PDF | Recommandations pour la Prévention de la transmission par voie respiratoire

yolène carré

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Infirmière en hygiène, CHU de Bordeaux
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olivia keita-perse

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Praticien en hygiène, CH Princesse Grace, Monaco
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sara romano-bertrand

sara romano-bertrand

Maître de conférences des universités – Praticien en hygiène, CHU Montpellier
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Figures

Résumé

Hippocrate spécula dans l’antiquité la théorie des « miasmes » transmis par l’air et expliquant la contamination des populations par la maladie. Cette spéculation ayant perduré jusqu’à la Renaissance, elle s’est opposée aux progrès d’une approche scientifique explicitant les véritables mécanismes de la transmission des maladies infectieuses. Elle est pourtant remise en cause dès le début du XIXe siècle, notamment par John Snow lorsqu’il s’exerce à comprendre et stopper une épidémie de choléra sévissant dans le quartier de Soho à Londres, et qu’il identifie la pompe à eau de Broad Street comme source d’exposition des personnes malades. L’identification plus récente des micro-organismes comme agents responsables des maladies infectieuses, notamment grâce aux travaux de Louis Pasteur, Alexandre Yersin ou encore Robert Koch à la fin du XIXe siècle, permet de proposer une théorie sur leur transmission, et d’initier des travaux sur la prévention de cette transmission.

Mycobacterium tuberculosis, agent de la tuberculose, a ensuite été étudié plus en détail par Carl Flügge, qui a suggéré que l’excrétion respiratoire « fraîche » était la voie de transmission du Mycobacterium tuberculosis (BK), par opposition aux sécrétions anciennes et sèches déposées qui seraient ensuite ré-aérosolisées plusieurs jours après l’émission ou à un miasme d’air contaminé qui dure plusieurs jours. Il définit également les « gouttelettes de Flügge » comme toutes particules émises par voie respiratoire, indépendamment de leur taille et constitution finale (humide ou sèche) et pouvant rester en suspension dans l’air plusieurs heures. Ses travaux montrent que les courants d’air peuvent être contributifs dans la transmission du BK, et que la prévention ne doit pas reposer uniquement sur la distanciation physique, mais aussi sur l’aération et la limitation des regroupements. Enfin, il introduit la notion de dose infectante spécifique d’un agent pathogène et souligne son importance à considérer pour la transmission. Ces pères fondateurs de la santé publique, l’épidémiologie, la microbiologie et l’infectiologie ont construit le socle de notre travail de spécialistes de la prévention du risque infectieux. Pour autant, en ce qui concerne la transmission aéroportée des micro-organismes, l’ingénieur/physicien William F. Wells et sa femme Mildred Wells, médecin, au début de XXe siècle (1934) introduisent la notion moderne de dichotomie basée sur la physique de déposition versus évaporation des gouttes d’exhalations : les gouttes qui sédimentent plus vite qu’elles ne s’évaporent ; celles de >100 μm versus celles qui s’évaporent plus vite qu’elles ne sédimentent (<100 μm). Leur but étant de développer des notions physiques et quantitatives de transmission de la tuberculose. Ils ne mentionnent pas les notions de distance de transmission. Cependant, à l’époque, les spécialistes de santé publique et épidémiologie Charles Chapin puis Alexander Langmuir, fondateurs des centres de prévention et de contrôle des maladies infectieuses américains (Centers for disease control and prevention [CDC]), sont réfractaires à la notion de transmission « aéroportée », jugeant ce mode de transmission trop complexe à expliquer et sa prévention difficile à traduire en mesures claires et facilement applicables pour le grand public. D’autres scientifiques tel que J.-P. Duguid en 1946, avec les moyens de l’époque, s’efforcent de démontrer que les particules d’émission respiratoire sont de tailles très variables, et que leur abondance relative est notamment fonction de l’activité de la personne émettrice (toux, parole, etc.).

Les notions de Wells et Wells sont finalement adoptées des décennies plus tard après avoir été rejetées par le CDC, mais sur la forme d’une dichotomie déformée et arbitraire classant les particules aéroportées selon leur taille, en gouttelettes respiratoires de grande taille (>5-10 μm, sédimentant au sol sur une distance <2 m) ou aérosols de petite taille (<5 μm, pouvant rétrécir par dessiccation, rester en suspension dans l’air et être transportés sur de grandes distances). Les raisons et l’historique du changement de la frontière de 100 μm à 5-10 μm entre les « grosses gouttelettes » et les « aérosols » sont basés non pas sur la physique du transport et évaporation, proposée par Wells et Wells, mais sur l’opinion d’experts médicaux arguant que seules les gouttes de moins de 5 à 10 μm peuvent pénétrer les alvéoles. Cette dichotomie arbitraire est donc basée essentiellement sur un mélange historique de phénoménologie de la tuberculose et de la physique de Wells et Wells. Elle deviendra après ces décennies de résistance le fondement de la position des CDC, puis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui classent les micro-organismes à transmission aéroportée en accord avec cette dichotomie arbitraire, et y associent des mesures de prévention spécifiques :

  • transmission par les « gouttelettes respiratoires » pour les particules infectieuses >5μm dont la prévention nécessite soit une distanciation physique de >1 m (voire 2 m pour les CDC) soit le port d’un masque à usage médical en cas de contact rapproché ;
  • transmission par les « aérosols » (ou transmission « air ») pour les particules infectieuses <5μm nécessitant le port d’un appareil de protection respiratoire de type Filtering Face Piece (FFP).

Néanmoins, dans un document technique récent d’avril 2024 [1], l’OMS souligne l’importance de faire évoluer la terminologie décrivant la transmission aéroportée et recommande de la faire évoluer sur des critères qui intègrent des définitions de la physiopathologie des maladies respiratoires qui vont au-delà de la tuberculose ainsi que la physique et biophysique qui gouverne la science de la transmission.

Dans son guide de recommandations de la prévention de la transmission croisée par voie respiratoire Air/Gouttelettes paru en 2013, la SF2H proposait des mesures de prévention en accord avec cette dichotomie [2]. Mais la récente crise sanitaire liée au Covid-19 a remis en cause ce classement simplifié du mode de transmission des micro-organismes respiratoires en « Air » ou « Gouttelettes » grâce à l’abondance de littérature scientifique sur la transmission aéroportée, les méthodes scientifiques modernes de mesures des émissions respiratoires, la notion de continuum de tailles de gouttes respiratoires, évolutives et transportées par un flux d’air turbulent et son évolution en lien avec les conditions environnementales caractérisant les locaux de soins. La mise à jour du guide de 2013 proposée ici se base sur une analyse approfondie, actualisée et argumentée de la littérature récente et des recommandations internationales existantes. Ce guide a pour objectif d’intégrer les nombreux paramètres concernant le micro-organisme, l’hôte infecté et l’hôte exposé, mais aussi les paramètres environnementaux (ventilation, traitement d’air, température et humidité…). Il propose un outil d’évaluation du risque pour choisir les mesures de prévention les plus adaptées à la maîtrise du risque de transmission respiratoire en milieu de soins.

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