Introduction
La surveillance constitue l’un des volets de la stratégie nationale de prévention des infections associées aux soins [1]. Dans le cadre du réseau national de surveillance et prévention des infections associées aux dispositifs invasifs (Spiadi), tous les services de réanimation français sont encouragés à participer à la surveillance des infections associées aux dispositifs invasifs : les cathéters intravasculaires, la ventilation mécanique et les cathéters urinaires. Les services peuvent surveiller l’ensemble des infections associées aux soins, ou limiter la surveillance aux seules bactériémies liées aux cathéters vasculaires. Nous rapportons ici les données obtenues pour la surveillance des pneumopathies menée au premier semestre de l’année 2020, période particulière du fait de l’épidémie de Covid-191. Seront présentées les caractéristiques des patients surveillés et des pneumopathies relevées, ainsi que les données d’incidence concernant les pneumopathies en général (taux d’incidence pour 1 000 journées d’hospitalisation) et les pneumopathies associées à la ventilation mécanique (PAVM) (taux d’incidence pour 100 patients ventilés et pour 1 000 journées de ventilation).
Méthode
Pour chaque service de réanimation participant volontaire, la surveillance des bactériémies liées aux cathéters vasculaires et des pneumopathies est menée pendant une durée minimale de trois mois. Deux modalités sont proposées au choix des services : surveillance des patients infectés et non infectés avec la modalité Réa InfADI, anciennement Réa Raisin2, ou surveillance des seuls patients infectés et mesure de l’exposition à la ventilation mécanique à l’échelle du service avec la modalité ExpADI. Elles sont proches des modalités du protocole de surveillance des infections en réanimation du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (HAI-Net ICU3 protocol [version 2.2]). Les observations portant sur les patients infectés (Réa InfADI et ExpADI) et non infectés (Réa InfADI) sont collectées et saisies par le responsable local de la surveillance sur le site web spiadi.fr hébergé sur un serveur accrédité HDS4. Le responsable est chargé de la saisie des dénominateurs qui ne sont pas calculés automatiquement et des contrôles et de la validation des données transmises. Le traitement des données collectées (informations sur les patients et dénominateurs), la validation de la base nationale et l’analyse des données sont faites par le biostatisticien de l’équipe Spiadi avec des outils de la plateforme web Spiadi et le logiciel R (version 3.6.1 [2019-07-05] sur le système d’exploitation Ubuntu® (Canonical Ltd., Londres). Les données collectées font l’objet de contrôles multiples de façon automatique par les outils de la plateforme : vraisemblance des dénominateurs, ajustement des durées de cathétérisme aux périodes de surveillance, exclusion des infections hors période de surveillance et des fiches en doublons. Les différents taux d’incidence rapportent l’incidence (nombre de nouveaux cas) à la taille de la population considérée, à la durée et à l’exposition, et sont exprimés en nombre de cas par personne-temps : pour 1 000 journées d’hospitalisation (JH), pour 100 patients exposés et pour 1 000 J-cathéter ou J-ventilation. Ils sont calculés par service, par type d’établissements, en fonction du dispositif invasif et selon les dénominateurs. Les résultats sont livrés aux responsables locaux de la surveillance sous forme de tableaux et de graphiques exportables représentant la distribution des incidences de la sous-population d’établissements considérée, de façon à situer la valeur observée par rapport à la distribution des résultats obtenus pour les services semblables, et à détecter un taux anormalement élevé le cas échéant. Chaque graphique comporte une boîte à moustache représentative du profil de la population étudiée, et procure les indicateurs de position tels que les valeurs médiane et moyenne des taux observés, l’écart interquartile des 25% de la population étudiée ayant les taux les plus bas (Q1) et des 25% ayant les taux les plus élevés (Q3), et les segments verticaux indiquant en outre les 1er et 9e déciles. Les taux d’incidence « outliers » (« aberrants ») sont identifiés par les valeurs supérieures à Q3+(Q3-Q1)x1,5 ou inférieures à Q1-(Q3-Q1)x1,5.
