Introduction
La pandémie de Covid-191 a, s’il le fallait encore, démontré l’importance des mesures de prévention des infections, notamment portées en établissement sanitaire par des spécialistes de la prévention du risque infectieux, médicaux et paramédicaux, regroupés au sein des équipes opérationnelles d’hygiène (EOH) et des équipes mobiles d’hygiène (EMH). Ces professionnels sont des spécialistes de la gestion et la surveillance des épidémies infectieuses associées aux soins, du traitement des signalements d’infection nosocomiale, et de l’élaboration de programmes et protocoles de prévention et de bonnes pratiques de soin [1]. Depuis une trentaine d’années, ils travaillent à la prévention des risques infectieux et à la promotion des bonnes pratiques d’hygiène auprès des professionnels de santé pour diminuer la morbi-mortalité liée aux infections associées aux soins. Durant la pandémie de Covid-19, les EOH et les EMH ont été fortement mobilisées dans un contexte hospitalier en grande tension. La médiatisation accrue lors de cette période n’a néanmoins pas formellement mis en avant le rôle des EOH, le devant de la scène médiatique ayant été monopolisé par de multiples acteurs. La Mission d’appui transversal à la prévention des infections associées aux soins (Matis, mission nationale déléguée par Santé publique France) a souhaité recueillir leur ressenti vis-à-vis de la pandémie et décrire leurs motivations, priorités, freins, attentes et besoins actuels afin de les appuyer au mieux dans la réalisation de leurs missions. Dans cette optique, une étude quantitative a été menée en 2022 auprès de ces professionnels.
Méthode
Cette étude quantitative a été menée auprès des spécialistes de la prévention du risque infectieux en France et en outre-mer, avec une phase de recueil de données allant de novembre 2021 à mai 2022. Il s’agissait d’explorer de façon systématique, via un questionnaire, leurs représentations concernant leur métier, leurs motivations, leurs préoccupations professionnelles, les difficultés qu’ils rencontraient, leur degré de satisfaction dans leur travail et leurs besoins, ainsi que l’impact de la période « Covid » sur leur activité (Annexe I). Le questionnaire a été construit à partir des résultats issus d’une phase exploratoire menée sous forme d’entretiens semi-dirigés par un psychosociologue auprès de vingt-quatre spécialistes de la prévention du risque infectieux en 2021 [2]. L’enquête a été diffusée par e-mail auprès des centres d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (CPias) qui l’ont relayée auprès des EOH et des EMH de leur région pour une réponse individuelle de chaque spécialiste. Le questionnaire auto-administré était composé de neuf questions construites à partir des résultats obtenus lors des entretiens semi-dirigés afin de les confirmer et de les compléter. Les deux premières questions portaient sur les trois principales motivations et priorités professionnelles à choisir parmi quatorze propositions. Une question demandait à ces spécialistes ce qu’ils arrivaient effectivement à mettre en place dans leur pratique. Ils pouvaient cocher autant de réponses que nécessaire parmi seize items. Ils devaient noter de 1 à 10 leur degré de satisfaction au travail, puis indiquer si la pandémie avait eu un impact positif, négatif ou neutre sur leur pratique. Ensuite, il leur était proposé de donner leur niveau d’accord avec vingt-deux freins possibles au bon exercice de leur mission. Pour cela, une échelle de Likert en quatre propositions s’échelonnant de « Totalement d’accord » à « Pas du tout d’accord » était utilisée. Des propositions organisées en rubriques (matériel, formation, outils clés en main, appui extérieur) leur ont été faites quant à leurs besoins pour améliorer leur pratique. Une question ouverte était posée afin qu’ils puissent exprimer ce qui pourrait rendre leur métier plus en accord avec leurs attentes. La dernière question portait sur leur profession (médicale, paramédicale), le type d’équipe dans laquelle ils travaillaient et leur département d’activité. L’analyse descriptive des auto-questionnaires a été faite par l’équipe Matis.
