Introduction
La prévention des infections du site opératoire (ISO) repose sur une organisation spécifique des soins, un environnement et des circuits maîtrisés. Lors de la prise en charge des patients à opérer, l’antibioprophylaxie (ATBP) quand elle est indiquée et la préparation cutanée de l’opéré (PCO) systématique sont des mesures majeures de prévention. Elles impliquent à la fois le patient co-acteur de sa sécurité [1,2,3] et les équipes médico-chirurgicales et paramédicales. Au vu de leur importance, ces deux thèmes disposent de recommandations nationales et internationales [4,5,6,7,8], ont fait l’objet de modules dédiés d’évaluation dans le cadre de l’ancienne surveillance ISO-Raisin1 et sont évalués avec attention lors des enquêtes associées au signalement des ISO. Dans un esprit de continuité, le nouveau programme national de surveillance et prévention du risque infectieux lié aux actes de chirurgie et de médecine interventionnelle (Spicmi) a souhaité, au niveau de son volet « prévention », mettre à disposition des établissements de santé (ES) concernés un outil d’évaluation sur ces deux thématiques. Le principe est de mesurer, par observation au bloc, le respect ou les éventuels écarts aux plus récentes recommandations nationales. Les objectifs de cette campagne d’audit étaient doubles. Au niveau local, le but était de donner l’opportunité aux ES de réaliser un état des lieux dans les différentes spécialités et équipes médico-chirurgicales, de rendre possible une valorisation des bonnes pratiques constatées et d’identifier des axes d’amélioration. Au niveau national, le but était de décrire les tendances observées en termes de mise en œuvre des recommandations, et d’identifier les thèmes pour lesquels une promotion des bonnes pratiques semble à renforcer.
Méthode
À partir de 2020, année de première mise à disposition de l’outil d’audit, tous les établissements français ayant une activité de chirurgie et inscrits au programme Spicmi ont été invités à participer à l’audit sur la base du volontariat. Les résultats présentés ici correspondent aux deux premières campagnes 2020 et 2021 dont les données ont été recueillies localement puis fusionnées au niveau national. La fusion a été possible sur la base de trois critères : méthodologie identique, ES participants différents (en majorité, 85%) ou besoin de compléter le premier audit par des observations supplémentaires (manque de temps en 2020), résultats similaires pour l’ensemble des paramètres entre 2020 et 2021. L’outil proposé (audit « Preop ») a été élaboré par le groupe de travail Prévention rattaché à la mission nationale (groupe multidisciplinaire composé d’hygiénistes, d’infirmières, d’infirmières de bloc opératoire et d’anesthésie, cadres et non cadres). L’avis de professionnels médicaux (hygiénistes, chirurgiens, anesthésistes-réanimateurs…) et paramédicaux a été recueilli au niveau du comité scientifique et d’un collectif de relecteurs et testeurs de l’outil (dont les 80 élèves d’une école de formation des Ibode2). Cet outil clé en main est composé d’une grille unique d’évaluation et d’une application pour la saisie des données et l’édition d’un rapport automatisé par thème (PCO/ATBP). Différents documents ont été fournis pour l’accompagnement de sa mise en œuvre, dont un guide de codage de l’ATBP préopératoire et un guide d’aide à l’élaboration d’un plan d’actions [9,10].
Au sein de cet audit réalisé par observation par des auditeurs, en général issus des équipes de prévention du risque infectieux, plusieurs paramètres ont été évalués, que ce soit pour la PCO (dépilation avec lieu, méthode et justification ; douche avec lieu et moment, détersion, antisepsie) ou pour l’ATBP préopératoire (indication et moment de la première injection, molécules et doses, délai d’administration avant incision). Pour la description des douches et dépilations possiblement réalisées à domicile, le protocole d’audit prévoyait d’interroger les patients à leur arrivée au bloc, ceux-ci ayant été préalablement informés de cette démarche.