Résultats
Au cours du premier semestre 2020, la surveillance des infections a été réalisée dans 207 services de réanimation adulte, soit environ 30% des services de ce type tels qu’estimés en France [3]. Parmi ces 207 services, 105, localisés dans 90 établissements de santé (ES) du territoire dont 15 centres hospitaliers universitaires (CHU), régionaux (CHR) ou militaires (hôpitaux des armées), 58 CH et 17 cliniques privées, ont mis en œuvre la surveillance des pneumopathies. La surveillance a été menée avec la modalité Réa InfADI pour 79 services, et la modalité ExpADI pour les 26 autres.
Caractéristiques des patients surveillés
La surveillance a porté sur 7 791 patients hospitalisés principalement en services de réanimation polyvalente (83,1%). La population surveillée est caractérisée par une prédominance de patients masculins (63,5%) et un âge médian de 66 ans. Les patients viennent majoritairement de leur domicile (53,4%) ou d’un service de court séjour (35,8%), et sont le plus souvent non traumatisés (94,4%). Ils relèvent donc principalement de la catégorie diagnostique médicale (78%). Le score médian de sévérité IGS II5 est de 43. Les comorbidités sont fréquentes avec une immunodépression, une tumeur solide ou une hémopathie dans 14,4%, 10,1% et 3,8% des cas, respectivement. Une antibiothérapie est présente dès l’admission pour 60,5% des patients. Le portage d’une BMR ou d’une BHRe est notifié pour 12% des 7 791 patients, avec un Sarm, une EBLSE, une EPC ou un Parc6 pour 1%, 10%, 0,5% et 1% des patients, respectivement. Le décès du patient est survenu pendant l’hospitalisation dans 18,5% des cas. La durée médiane du séjour a été de 6 jours. Les cathéters intravasculaires sont principalement des voies veineuses centrales (n=6 210), insérées en sous-clavière, jugulaire interne ou fémorale dans 12,9%, 57,2% et 29,2% des cas, respectivement. Suivent les cathéters artériels (n=2 461) et les cathéters de dialyse (n=1 126). La durée médiane de cathétérisme vasculaire est de 6 jours pour les cathéters veineux centraux (CVC) et pour les cathéters artériels. L’Ecmo veino-artérielle7 est utilisée pour 2,4% des patients et l’intubation pour 64%. La durée médiane d’intubation est de 5 jours. Un sondage vésical est notifié chez 85,1% des patients.
Caractéristiques des infections détectées
La surveillance permet d’identifier et de décrire 118 bactériémies liées à un cathéter central (dont 65 sur CVC et 34 sur cathéter artériel), 497 bactériémies non liées à un cathéter central (dont 141 avec une origine pleuropulmonaire [28,4%] et 131 sans porte d’entrée retrouvée) et 1 278 pneumopathies. Les pneumopathies ont été le plus souvent diagnostiquées sur la base des résultats d’un prélèvement distal protégé semi-quantitatif (38%), d’une aspiration non quantitative (30%) ou d’un prélèvement distal non protégé semi-quantitatif (21,2%). Les principaux pathogènes retrouvés associés aux pneumopathies ont été les entérobactéries (n=593, dont 28,7% résistantes aux céphalosporines de 3e génération et 2% résistantes aux carbapénèmes), S. aureus (n=218 dont 8,8% résistants à la méticilline) et P. aeruginosa (n=275 dont 14,9% résistantes à l’imipénème). Le statut Covid-19 a été notifié pour 810 patients (63,6%), avec une catégorisation entre cas possibles, probables ou confirmés dans 54,5% des cas.
