Au début de la pandémie à coronavirus SARS-CoV-2 en France, les autorités sanitaires et de nombreux scientifiques affirmaient que le port de masques médicaux, sauf à être soi-même porteur du virus ou en contact direct avec une personne infectée, n’était pas indiqué pour le reste de la population qui n’adhérait pas jusque-là au concept de contrôle de la source contaminante par un masque. Cette position, confortée à ce moment-là par les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [1], permettait aussi à l’État de faire face à l’incroyable pénurie de masques qu’ils soient médicaux ou de protection respiratoire mettant à mal l’approvisionnement des professionnels de santé par les réserves étatiques. C’est de cette crise majeure que va naître le concept de masque grand public (et ses diverses appellations, masque tissu, barrière ou alternatif) [2]. La découverte au fil de l’épisode de la part importante et inhabituelle dans une virose respiratoire, de la transmission par des sujets asymptomatiques allait aussi changer la donne en termes de stratégie populationnelle.
Un nouveau concept
Situer la place du masque grand public nécessite de faire un rappel sur les masques à usage médical et les appareils de protection respiratoire (APR) ainsi que sur leurs indications respectives.
En France1, les masques médicaux (appelés aussi chirurgicaux), en conformité à la norme NF EN 14683+AC d’août 2019 [3], sont de types I ou II en fonction de la qualité du média filtrant et de sa performance en termes d’efficacité de filtration bactérienne (EFB), testée avec un aérosol de Staphylococcus aureus porté sur des particules de taille moyenne de 3 microns. Les masques de type I disposent d’une barrière filtrante ≥ à 95%, ceux de type II d’une EFB > 98%. Selon la norme, les masques médicaux sont « principalement destinés à protéger le patient contre la transmission d’agent infectieux et, dans certaines circonstances, à protéger la personne qui les porte contre les projections de liquides susceptibles d’être contaminés ». Il est ajouté dans ce document qu’ils « peuvent également être portés par des patients et d’autres personnes pour réduire le risque de propagation des infections, notamment dans un contexte d’épidémie ou de pandémie ». Au minimum un type I pour les patients, le type II étant « principalement destiné à être utilisé par des professionnels de santé dans les blocs opératoires ou dans d’autres installations médicales aux exigences similaires ». Il existe un type IIR, la mention R qualifiant une résistance aux projections sous réserve qu’elle ait été évaluée conformément aux spécifications de la norme ISO 22609:2004. Quel que soit le type, la conception de ce dispositif doit permettre de couvrir le nez, la bouche, le menton pour obtenir une étanchéité parfaite sur les côtés. Ceci implique un critère de respirabilité mesuré par la pression différentielle inférieure à 40 Pa/cm² (type I ou II) et à 60 Pa/cm² (type IIR). Ces masques sont tous à usage unique et relèvent en tant que dispositifs médicaux (DM) de la compétence de l’Agence de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
Les appareils de protection respiratoire relèvent de la norme NF EN 149+A12009 [4]. Il s’agit de demi-masques filtrants contre les particules, couvrant le nez, la bouche et le menton et pouvant comporter une ou des soupape(s) inspiratoire(s) et/ou expiratoire(s). Ils sont classés selon leur efficacité de filtration et leur fuite totale vers l’intérieur. La performance du filtre (testée pour deux aérosols d’essai, chlorure de sodium et huile de paraffine avec un débit de 95 L/min) doit être ≥ à 80%, 94% et 99% respectivement pour les masques FFP1, FFP2, FFP3. La fuite totale vers l’intérieur du masque (sur sujets humains effectuant des exercices) est < à 22%, 8% et 2% respectivement pour FFP1, FFP2, FFP3. D’autres critères sont décrits dans la norme, notamment la résistance respiratoire à l’inspiration, à l’expiration et après colmatage, la teneur en oxyde de carbone de l’air inhalé. Il est intéressant de noter que l’annexe A de la norme NF EN 14683+AC précise que « si un masque est destiné à être utilisé pour protéger la personne qui le porte contre les agents infectieux (bactéries, virus ou champignons), l’utilisation d’un appareil de protection respiratoire (APR) est applicable conformément à la Directive 89/686/CEE relative aux équipements de protection individuelle (EPI) ou au règlement (UE) N° 2016/45 relatif aux EPI. Les exigences de performance des APR font partie du domaine d’application de l’EN 149 ». Les recommandations françaises actuelles limitent leur utilisation aux micro-organismes à transmission par voie aérienne et aux situations de soins avec production d’un aérosol. Ceux comportant une valve expiratoire ne peuvent être utilisés en secteurs de soins en raison de l’absence de filtration au niveau de la valve. Si la plupart des APR sont à usage unique, certains sont réutilisables (comportant le sigle R à différencier de celui des masques médicaux qui désigne le caractère antiprojections). Ces APR, qui peuvent également être utilisés par différents types d’industries non médicales, ne relèvent pas de la compétence de l’ANSM.