Pour la PCO, les référentiels correspondaient à deux guides de recommandations de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H) [4,5] et, pour l’ATBP, aux recommandations formalisées d’experts (RFE) publiées par la Société française d’anesthésie-réanimation (Sfar) en 2018 [6]. Du fait du champ des recommandations PCO et afin de faciliter le travail des auditeurs, l’évaluation s’est concentrée sur les interventions sur peau saine et hors urgence, et par conséquent sur l’ensemble des spécialités concernées (13 identifiées au total3). L’observation commençait à l’accueil du patient au bloc et se terminait au moment de l’incision en salle d’opération. Concernant le nombre total d’observations à réaliser, des indications étaient données dans le guide méthodologique pour le définir localement en fonction de différents facteurs. La répartition des observations par spécialité était proportionnelle à l’activité chirurgicale de chaque secteur. Pour la PCO, la présentation des résultats distingue ce qu’il est recommandé par la SF2H de faire (recommandations de niveau A ou B) ou de ne pas faire (recommandations de niveau D ou E) (Figure 1), de ce qui est laissé au choix des établissements (recommandations SF2H de niveau C « possible ou non » / « aucune recommandation » ou en lien avec des pratiques sans positionnement national) (Figure 2)4.
Résultats
Au total, 133 établissements issus de l’ensemble des régions, y compris ultramarines, ont participé aux deux premières campagnes annuelles (un quart des inscrits au programme Spicmi), avec une répartition des secteurs public (centres hospitaliers universitaires [CHU] et CH), privé d’intérêt collectif (centres de lutte contre le cancer [CLCC] et hôpitaux privés) et privé (cliniques) de 36%, 10% et 54% respectivement. Un ensemble de 3 643 observations ont été réalisées, dont 42% pour des interventions en mode ambulatoire. Toutes les spécialités proposées ont été évaluées, avec 3/4 des observations réalisées dans trois principaux types de chirurgie (orthopédique, digestive/viscérale, gynécologique-obstétrique). L’ensemble des ES participants a réalisé l’évaluation combinée PCO/ATBP. En moyenne sur les deux années, 25 observations ont été effectuées par ES (20 en 2020 et 30 en 2021).
Préparation cutanée de l’opéré
De façon globale, les deux tendances suivantes ont été constatées : concernant le respect des recommandations, la dépilation était l’étape associée aux résultats les plus faibles (Figure 1) ; quant aux mesures laissées au choix des établissements, l’adhésion la plus importante concernait l’utilisation d’un savon non antiseptique pour la douche préopératoire (44%), les autres mesures ne dépassant pas 30% (Figure 2). Les résultats correspondant aux différentes étapes de la PCO sont détaillés ci-après.
Traitement des pilosités
Respect des recommandations
Une absence de dépilation a été constatée dans un peu plus d’un quart des interventions (27%) hors peau glabre. En cas de dépilation, 47% ont été réalisées à domicile, 48% en service de chirurgie et 5% au bloc opératoire (au dernier moment). La tonte, méthode dite de référence, a été utilisée dans 2/3 des cas globalement mais surtout en ES (97% vs 25% des dépilations réalisées à domicile, 3e méthode). À l’inverse, le rasage mécanique, méthode proscrite, était minoritaire en ES (1% vs 29% à domicile, 2e méthode la plus utilisée) (Figure 3).
Pratiques au choix
Des méthodes de dépilation ni recommandées ni proscrites (crème dépilatoire et autres méthodes) étaient utilisées dans presque 1/4 des cas, essentiellement lors des dépilations réalisées à domicile.
Motifs de dépilation
Cette dépilation était justifiée localement par une problématique « technique » dans 11% des cas (zone à forte pilosité constituant une gêne pour la pose, le maintien et le retrait des champs opératoires et du pansement). Les 89% d’autres motifs de dépilation étaient principalement liés au protocole, à une demande du chirurgien ou à une initiative du patient.
Douche préopératoire et toilette complète
Respect des recommandations
Le principe d’avoir réalisé au moins une douche était parfaitement suivi (~100%). Concernant le moment de réalisation, des cas de dernière douche réalisée la veille de l’intervention ont été constatés (2%), à distance et non pas « au plus près de l’intervention » [4].
Pratiques au choix
La majorité des interventions étaient toujours associées à deux douches préopératoires (80%). Pour la dernière douche avant l’intervention, il est noté un abandon progressif du savon antiseptique (la moitié environ des interventions).
Détersion et nettoyage cutané
Respect des recommandations
Cette mesure a été très largement appliquée en cas de souillures visibles (~100%), situation néanmoins peu rencontrée du fait du champ de l’audit (interventions programmées).
