Contexte
En région Bourgogne-Franche-Comté (BFC), le dispositif des équipes mobiles d’hygiène (EMH), mis en place et coordonné par le centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (CPias) suite à la publication de la circulaire interministérielle DGCS/DGS n° 2011-377 du 30 septembre 2011 relative à la mise en œuvre du programme national de prévention des infections dans le secteur médico-social 2011-2013, est mis en place depuis plus de dix ans. Cette organisation assure une cohérence de territoire et permet aux établissements médico-sociaux (EMS) conventionnés (établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes [Ehpad], maisons d’accueil spécialisées [MAS], foyers d’accueil médicalisé [FAM], instituts d’éducation motrice [IEM] et établissements prenant en charge des enfants ou adolescents polyhandicapés) de bénéficier d’un appui régulier (17 jours de travail annuel par EMS accompagné), de compétences de professionnels formés à la prévention et au contrôle des infections (PCI) et d’outils spécifiques sur cette thématique. Ces EMH réunissent majoritairement des infirmières diplômées d’État (IDE) hygiénistes et, dans le groupement hospitalier de territoire (GHT) Morvan Saône et Loire Nord, d’un temps de praticien hospitalier. La crise de la Covid-191 a particulièrement touché le secteur des Ehpad. Le secteur des personnes en situation de handicap (PH) n’a pas été épargné et a eu de la peine à mobiliser des ressources organisationnelles, techniques et humaines. De la même façon, les résidences autonomie se sont trouvées en grande difficulté dans ce contexte de crise sanitaire, car peu armées initialement face à un risque qui les concernait pourtant autant que les Ehpad. Dans ce contexte, les EMH et le CPias ont été mobilisés pour aider ponctuellement ces établissements en difficulté. Après des échanges avec les fédérations du secteur PH, l’agence régionale de santé (ARS) BFC a souhaité, à partir des enseignements tirés de la première vague et des premiers retours d’expérience de la seconde, engager un travail prioritaire à l’endroit de ces établissements pour renforcer les expertises relatives à la gestion des risques, et en particulier la gestion du risque infectieux. Pour ce faire, elle a proposé un plan d’accompagnement des EMS PH et des résidences autonomie. Il s’agissait d’un choix stratégique, global, au service de la santé publique des personnes fragiles du territoire, en s’affranchissant des zones de compétence administrative. Pour mettre en œuvre ce projet, l’ARS a mobilisé le CPias et le Réseau qualité des établissements en BFC (RéQua), pour que chacun propose, dans son champ de compétences et en complémentarité, un plan d’accompagnement spécifique au bénéfice de ces établissements. Un budget d’un million d’euros a été alloué par l’ARS pour une période de deux ans, dont la moitié a été déléguée au CPias.
Objectifs
L’objectif général de ce plan était d’aider les directeurs des EMS à dynamiser leur démarche qualité et de gestion des risques (volet RéQua [1]) et d’initier ou consolider les organisations pour prévenir et maîtriser le risque infectieux (volet CPias). Les objectifs secondaires du CPias étaient de permettre aux directeurs : d’identifier les déterminants du risque infectieux ; d’identifier les ressources humaines, matérielles et organisationnelles à mobiliser pour prévenir et maîtriser le risque infectieux ; de s’approprier les outils que le CPias mettait à leur disposition ; d’arbitrer des choix éclairés en s’appuyant sur les outils et les conseils du CPias (aide à la décision).
Méthode
Pour construire le plan d’accompagnement, l’ajuster aux spécificités de ces établissements et hiérarchiser les thèmes à aborder, le RéQua et le CPias ont élaboré et administré un questionnaire standardisé aux directeurs de ces structures en juin 2021 pour connaître leurs besoins et leur organisation. Après analyse, ils ont conjointement bâti le plan d’accompagnement. Celui-ci était expérimental (durée de deux ans), spécifique (propre à ces établissements), adapté aux caractéristiques de ces structures, et complémentaire (qualité et gestion des risques pour le volet RéQua, prévention et maîtrise du risque infectieux pour le volet CPias). Le macro-planning ad hoc (Figure 1) a été diffusé pour permettre aux directeurs d’appréhender tant le contenu thématique du plan que son calendrier. Pour dérouler ce plan, le CPias a recruté cinq IDE hygiénistes à temps partiel pour un total de 1,5 équivalent temps plein (ETP) entre le 1er septembre 2021 et le 31 décembre 2022. Il a également mobilisé plusieurs professionnels de son équipe : 3 médecins (0,4 ETP de septembre à décembre 2021 puis 0,07 ETP en 2022), la cadre supérieure de santé (0,2 ETP de septembre à décembre 2021 puis 0,15 ETP en 2022), le développeur web (0,025 ETP de septembre 2021 à décembre 2022) et la secrétaire (0,05 ETP de septembre 2021 à décembre 2022). Différentes méthodes d’animation et d’accompagnement ont été privilégiées compte tenu des contraintes associées au projet (323 établissements cible dont 103 résidences autonomie et établissements hébergeant des personnes âgées ; 220 EMS PH dont 30 MAS et 46 FAM répartis sur un territoire de 47 784 km2, et des ressources humaines mobilisées peu nombreuses pour animer le projet) :
- Des outils d’information et de communication : une charte graphique et un logo ont été développés pour disposer d’une identité visuelle, d’un continuum visuel et d’un repérage plus aisé des outils par les cibles. Une lettre d’information trimestrielle a été diffusée par e-mail aux structures pour motiver l’adhésion des directeurs, entretenir le lien avec eux et les fidéliser ; ces lettres reprenaient le calendrier des formations, présentaient les outils développés ainsi que les liens pour les télécharger et soulignaient les points clefs de l’actualité. Une campagne d’appels téléphoniques (phoning) a été organisée pour promouvoir ce plan d’accompagnement auprès des cibles. Enfin, une page dédiée sur le site internet du CPias réunissait toutes les informations de ce projet.