L’arrivée au-devant de la scène du masque grand public se fait dans le contexte de crise sanitaire évoqué ci-dessus, conduisant l’ANSM à réunir des experts2 et des représentants des administrations pour envisager la place potentielle des masques en textile réutilisable. Le groupe de travail a acté un triple objectif à savoir permettre une protection des personnes assurant la continuité de l’activité du pays dans le cadre du confinement, offrir une protection additionnelle à chaque citoyen dans le cadre de situations à risque et enfin préserver les masques à usage unique normés pour les professionnels de santé (Figure 1). Le challenge proposé aux experts était, avec une échéance de quelques jours, de créer le cadre d’un nouveau concept d’équipement de protection avec en regard la nécessité de pouvoir valider les performances tout en permettant une production nationale massive et rapide. Partant de la norme sur les masques à usage médical et des possibilités offertes par les laboratoires de la Délégation générale de l’armement, les experts se sont mis d’accord sur deux nouvelles catégories officiellement définies comme suit dans l’avis de l’ANSM en date du 24 mars 2020 [5] (Tableau I) et repris dans la note d’information du 29 mars 2020 des ministères des Solidarités et de la Santé, de l’Économie et des Finances, du Travail, de l’Action et des Comptes publics [6].
- Les masques individuels à usage des professionnels en contact avec le public (catégorie 1), destinés aux personnels affectés à des postes ou missions comportant un contact régulier avec le public. Ils filtrent au moins 90% des particules émises d’une taille supérieure ou égale à 3 microns.
- Les masques à visée collective pour protéger l’ensemble d’un groupe portant ces masques (catégorie 2), destinés aux personnes dans le milieu professionnel ayant des contacts occasionnels avec d’autres personnes. Ce masque pourra être porté par l’ensemble des individus d’un sous-groupe (entreprise, service…) ou en présence d’autres individus porteurs d’un masque d’une autre catégorie, lorsque le poste ou les conditions de travail le nécessitent. L’exigence de filtration demandée était d’au moins 70% des particules émises d’une taille supérieure ou égale à 3 microns. C’est cette catégorie qui est proposée au plus grand nombre lors des sorties pendant le confinement et dans la phase de déconfinement.
Citons les autres critères principaux : exigences d’ajustement sur le visage avec une couverture du nez et du menton (fuite au visage ne dépassant pas 40%), absence de couture sagittale (verticale au niveau de la bouche et du nez), respirabilité à un niveau permettant son port pendant une durée de 4 heures S’ils sont indiqués réutilisables, une notice précise la méthode de lavage et le nombre de cycles pour lequel le fabricant a démontré la conservation des performances. La transparence totale a été souhaitée autour du processus avec une publication de l’ensemble des résultats des tests sur le site de la Direction générale des entreprises (DGE) [7,8]. Au décours de la définition de ces nouveaux concepts, l’Agence française de normalisation (Afnor) a publié un référentiel complémentaire utilisable par les industriels et les particuliers ; ce document donne deux patrons de confection pour un modèle de masque à plis et un modèle en bec de canard ; il propose aussi des matériaux pour assurer à la fois une filtration adaptée en maintenant une respirabilité suffisante [9].
Sur le site de la DGE, il est rappelé que toute entreprise souhaitant mettre ces masques sur le marché doit préalablement : a) s’assurer que son produit respecte l’ensemble des spécifications fixées par la note interministérielle du 29 mars 2020 ; b) ne pouvoir utiliser l’appellation « masque grand public » et le logo sur d’autres produits que les masques répondant aux spécifications exigées (Figure 2) ; c) faire réaliser des essais, sous sa responsabilité, conduits par un tiers compétent, démontrant les performances de ses masques au regard des spécifications de l’État et pouvoir présenter les résultats des essais aux services de contrôle qui en feraient la demande.
On rappelle que les masques « grand public » sont exclusivement réservés à des usages non sanitaires (et ne pourront aucunement remplacer des APR dont le port est rendu nécessaire au poste de travail). Surtout ils doivent être utilisés en complément des mesures barrières déjà mises en place : hygiène des mains et distanciation physique.
Le mode d’emploi
Quand et comment porter un masque ?
On peut retenir les trois idées principales proposées par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) dans son avis du 24 avril 2020 [10] :
- Quel que soit l’établissement recevant du public, le port d’un masque grand public est obligatoire dès lors que la distance physique d’au moins 1 mètre ne peut être garantie ou s’il y a un doute sur la possibilité de l’organiser et la respecter.
- Par ailleurs, le port de masque grand public est une mesure complémentaire des mesures classiques de distanciation physique, des autres gestes barrières, d’hygiène des mains, d’aération des locaux et de nettoyage-désinfection des surfaces ;
- Le port de masque grand public par les porteurs asymptomatiques, lorsqu’il est bien utilisé et bien porté, réduit fortement la transmission du virus en protégeant essentiellement l’environnement de celui qui le porte.