Pratiques au choix
En l’absence de souillure, il y avait encore peu d’arrêt de la détersion ou du nettoyage cutané (28%). Le recours à un savon antiseptique restait majoritaire (89% globalement), que ce soit en présence ou en l’absence de souillures, ce qui montre une faible adhésion au passage à un savon doux à cette étape.
Antisepsie
Respect des recommandations
L’antisepsie a été une étape quasi systématiquement mise en œuvre (~100%), avec un antiseptique alcoolique dans 88% des cas. Il s’agissait d’un produit alcoolique à base de povidone iodée dans 92% des cas et à base de chlorhexidine dans 8% des cas. Le principal point faible de cette étape était la phase terminale de séchage dont le caractère spontané et complet n’a pas toujours été appliqué.
Antibioprophylaxie préopératoire (1re injection)
La Figure 4 décrit le nombre d’interventions respectant les différents principes de l’antibioprophylaxie (ATBP). Les patients infectés, avec une antibiothérapie en cours, ont été identifiés et exclus de l’analyse. Les résultats correspondant aux différents paramètres de l’ATBP sont détaillés ci-dessous.
Indications et moment d’injection
Le respect global des indications et du moment d’administration de la première injection (avant incision) était de 93,1% (2 339/2 512). Parmi les ATBP préopératoires indiquées et réalisées avant incision, 97% correspondaient à des interventions de classes 1 et 2 d’Altemeier.
Molécules et doses administrées
Les résultats ci-dessous ne concernent que les interventions sans association à une administration de gentamycine ou de vancomycine, molécules de 2e intention dont la posologie est fonction du poids du patient (donnée non disponible5). Lorsqu’une ATBP était indiquée et réalisée avant incision, les molécules et doses administrées respectaient les préconisations de la Sfar dans 85,9% des cas (1 945 sur 2 264 ATBP indiquées et réalisées, avec molécule et dose renseignées, hors gentamycine et vancomycine). Les différences avec le référentiel (RFE) se situaient soit au niveau des molécules utilisées (8% des cas) soit au niveau des doses administrées (6% des cas). Concernant les différences de dose, il s’agissait de surdosage ou de sous-dosage, en raison notamment d’un manque d’adaptation posologique pour deux types de molécules : les bêtalactamines – le doublement des doses, attendu pour les patients en obésité sévère (indice de masse corporelle supérieur à 35) et de poids supérieur à 100 kg (N=129), n’a pas été effectué dans 30% des cas, toutes spécialités confondues – et la clindamycine – le passage de 900 à 1 200 mg n’a pas été effectué lors des deux interventions de chirurgie bariatrique concernées.
Délai d’administration de l’antibiotique avant l’incision
À partir du référentiel de la Sfar (RFE) indiquant un délai théorique d’environ 30 minutes avant l’incision, sans écarts minimum et maximum définis, les résultats suivants ont été constatés sur l’ensemble des ATBP indiquées et réalisées avant incision : les délais se situaient entre 0 et 282 minutes, la moyenne et la médiane étaient respectivement de 33 minutes (+/-23 min) et 30 minutes, 39% des délais se situaient soit à moins de 15 minutes soit à plus de 45 minutes avant l’incision (30 min +/-15 min) (Figure 5). Parmi les délais courts (<15 min, 396 ATBP), 21% étaient associés à une ATBP réalisée dans les 5 minutes avant incision et 5% au moment même de l’incision (0 min). Les administrations de vancomycine associées à des perfusions de longue durée ont été exclues de cette analyse.
Discussion
Les deux premières campagnes de l’audit Preop (2020-2021) ont atteint les objectifs attendus : donner l’opportunité aux équipes opérationnelles d’hygiène (EOH) d’entrer dans les blocs opératoires pour une démarche qualité et à la mission nationale d’identifier des tendances en matière d’application des recommandations. Le nombre d’ES participants à ce stade est plutôt satisfaisant au vu du contexte pandémique de ces deux premières années, soumises aux effets de la crise de la Covid-196. L’impact de ces évaluations reste à estimer en termes d’actions correctives mises en œuvre localement : une enquête est proposée actuellement aux ES participants.