Caractéristiques des patients ayant présenté une pneumopathie associée à la ventilation
Parmi les 1 278 pneumopathies détectées, 936 sont associées à la ventilation mécanique (73,2%). La population des patients ayant présenté une PAVM est caractérisée par une prédominance d’hommes (77%) et un âge médian de 64 ans. Les patients sont le plus souvent non traumatisés (92%). Ils relèvent principalement d’une catégorie diagnostique médicale (84%). Le score médian de sévérité IGS II est de 47. La durée médiane d’intubation est de 21 jours pour ces patients. Une immunodépression et une tumeur solide ou hémopathie sont retrouvées dans 11% et 8% des cas, respectivement. Une antibiothérapie est présente dès l’admission pour 64% des patients. Le portage d’une BMR ou d’une BHRe est notifié pour 23% des 936 patients. Le décès du patient est survenu pendant l’hospitalisation dans 31% des cas. Parmi les 936 patients, 602 ont un statut Covid-19 connu : 314 sont probables ou confirmés, et 288 sont négatifs. Les caractéristiques des patients diffèrent en fonction de leur statut Covid-19. Ceux atteints de Covid-19 sont plus souvent des hommes (83% vs 71% pour les patients indemnes). Ils ont un score IGS II plus faible (42 vs 50), une moindre fréquence des comorbidités (immunodépression pour 9% vs 13% ; tumeur solide ou hémopathie pour 4% vs 12%). Ils sont plus rarement traumatisés (1% vs 14%) et relèvent plus souvent d’une catégorie diagnostique médicale (98% vs 76%). Enfin, l’antibiothérapie à l’admission est plus fréquente (70% vs 58%) et le portage asymptomatique de BMR/BHRe est moins fréquent (17% vs 27%). La mortalité est similaire dans les deux sous-populations (30% pour les patients Covid-19 et 35% pour les indemnes). Pour les 3 850 patients intubés mais n’ayant pas présenté de pneumopathie au cours de leur séjour, les caractéristiques étudiées au décours de la surveillance sont similaires à celles des patients ayant présenté une PAVM, à l’exception de la durée médiane d’intubation (4 vs 21 jours) et de la prévalence des décès au cours du séjour (24,0% vs 31,0%).
Les micro-organismes associés aux pneumopathies associées à la ventilation mécanique
Les principaux pathogènes retrouvés associés aux PAVM sont les entérobactéries (38%, dont 30% résistantes aux céphalosporines de 3e génération), S. aureus (10%, dont 9,5% résistants à la méticilline) et P. aeruginosa (11%, dont 18% résistantes à l’imipénème) (Figure 1). Parmi les entérobactéries, prédominent les klebsielles (25%, dont 36% résistantes aux céphalosporines de 3e génération), les Enterobacter (24%, dont 47% résistants aux céphalosporines de 3e génération) et E. coli (20%, dont 14% résistantes aux céphalosporines de 3e génération). Les PAVM associées à une BMR/BHRe identifiées au cours des trois mois de surveillance sont rares (médiane=1 par service participant), mais 7 services en ont détecté un nombre supérieur à 4, le plus souvent associées à K. pneumoniae ou E. cloacae, suggérant des situations épidémiques locales.
Taux d’incidence des pneumopathies (toutes confondues) et des pneumopathies associées à la ventilation mécanique
L’intérêt du réseau national est de produire des taux d’incidence des infections spécifiques de sous-populations de patients similaires (« case-mix »). Compte tenu de l’importance de la participation des services de réanimation adulte au programme de surveillance, et de la diversité des ES participants, les taux d’incidence des pneumopathies et des PAVM ont été produits pour chaque type d’établissements. En septembre 2020, les taux d’incidence ont été livrés aux services participants sous trois formes : le taux d’incidence des pneumopathies (toutes confondues) rapportées à 1 000 JH (Figure 2), et le taux d’incidence des PAVM rapportées à 100 patients ventilés (Figure 3) et à 1 000 journées de ventilation (Figure 4). Afin que les équipes locales puissent comparer leurs résultats à ceux des services localisés dans des établissements de même catégorie, les taux ont été livrés pour trois sous-populations distinctes : une sous-population regroupant les CHU, CHR et hôpitaux des armées, la deuxième regroupant les centres hospitaliers et la troisième, les cliniques privées. Concernant l’ensemble des pneumopathies, les taux pour 1 000 JH varient entre 4,1 et 13,2 pour les médianes, et entre 6,5 et 15,1 pour les moyennes (Figure 2). En 2019, les résultats avaient été sensiblement inférieurs, variant entre 5,1 et 8,5 pour les médianes, et entre 6,7 et 9,8 pour les moyennes. Concernant les PAVM, les taux pour 100 patients ventilés ont varié entre 8,4 et 17,2 pour les médianes, et entre 9,1 et 21,7 pour les moyennes (Figure 3). Pour la sous-population des cliniques, plus de 20% des 9 services participants ont obtenu des valeurs outliers. Les taux de PAVM pour 1 000 J-ventilation varient entre 15,4 et 24,3 pour les médianes, et entre 21,8 et 28,8 pour les moyennes. En 2019, les résultats avaient été similaires pour les services des cliniques et des centres hospitaliers, mais sensiblement inférieurs pour la sous-population réunissant les CHU, CHR et hôpitaux des armées : dans ce groupe, les taux moyens avaient été de 19,8 (médiane) et 20 (moyenne). La participation importante des services au réseau de surveillance nationale a permis de produire cette année les premiers résultats en fonction des spécialités (Figure 5). Les effectifs sont encore limités pour les services de réanimation strictement chirurgicale ou médicale, mais les variations de la distribution des taux d’incidence des PAVM en fonction de la spécialité soulignent l’intérêt de la stratification.