Résultats
Au total, 595 professionnels ont complété l’auto-questionnaire en ligne, dont 72% de paramédicaux et 26% de médicaux. Parmi eux, 82% faisaient partie d’une EOH et 16% étaient rattachés à une EMH. Les répondants étaient issus de douze régions de France (par ordre de participation décroissant : Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Nouvelle-Aquitaine, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Normandie, Pays de la Loire, Centre-Val de Loire, Guyane, Hauts-de-France, Grand Est, Île-de-France et Corse). Le degré de satisfaction concernant leur travail était évalué en moyenne à 6 sur 10, avec une médiane à 6. Concernant l’impact de la Covid-19 sur leur pratique, 49% des répondants le jugeaient positif, 41% négatif, et 10% estimaient qu’il n’avait eu aucun impact. Il n’a pas été constaté de différence significative entre les réponses des EOH et des EMH, ni entre professionnels médicaux et paramédicaux. Être en contact avec les gens était la principale motivation des répondants (Tableau I). Parmi les priorités des répondants, la gestion d’une épidémie arrivait en tête de liste (Tableau II). Concernant ce qu’ils déclaraient arriver à faire : 64% déclaraient réussir à gérer des épidémies, 38% à élaborer des protocoles et référentiels, 34% à évaluer les pratiques de soin, 33% à être en contact avec des gens, 32% à concevoir et conduire des actions de sensibilisation et de communication, 31% à mener des actions de formation et 21% à répondre à la certification. Parmi les freins rencontrés par les spécialistes de la prévention à la mise en œuvre des actions, on retrouve de manière quasi unanime le manque de disponibilité des professionnels de santé avec lesquels ils doivent travailler (Tableau III). Quant aux besoins, 68% des répondants souhaitaient acquérir des outils clé en main (1/3 de communication, 1/3 de formation et 1/3 d’évaluation) et 44% demandaient une formation personnelle (en pédagogie, en simulation et en communication principalement). Les commentaires libres n’ont pas apporté plus de détails concernant les points cités ci-dessus.
Discussion
Cette étude a été menée auprès des spécialistes de la prévention du risque infectieux de France dans l’objectif de recueillir leur ressenti afin de pouvoir ensuite identifier des axes d’accompagnement adaptés pour les aider à améliorer leur pratique.
Motivations
Les motivations au travail exprimées relevaient de valeurs telles que l’altruisme, d’une recherche de sens et d’utilité, et soulignaient l’importance du travail en équipe dans une dimension dynamique, à travers les rencontres et l’échange. Ces dernières motivations correspondent globalement aux valeurs évoquées plus généralement par les professions de santé, souvent centrées sur la cohésion de l’équipe [3], et font partie intégrante de ce que l’on peut nommer la « motivation de service public » qui se définit comme la motivation générale et altruiste à servir les intérêts d’une communauté de personnes, d’un État, d’une nation ou de l’humanité, la motivation de service public étant de même niveau chez les professionnels de santé du secteur public et du secteur privé [4].