De nombreux résultats à valoriser
Concernant la PCO, il a été constaté : réalisation d’au moins une douche et d’une antisepsie, mode général d’application de l’antiseptique respecté, utilisation d’un antiseptique alcoolique sur peau saine, utilisation d’une tondeuse lors des dépilations réalisées en ES, réalisation d’une détersion ou d’un nettoyage en cas de souillures visibles. Pour ces derniers, il est difficile de dire s’il s’agit d’une pratique de routine ou ciblée sur les souillures, mais au moins 35% des ES indiquaient une intégration au protocole de la démarche ciblée dans l’enquête « PCO-DCF7 » [11]. Les antiseptiques alcooliques ont été davantage utilisés sur peau saine qu’en 2007 (quasiment deux fois plus), date de la dernière évaluation nationale par observation d’interventions du tout-venant (non ciblées) [12]. Le principe de débuter l’application de l’antiseptique par la ligne d’incision [13] était nettement plus suivi que dans d’autres études [14]. Concernant le traitement des pilosités, la combinaison de deux critères (intervention sans dépilation et dépilation par tonte), comme proposée dans l’étude de Koek, aboutit aux mêmes résultats que cette équipe (70 à 75% d’observance) [15].
Concernant l’ATBP préopératoire (injection initiale uniquement), il a été remarqué : respect global des préconisations de la Sfar en termes d’indication et de moment d’administration, de molécules et de doses administrées. Comparativement à d’autres études observationnelles publiées, ces résultats français sont soit très proches, soit meilleurs quant au respect de l’indication ou du moment de l’ATBP [16,17,18], soit très supérieurs à ce qui est parfois observé pour l’adéquation molécules/doses y compris après la mise en place d’une informatisation de la prescription et un contrôle pharmaceutique systématique [14,17].
Des écarts aux recommandations mais des améliorations possibles
Au-delà de l’identification de tendances très satisfaisantes, cet audit national s’est montré utile pour la détection des écarts aux recommandations : ils concernaient le traitement des pilosités et certaines étapes de l’antisepsie ainsi que l’adaptation posologique des antibiotiques.
Une dépilation encore généralisée
Près des 3/4 des interventions étaient associées à une dépilation alors que la recommandation actuelle est de ne plus dépiler en routine et que les études ne manquent pas pour appuyer cette position (p. ex. : méta-analyse Cochrane de Tanner, revues de Shi et Seidelmann) [19,20,21]. D’après les motifs déclarés par les professionnels au cours de l’audit, un obstacle technique tel qu’une zone opératoire à forte pilosité ne représentait que 10% des cas environ, ce qui peut laisser entendre qu’au moins 90% des interventions pourraient théoriquement se passer de dépilation. Les motifs principaux (protocole de l’équipe, choix individuel des chirurgiens) étaient tout à fait concordants avec les informations recueillies dans l’enquête PCO-DCF auprès des EOH (485 ES) [11]. Dans cette enquête Spicmi, le frein principal signalé par 55% des EOH interrogées était « la force des habitudes ». Ce changement à 180° (non-dépilation à la place d’une dépilation) se confronte à la formation initiale de certaines générations de chirurgiens. Remarquons néanmoins que le fait de « ne dépiler que si nécessaire » était déjà présent dans les 100 recommandations de 1999 [22] et n’a cessé d’être répété dans les référentiels généraux ou spécifiques successifs (2004, 2010, 2013) [13,23,4]. Au-delà des efforts fournis par les équipes d’hygiène locales, un travail de positionnement, de communication et de persuasion auprès des professionnels de santé serait nécessaire au niveau des sociétés savantes de chirurgie. En attendant, la mission nationale diffusera un argumentaire basé sur les guides de la SF2H et les publications dédiées. Un indicateur national de type « % d’interventions sans dépilation » pourrait apporter une aide à l’évolution des pratiques comme dans le bundle de Koek [15], grâce auquel le paramètre combinant non-dépilation et dépilation par tonte est passé en cinq ans de 72% à 96%. Un autre aspect de la problématique repose sur l’information des patients avant l’opération [24], quel que soit le mode d’hospitalisation. Au cours de l’audit, une initiative du patient a en effet été déclarée par l’équipe dans 10% des cas globalement : des analyses complémentaires ont montré que cette initiative se situait non seulement à domicile (19,3% des dépilations) mais aussi en service de chirurgie (1,4% des dépilations). Il faut dire qu’avec le développement de l’ambulatoire et du « J0 », la dépilation se retrouve très fréquemment faite à domicile par le patient et le plus souvent à la demande de l’équipe médico-chirurgicale. La nature des informations transmises au patient mériterait donc dans tous les cas une vérification. Comme pour les professionnels de santé, la question des habitudes se pose sans doute pour les patients, que ce soit dans le cadre de l’hygiène personnelle ou lors des consultations médicales (dépilation réflexe ou circonstancielle).