Discussion et perspectives
Les données de la surveillance des pneumopathies associées à la ventilation mécanique (PAVM) observées cette année sont vraisemblablement très impactées par l’épidémie de Covid-19, en particulier dans les services de réanimation des établissements en première ligne pendant la première vague. Les comparaisons avec les taux obtenus antérieurement doivent être faites avec précaution. Néanmoins, au niveau local, la connaissance des principales caractéristiques des PAVM et la comparaison des taux d’incidence obtenus avec ceux observés dans les services de réanimation des ES de même catégorie permettent aux équipes de terrain d’identifier leurs cibles prioritaires pour l’amélioration. Dans chaque établissement participant, les responsables de la surveillance et les autres professionnels désignés comme ayants droit sont encouragés à analyser rapidement leurs résultats et à les valoriser au mieux, afin d’améliorer les pratiques et de mesurer l’impact des mesures préventives mises en œuvre, le cas échéant. Prévenir la part évitable des PAVM dans les services de réanimation est un objectif prioritaire. La surveillance de ces infections constitue un des 3 volets de la stratégie nationale de prévention, en synergie avec l’évaluation des pratiques et la formation des professionnels. L’intérêt du réseau national est de produire des taux robustes et spécifiques de populations de patients similaires (« case-mix »). La variabilité des taux d’incidence observés selon la catégorie d’établissements souligne l’intérêt de considérer séparément les résultats en fonction de celle-ci. La participation d’un nombre important de services de réanimation est une des clés de la robustesse des taux d’incidence produits. Le dispositif national est une contribution significative aux efforts de prévention déployés par les équipes de soin. Il doit être maintenu dans le temps et étendu au-delà des services participants actuels. Pour faciliter l’adhésion d’un plus grand nombre de services leur participation à la campagne annuelle, le réseau national encourage les équipes locales à surveiller les PAVM en utilisant Exp-ADI, une modalité de surveillance permettant l’obtention des taux d’incidence pour 1 000 JH et pour 1 000 J-ventilation sans documentation des caractéristiques des patients non infectés.
Notes :
1- Coronavirus disease 2019, maladie à coronavirus 2019.
2- Réseau d’alerte, d’investigation et de surveillance des infections nosocomiales.
3- European Healthcare-associated Infections Surveillance Network in intensive-care units.
4- Pour toute information concernant les modalités de surveillance et la définition des infections, le protocole de Spiadi est téléchargeable sur le site https://www.spiadi.fr/.
5- Indice de gravité simplifié version 2.
6- Sarm : Staphylococcus aureus résistant à la méticilline ; EBLSE : Entérobactéries productrices de ß-lactamases à spectre étendu ; EPC : Entérobactéries productrices de carbapénémases ; Parc : Pseudomonas aeruginosa résistant au carbapénème.
7- Extra Corporeal Membrane Oxygenation, ou oxygénation par membrane extracorporelle : technique de circulation extracorporelle qui détourne la circulation sanguine grâce à un appareil assurant à la fois le rôle de pompe cardiaque et d’oxygénateur pulmonaire.