Freins
Dans le cadre de l’exercice de leurs missions, les répondants exprimaient un certain nombre de freins qui ne semblaient pas liés à leur travail en tant que tel mais à son environnement, notamment incarné par la relation avec leur public cible et la direction. D’abord, ils ressentaient une perception négative de leur métier par les soignants. Une étude menée en Pologne auprès d’étudiants infirmiers concernant leur perception du métier de spécialiste de la prévention du risque infectieux rapportait en effet que celle-ci était majoritairement défavorable. Plus de la moitié des répondants déclaraient que le travail des EOH alourdissait la tâche des services et seulement un tiers déclaraient que cette profession était respectée par le personnel de l’hôpital [5]. Il faut en revanche souligner que 85% des étudiants infirmiers de cette étude se déclaraient intéressés par l’idée de devenir membre d’une EOH. En parallèle, le manque de temps des soignants est cité par 90% des répondants comme un frein à l’exercice de leurs missions, témoignant d’une relation plus complexe qu’une seule vision négative de la part de leur public. Une étude australienne a montré que les EOH évaluaient la qualité de l’application des mesures de prévention à un niveau significativement plus bas que les professionnels des services de soins [6]. Toutefois, les deux groupes se rejoignaient autour des causes de ces défauts de soins avec en premier lieu la charge de travail trop élevée des soignants. Les répondants mettaient en avant de façon spécifique les problèmes organisationnels. Explorer cette dernière dimension pourrait représenter une piste d’avenir pour améliorer la perception qu’ont les professionnels de leurs pratiques effectives et pouvoir ainsi les faire évoluer [7]. En termes de communication, les professionnels de santé attendent d’abord que leurs bonnes pratiques de prévention du risque infectieux soient soulignées avant de s’ouvrir à un échange sur leurs pratiques moins performantes [8]. Par ailleurs, les répondants exprimaient le ressenti d’un manque de soutien de leur direction. La crise de la Covid-19 a pu renforcer ce sentiment, comme chez les spécialistes infirmiers polonais de la prévention du risque infectieux pour qui le sentiment de manque de soutien du management est passé de 10% à 33% entre 2014 et 2021 [9]. Leur degré de satisfaction au travail restait stable pendant la période ainsi que le souhait de rester en fonction, mais à des taux tout de même assez bas (44% et 46% respectivement). Une étude auprès de spécialistes de la prévention du risque infectieux australiens et néo-zélandais montrait que la moitié d’entre eux percevait comme un défi le manque d’intérêt et de leadership de leur institution vis-à-vis de la prévention du risque infectieux [10]. La crise de la Covid-19 a toutefois pu s’avérer l’occasion d’une meilleure reconnaissance institutionnelle des hygiénistes et de leur importance [11]. Des études sont à mener pour mieux cerner les freins à une collaboration optimisée avec les directions et instances structurelles et les leviers possibles. Par ailleurs, les EOH et EMH sont des équipes transversales or, dans un système hospitalier cloisonné, l’intégration d’une équipe transversale demande du temps et un volontarisme politique et stratégique affirmé [12]. Toutes ces difficultés se traduisaient ainsi par un sentiment de manque de reconnaissance générale. Une étude française a analysé le rôle des managers dans la création d’une culture de sécurité et a comparé les visions des managers et des professionnels de terrain à ce sujet [13]. Le soutien de la direction de proximité était particulièrement apprécié, tandis que le soutien du management a été identifié comme devant être amélioré. Les professionnels de terrain étaient en attente de discussion sur le thème de la sécurité du patient avec le management et appelaient de leurs vœux une approche plus basée sur la prévention que sur la réaction en cas de problème. Cela souligne l’importance d’analyser les représentations et attentes de chaque corps professionnel si l’on veut pouvoir les faire converger.
Besoins
Les répondants exprimaient aussi des besoins en regard de leurs difficultés, comme des supports d’aide à la communication, à la pédagogie, témoins d’une volonté forte d’améliorer leur relation et la collaboration avec les équipes soignantes. En effet, ils doivent réaliser un travail de sensibilisation permanent, et doivent pouvoir convaincre [14]. Une pédagogie efficace est une approche clé de leur travail qui nécessite sans cesse de se renouveler pour s’adapter à l’auditoire. Il est donc compréhensible que les spécialistes de la prévention du risque infectieux puissent solliciter le besoin d’avoir des outils opérationnels à disposition pour les aider, d’autant plus qu’une grande partie des répondants à l’enquête rapportaient la difficulté à réaliser un travail de fond dans un contexte de manque de temps et de ressources humaines. Pour les aider, les EOH et EMH disposent déjà d’un certain nombre d’outils disponibles sur le site du Réseau de prévention des infections et de l’antibiorésistance (Répia)2, qui leur apportent un soutien dans leurs campagnes de communication et de formation. La plupart de ces outils ont été élaborés avec des professionnels de la prévention du risque infectieux et testés au préalable sur les publics cibles. Une enquête plus précise sur leurs besoins en termes de caractéristiques d’outils pourrait être menée afin de construire des supports adaptés à leurs difficultés.