Le rasage mécanique n’a pas totalement disparu
Le rasage est également un point qui nécessite une meilleure information des patients [25], ce rasage étant très minoritaire au niveau des dépilations réalisées en ES mais une des méthodes les plus utilisées à domicile par les patients : sur l’ensemble des rasages mécaniques réalisés, 94% le sont à domicile, le reste en ES. Les hypothèses à ce sujet sont les suivantes : choix de la méthode habituelle, d’un matériel peu onéreux, jetable. Cela expliquerait le faible recours à la tonte qui suppose l’achat et l’entretien d’un matériel réutilisable. Le document d’aide à l’élaboration d’un plan d’actions fourni par le programme national Spicmi peut être une aide en termes d’identification des causes et de pistes d’amélioration [9]. Une approche multimodale avec communication renforcée et éducation des patients a montré son intérêt dans l’abandon progressif du rasage par exemple en gynécologie-obstétrique (34% à 14% en trois ans) avec une réduction globale de 50% des ISO, significative pour les ISO superficielles, les plus fréquentes après des interventions de type césarienne [26,27].
Des résultats variables pour l’étape d’antisepsie
L’étape d’antisepsie a été évaluée en détail lors de cet audit puisqu’elle représente actuellement l’unique barrière à visée strictement antimicrobienne de la procédure complète de PCO quand les nouveaux principes proposés sont adoptés (utilisation de savons non antiseptiques pour la douche préopératoire et/ou pour la détersion avant antisepsie, détersion non systématique limitée à la présence de souillures visibles) [4,5]. Le mode d’application de l’antiseptique est surtout à revoir du point de vue des risques de macération ou de coulure (en cas d’application par versement direct). Ces pratiques ne respectent ni la recommandation SF2H de 2016 (R5/niveau A) [5], ni les mises en garde de l’Agence nationale de sécurité des médicaments et produits de santé (ANSM) et de la Haute autorité de santé (HAS), avec un risque de brûlure majoré lors de l’utilisation d’un bistouri électrique [28,29]. La non-attente du séchage complet de l’antiseptique est le point faible de cette procédure. Ce résultat est toutefois du même ordre de grandeur que dans certaines études [14]. Des supports pédagogiques avec argumentaire sont prévus pour renforcer les messages locaux sur ce point.
Des problèmes d’adaptation posologique des antibiotiques administrés en première injection d’antibioprophylaxie
Ces résultats questionnent sur la connaissance des posologies actuelles attendues et surtout l’adaptation posologique annoncée comme nécessaire dans le référentiel (RFE) pour certaines molécules. Concernant les bêtalactamines, il n’est pas exclu que la prise en compte à la fois de l’indice de masse corporelle (IMC) et du poids du patient pose des problèmes de faisabilité pratique, notamment dans les chirurgies autres que bariatriques (p. ex. : balance adaptée disponible ?) : ce point devrait faire l’objet d’une réflexion lors de l’actualisation des RFE, prévue pour 2023. Les problèmes d’adaptation posologique des antibiotiques chez les patients obèses concernent aussi l’antibiothérapie, comme le montre l’étude de Roe aux urgences [30]. Les seuils à prendre en compte pour le doublement des doses sont également un sujet de débat et d’études : 100 kg/IMC 40 [30] 120 kg/IMC 30 [31], 80 kg [32] contre 100 kg/IMC 35 en France [6]. Une équipe américaine ne prend en compte que l’IMC 50 et augmente la dose sans pour autant la doubler [33]. Au milieu de ces différents positionnements, un document pédagogique regroupant les conditions françaises d’adaptation posologique actuelle, ou prochainement actualisées le cas échéant, serait sans doute utile.
Des positionnements en attente de la part des sociétés savantes émettrices des recommandations
Plusieurs points de la PCO ou de l’ATBP n’ont pas pu être analysés au-delà d’un niveau descriptif.