En pratique le port du masque grand public est désormais obligatoire dans les transports en commun et il est recommandé dans tous les lieux publics où l’affluence réelle ou potentielle ne permettra pas le respect continu de la distanciation physique et/ou conduit à un certain niveau de confinement pouvant accroître la concentration particulaire de l’air ambiant. Nombre d’établissements de santé ont doté leurs agents de masques grand public car il demeure important que l’exemplarité qu’ils représentent et la protection qu’ils requièrent se poursuivent aussi dans la communauté.
Les masques grand public ont des attaches auriculaires le plus souvent ce qui simplifie leur usage. Comme tout masque, il doit être positionné au-dessus du nez et couvrir le bas du visage jusqu’en dessous du menton. Son ajustement doit limiter les fuites d’air qui restent de toute façon importantes même dans un masque de type médical. Une fois en place, il ne faut plus le manipuler et le geste le plus à risque consiste à l’abaisser du haut vers le bas puis à le remettre en position du bas vers le haut.
Une désinfection des mains, avant et après la manipulation du masque, est nécessaire (Figure 3).
Comment entretenir un masque ?
Chaque masque grand public, quand il est recyclable, comporte une notice avec les préconisations de traitement du fabricant qu’il convient de suivre pour en garantir la meilleure préservation dans le temps.
Les experts du groupe ANSM ont donné quelques directives en se basant sur les préconisations déjà en vigueur pour le lavage des textiles durant l’épisode Covid-19 et la gestion plus globale du risque microbiologique (avis de l’ANSM en date du 13 mai 2020) [11]. Le cycle de nettoyage à 60°C d’une durée de 30 minutes au moins avec un détergent classique est le cycle de référence mais il existe peu de données scientifiques à ce propos dans le contexte d’un lavage en machine. Il est probable que les virus enveloppés résistent peu à un processus lessiviel même à plus basse température. Il n’est pas nécessaire de laver les masques séparément (le remplissage à demi-charge du lave-linge permettant d’assurer un bon brassage).
Le séchage se fait au mieux en sèche-linge, sinon à l’air ambiant. Si la composition du masque le permet un repassage à une température voisine de 120°C est une opération qui inactive très rapidement les micro-organismes résiduels (Figure 3).
En pratique le masque est conservé dans un emballage propre, type sac de congélation. Une fois le port terminé le masque peut être soit remis dans cet emballage soit directement dans la machine. Pour le grand public le port du masque se fait souvent sur une durée courte très inférieure à 4 heures et il n’est pas aisé de lancer des cycles de machine pour chaque masque porté. Aussi, une réutilisation après dépose temporaire est envisageable en respectant les règles d’hygiène des mains et de manipulation sans contact avec ses propres muqueuses. Tout masque visiblement souillé doit être immédiatement lavé et, au décours, toute altération du textile ou baisse de la performance des attaches doivent conduire à l’élimination du masque qui doit se faire dans la filière des ordures ménagères et non dans celle du recyclage.
En l’absence de lave-linge, il est possible de procéder de la façon suivante : nettoyage avec détergent (savon, produit vaisselle, lessive pour lavage à main) en évitant tout brossage pour ne pas détériorer les fibres de tissu, trempage dans une eau chaude à 60°C pendant 30 minutes, rinçage, séchage et si possible repassage.
Ce qui n’est pas autorisé : suspendre quelques minutes le masque à la vapeur, utiliser un micro-ondes (risque supplémentaire d’accident domestique si le masque contient une barrette métallique) ou le placer au congélateur.
Il est également possible de faire retraiter les masques en pressing et blanchisserie qui disposent des équipements nécessaires, ou avoir recours à des laveries automatiques. Les traitements effectués par ces prestataires ou en laverie, n’impliquent pas nécessairement un repassage.
En conclusion, l’épisode Covid-19 a permis l’éclosion en un temps très court d’un nouveau concept de masque avec des caractéristiques de performance et de gestion précises. Il a permis à une partie déjà significative de la population française d’expérimenter un mode de protection vis-à-vis du risque infectieux respiratoire à laquelle elle n’avait jamais envisagé d’adhérer. Il convient de soutenir cette approche et d’en améliorer les concepts scientifiques et techniques dans un futur proche. Si la pénurie mondiale en masques a posé de nombreux problèmes durant la pandémie, elle a aussi montré que, quelle que soit l’évolution de notre capacité industrielle en termes de masques dans le futur, aucune pandémie ne pourra être gérée avec le seul usage unique. Les masques barrières réutilisables auront leur place dans cet arsenal et s’intègrent de plus dans la nécessité du développement durable sans lequel l’avenir sera rapidement compliqué.
Notes :
1- Dénominations et normes non européennes ne font pas l’objet de cette mise au point.
2- Composition du groupe d’experts réunis autour de Thierry Sirdey (Direction des dispositifs médicaux, des cosmétiques et des dispositifs de diagnostic) : Jean-Winoc Decousser, Joseph Hajjar, Christophe Lambert, Pierre Parneix, Lionel Pineau.