Priorités
De manière générale, les priorités professionnelles rapportées étaient diverses, majoritairement marquées par la gestion des épidémies dans un contexte de pandémie de Covid-19. Venaient ensuite l’élaboration de protocoles et l’accompagnement de leur mise en œuvre. Les priorités rapportées sont concordantes avec celles d’autres EOH en Europe, comme au Royaume-Uni où une étude a été menée auprès de spécialistes de la prévention du risque infectieux pour définir le service optimal de prévention du risque infectieux avec un volet quantitatif [15] puis un volet qualitatif [16]. L’investigation des épidémies était jugée essentielle par 96% des spécialistes interrogés et l’analyse des causes post-infection par 100% d’entre eux. Les réponses « donner des avis techniques » et « soutenir les équipes de soins » étaient aussi plébiscitées.
Impact de la pandémie de Covid-19
Le ressenti des EOH concernant l’impact de la période « Covid » était globalement mitigé, bien qu’une majorité ait rapporté un impact positif (49%). En Israël, les spécialistes de la prévention du risque infectieux ont signalé un stress plus important et une baisse de la satisfaction au travail avec, a contrario, un sentiment accru de dévouement et de détermination [11], soulignant la dualité du vécu et pouvant faire basculer une impression globale de l’impact d’un côté ou de l’autre. Dans notre étude, malgré des motivations élevées pour l’exercice de leurs missions, leur degré de satisfaction au travail était en moyenne de 6/10. Ce contraste témoigne du fort impact négatif des freins rapportés relatifs à leur qualité de vie au travail et de la nécessité d’apporter un soutien à ces équipes indispensables à la prévention du risque infectieux en milieu de soin.
Limites et biais de l’étude
Des limites et des biais peuvent exister dans notre étude. La participation à l’auto-questionnaire était volontaire et soumise à une libre diffusion de la part des CPias et des EOH. De ce fait, un biais de sélection ne peut être exclu. Le lieu d’exercice, la profession précise et l’ancienneté dans la profession n’ont pas été recueillis et la représentativité de l’échantillon peut être questionnée. L’effectif, plutôt conséquent pour ce type d’étude (les expériences anglo-saxonnes rendent compte de chiffres de l’ordre de 200 participants au Canada et 3 600 aux États-Unis [17]), la pluralité des réponses et les retours des EOH et EMH lors des présentations des résultats préliminaires dans différentes réunions de réseau permettent d’exploiter ces données et de considérer qu’elles assurent une certaine représentativité. Les biais de confusion ont été limités, les questionnaires ayant été basés sur l’analyse de la littérature et les retours de terrain formalisés par entretien jusqu’à saturation des thèmes. Les biais de mesure ont été limités via les auto-questionnaires standardisés.
Conclusion
Le degré de satisfaction des spécialistes de la prévention et du contrôle du risque infectieux quant à leur métier est variable, avec de nombreux freins perçus qui sont le reflet des difficultés accrues du système de santé au cours de ces dernières années, que la crise de la Covid-19 a révélées et amplifiées. Les besoins ciblés dans cette étude ont mené à des actions régionales et nationales, notamment mises en place par la mission Matis telles que des webinaires de formation et des ateliers pratiques lors du congrès de la Société française d’hygiène hospitalière. Afin d’identifier des leviers d’action supplémentaires, et de comprendre comment s’articulent les relations entre les EOH, les soignants et le top management, deux enquêtes seront menées auprès de ces catégories professionnelles. Permettre une médiation, améliorer la communication et renforcer la cohésion de travail entre les EOH, les soignants et le top management semble être des éléments importants à développer pour accroître l’influence de ces spécialistes et favoriser un plus grand respect des mesures d’hygiène et de prévention du risque infectieux.
Notes :
1- Coronavirus disease 2019, maladie à coronavirus 2019.
2- www.preventioninfection.fr (Consulté le 05-12-2024)