Délai d’administration de l’antibiothérapie avant incision
Tout en maintenant la cible actuelle à 30 min [6], un consensus serait le bienvenu sur des délais « non acceptables » (min/max) qui serviraient à la fois de repère aux utilisateurs et de critère d’évaluation. Nous sommes conscients qu’il s’agit d’un défi car la méta-analyse de De Jonge parue en 2017 [34] indique une qualité très faible des études disponibles et souligne la multiplicité des facteurs théoriquement à prendre en compte : paramètres pharmacocinétiques de chaque molécule (liaison aux protéines, demi-vie…) voire caractéristiques du patient.
Utilisation de molécules ou associations alternatives à celles préconisées par la Sfar
L’étude observationnelle de Testa [35] distingue des molécules acceptables (spectre « compatible ») et des molécules non adaptées. Elle estime que ces dernières concerneraient 7,4% des interventions et jusqu’à 20% dans certaines spécialités. Cet auteur indique que des publications récentes ont pu servir de référence dans l’attente d’une nouvelle version des recommandations, ce qui interroge sur la fréquence idéale de leur actualisation. Au-delà des questions de risque infectieux et d’antibiorésistance, l’équipe de Kumari et al. [17] a montré l’impact financier du choix de molécules alternatives (coût x11). À l’inverse, une tendance à l’utilisation généralisée de la céfazoline, au-delà des indications officielles, a été constatée dans notre audit. Il est vrai que c’est une molécule indiquée pour de nombreuses interventions dans les RFE [6] et la plus utilisée au vu des résultats de notre étude : elle peut cependant être insuffisante dans certaines indications (p. ex. : risque lié aux anaérobies). L’actualisation des RFE prévue en 2023 devrait, on l’espère, porter une amélioration à ces différents points.
Délai entre la douche et l’intervention
La question du délai entre la douche et l’intervention s’est posée au vu des dernières douches réalisées uniquement la veille de l’intervention, c’est-à-dire pas tout à fait « au plus près de l’intervention » comme précisé dans les commentaires sur les recommandations [4]. Fixer un délai au niveau national (nombre d’heures ou demi-journée par exemple) ne semble pas à l’ordre du jour malgré l’intérêt que nous y voyons pour éviter ces situations, d’autant plus que les unités de chirurgie ambulatoire ne seraient pas toutes en capacité de réaliser sur place une douche « compensatoire » [24].
Méthodes de dépilation utilisables à domicile
Même si le message général doit être d’éviter la dépilation en routine, y compris à domicile, il reste important de bien définir ce qui peut être fait ou non à domicile le cas échéant (« mesures de gestion »). La question de la tonte affichée globalement comme méthode de référence pose plusieurs questions dans son utilisation à domicile : coût de l’acquisition, de surcroît pour une intervention chirurgicale ponctuelle (faisabilité du prêt d’un exemplaire par l’ES) ? qualité des modèles grand public ? gestion de l’entretien, notamment lorsque ces tondeuses sont utilisées à d’autres fins que l’intervention chirurgicale ? maîtrise de l’utilisation par le patient (risque de lésions cutanées si mal utilisée) ? Ne faudrait-il pas en réserver l’usage aux professionnels de santé comme le recommandent les Néo-zélandais dans leur programme Open to better care [3] ? Certains chirurgiens voient dans la crème dépilatoire la solution « idéale » à domicile, mais c’est sans compter les risques d’altération cutanée en l’absence de réalisation d’un test préalable et de positionnement officiel au sujet de cette technique depuis les dernières recommandations [4]. Pour les autres méthodes utilisées à domicile qui représentent un pourcentage non négligeable, il n’existe pas à ce jour d’informations précises dans les référentiels existants. Dans l’attente, la mission nationale se propose de faire un point sur les avantages et inconvénients de chaque méthode.
Limites de l’évaluation
Même si le nombre d’ES ayant participé à cet audit paraît encore limité, nous ne sommes qu’au début du déploiement du programme. La participation et le nombre d’observations par ES augmentent chaque année. Un biais de sélection des ES ne peut pas être exclu du fait de la participation, notamment en 2020, des ES les moins touchés par la pandémie en termes d’activité chirurgicale et de mobilisation des équipes d’hygiène (cf. plans blancs). Néanmoins nous avons pu constater, lors de nos analyses annuelles successives, une reproductibilité des résultats dans des échantillons d’ES volontaires pourtant différents. Les résultats satisfaisants évoqués ci-dessus concernent uniquement la peau saine, ce qui ne préjuge pas des résultats sur muqueuses uniquement.
