, le réseau est atteint et à terme le remède risque d’affecter le fonctionnement. La désinfection thermique continue a largement fait ses preuves mais nécessite un excellent réseau et une surveillance attentive. En cas de problème se pose la question de réaliser un choc thermique en augmentant temporairement la température mais les résultats sont rarement à la hauteur des espérances et la dégradation du réseau peut être importante. En raison des limites, voire de l’inefficacité curative des techniques présentées dans cet article, l’approche préventive de la contamination microbiologique doit être privilégiée. En conséquence, une conception correcte du réseau et de la robinetterie et leur maintenance régulière sont les meilleurs gages de l’obtention d’une eau peu contaminée qui permet de s’abstenir de ces opérations de désinfection choc nuisibles au réseau et risquées quant à l’émergence de bactéries résistantes. L’apparition in vitro de phénomènes de tolérance ou de résistance acquises de bactéries aux biocides (y compris le chlore) constitue une menace potentielle pour la santé des usagers et une contre-indication à leur utilisation à long terme ; leur impact au quotidien sur l’efficacité des traitements chimiques et thermiques reste à préciser. L’association avec une résistance croisée aux biocides et aux antibiotiques est par ailleurs un risque à surveiller avec une extrême attention [46]. De plus, comme le support génétique de la tolérance ou de la résistance aux désinfectants est souvent identique à celui de la résistance aux antibiotiques, il est mis en avant que l’usage des désinfectants doit être raisonné afin d’éviter d’aggraver le phénomène actuel et très inquiétant d’augmentation de la résistance aux antibiotiques [47]. L’objectif est d’éviter la diffusion de bactéries multirésistantes. Ce phénomène n’a heureusement pas encore été constaté sur le terrain dans les réseaux de distribution d’eau. Pour la garantie de l’obtention d’une eau bactériologiquement maîtrisée en établissement de soins dans ce genre de situation d’incertitude, l’usage de filtres est indiqué pour tous les usages à risque.
Notes :
1- N-nitrosodiméthylamine.
2- Document technique unifié.
3- Feuille de travail DVGW W 551. (La Deutscher Verein des Gas- und Wasserfaches est l'association allemande pour le gaz et l'eau. (Wikipédia [anglais].)