Quasiment toutes les étapes de la PCO sont prises en compte (exception faite de la première antisepsie quand deux sont réalisées) alors que seule une partie de l’ATBP l’est (première injection préopératoire, sans les éventuelles réinjections per et post-opératoires). Les tendances constatées auraient peut-être été différentes en les intégrant. En matière de qualité de l’ATBP, celle-ci est souvent mise en cause en termes de durée prolongée, ce qui en fait un sujet de préoccupation vis-à-vis de l’antibiorésistance [18]. Dans l’étude de Testa et al., il s’agit même de l’erreur d’ATBP la plus fréquente avec 17,1% de cas sur 257 interventions [35]. Cette durée post-opératoire fera l’objet d’une évaluation dans le programme national, via une analyse sur dossiers car une observation directe n’est pas faisable. La méthode choisie (observation jusqu’à l’incision) ne permet pas de disposer de certaines données sur l’ATBP comme la distinction entre l’absence d’ATBP et une ATBP injectée juste après l’incision, qui ne répondent cependant ni l’une ni l’autre aux pratiques attendues en cas d’indication. Cela relèverait le cas échéant d’une étude sur dossiers. Les résultats concernant les doses ne tiennent pas compte des molécules de deuxième intention comme la vancomycine et la gentamycine du fait de posologies dépendant du poids, donnée interdite de recueil au niveau national en 2020 et 2021 par les DPO pour le respect du RGPD. Ces molécules ne représentaient toutefois au total que 3% de l’ensemble des molécules utilisées. Comme dans toute observation, l’effet Hawthorne a possiblement modifié certaines pratiques, sauf la douche qui avait été prise en amont de l’accueil au bloc opératoire et éventuellement la dépilation. Cet effet n’est toutefois pas confirmé comme systématique en chirurgie dans la méta-analyse de Dimitriou parue en 2019 [36]. Cette méthode d’évaluation a en revanche eu l’avantage de recueillir des temps exacts (à la minute près) pour certaines étapes (ATBP, antisepsie, incision), ce qui n’est pas toujours le cas de la traçabilité sur dossier papier ou informatique [18,31,37]. Pour rappel, dans le cadre de cet audit, la comparaison des pratiques était faite par rapport aux recommandations nationales et non vis-à-vis du protocole local, qui pouvait avoir validé des pratiques différentes selon des critères propres à l’ES ou aux patients mais non disponibles au niveau national.
Conclusion
Ce type de démarche d’audit multicentrique a déjà porté ses fruits au niveau national : quelques milliers d’observations ont suffi pour identifier les premières tendances générales. Des supports pédagogiques adaptés aux besoins actuels des ES sont en cours de préparation. L’envoi des données par une majorité d’ES participants et leur contribution lors du webinaire annuel de retour des résultats montre l’intérêt que les équipes portent à ces démarches de prévention. Son efficacité en termes de progression des pratiques sera évaluée localement et nationalement via une enquête d’impact, au regard des nouveaux indicateurs de la Stratégie nationale. Le moment venu, la comparaison de ces données de prévention avec les résultats de la surveillance Spicmi sera certainement instructive. Cet audit national a également permis de recueillir des données dans les différentes spécialités chirurgicales, occasionnant des échanges avec les sociétés savantes de chirurgie concernées par le champ de l’audit et parfois des communications communes. L’arrêt de la dépilation en routine semble le plus gros défi, objectif qui va être poursuivi par la mission nationale avec ses partenaires. Une enquête auprès des chirurgiens et des Ibode pourrait être une forme d’approche complémentaire aux travaux déjà réalisés.
Notes :
1- Réseau d’alerte, d’investigation et de surveillance des infections nosocomiales.
2- Infirmières de bloc opératoire diplômées d’État.
3- Chirurgies orthopédique, digestive et viscérale, gynécologique, vasculaire, urologique, otorhinolaryngologique, obstétrique, cardiaque, esthétique, bariatrique, reconstructive et thoracique, neurochirurgie.
4- Niveaux de recommandation : A = fortement recommandé de faire ; B = recommandé de faire ; C = possible de faire ou de ne pas faire ; D = recommandé de ne pas faire ; E = fortement recommandé de ne pas faire.
5- Demande des délégués à la protection des données (DPO) par respect du Règlement général sur la protection des données (RGPD).
6- Coronavirus disease 2019, maladie à coronavirus 2019.
7- DCF : désinfection chirurgicale par friction.