- Des temps d’échange et de partage à distance : pour présenter chaque nouvelle thématique, des réunions inaugurales dédiées aux directeurs ont été systématiquement organisées sous forme de webinaires, avec enregistrement vidéo permettant un visionnage en direct ou en différé sur la chaîne YouTube du CPias. Des tables rondes ou communautés de pratique ont été proposées à la suite des réunions inaugurales, également sous forme de webinaires, afin de les compléter par un contenu « pratico-pratique » pour travailler les différents leviers d’optimisation et de consolidation de la prévention et de la maîtrise du risque infectieux auprès des professionnels de terrain responsables de la thématique dans ces établissements.
- Une boîte à outils : téléchargeable sur la page dédiée du site internet du CPias, un fichier Microsoft Excel® (Microsoft Corporation, Redmond, États-Unis) recense par thématique les outils développés par les CPias et en particulier le CPias BFC.
- Une hotline : les professionnels du groupe projet du CPias apportent une réponse aux sollicitations urgentes par téléphone et aux sollicitations non urgentes par e-mail via une adresse générique ad hoc.
Résultats
Le projet a été présenté aux fédérations le 29 avril 2021. La participation à l’enquête sur les besoins s’est élevée à 59% (190/323) : 30% des réponses issues d’établissements pour personnes âgées (PA) et 70% d’établissements pour personnes adultes handicapées (PH). Les résultats ont permis d’identifier et de hiérarchiser les thématiques à aborder. Ils ont également permis de relever que plus de 80% des professionnels exerçant dans ces structures étaient des professionnels libéraux. L’accompagnement effectif auprès des établissements cible a débuté le 14 septembre 2021, à l’occasion de la première réunion inaugurale au cours de laquelle le contenu du macro-planning a été présenté (Figure 1). Pour mettre en œuvre le plan et suivre son déroulement, la coopération entre les différents partenaires s’est articulée comme suit : un comité stratégique regroupant ARS, CPias et RéQua (17 réunions pour un total de 28 heures d’échanges) et un comité de pilotage animé par le RéQua et le CPias ont été installés (27 réunions pour un total de 42 heures d’échange). Dix lettres d’information ont été publiées et diffusées par e-mail aux directeurs des EMS cible, l’envoi étant effectué par l’ARS. La démarche de phoning a consisté en 305 appels aux établissements cibles de six des huit départements de la région, le contact téléphonique des EMS des deux autres départements ayant été assuré de manière autonome par les conseils départementaux. Six réunions inaugurales ont été réalisées, chacune étant programmée deux jours différents de la semaine, à des créneaux horaires différents pour s’adapter aux agendas des professionnels et rendre leur connexion plus aisée. Cinquante-six tables rondes ont été animées et 32 outils ont été développés et réunis dans la boîte à outils. Tous ces éléments ont alimenté une page dédiée au plan d’accompagnement des résidences autonomies et des foyers hébergeant des adultes handicapés du site internet du CPias [2]. Au 31 décembre 2022, cette page représentait 5% des pages vues (2 546/51 097) du site internet. Si 35,7% des établissements cible (n=83) ont participé à au moins une table ronde sur une thématique du projet, seuls 16,9% ont suivi la totalité des séquences proposées. Au total, 576 professionnels (sans lisibilité sur le ratio entre professionnels salariés et professionnels libéraux) ont participé aux réunions inaugurales ou aux tables rondes.
Discussion et conclusion
Points forts du projet
Cet exercice a montré plusieurs points forts. Le projet a respecté les délais imposés par le commanditaire. Il a été un levier en matière d’innovation (nouvelles modalités de travail, exploration de thématiques et construction d’outils utilisables par les professionnels libéraux). Il a été construit avec une recherche d’amélioration continue en matière de communication et de proposition de contenu. Son contenu et son calendrier ont été ajustés fin 2021 afin de répondre aux besoins immédiats des structures submergées par la vague du variant Omicron, ce qui témoigne de la capacité d’adaptation effective des porteurs du projet. Le projet a permis aux deux structures d’appui de travailler ensemble, d’harmoniser la présentation de leurs outils en utilisant une charte graphique commune pour donner une identité visuelle à ce projet, et de co-construire des outils lorsque la thématique s’y prêtait, cette complémentarité apportant de la lisibilité sur nos champs respectifs de compétence pour les établissements qui ne nous connaissaient pas. Enfin, l’approche multimodale privilégiée pour décliner le projet a permis de proposer un choix d’accroches important (webinaires, tables rondes, boîte à outils, lettre d’information, hotline…) aux professionnels qui souhaitaient nous rejoindre.
Limites
Plusieurs limites ont toutefois été identifiées. La participation à l’enquête sur les besoins (59%), correcte, est probablement sous-estimée. En effet, un directeur responsable de plusieurs établissements cible ne renseignait qu’un seul questionnaire. Il a été difficile d’engager les établissements cible dans une politique de prévention et de sécurité des soins, malgré la proximité temporelle des épisodes de crise. En effet, malgré le phoning et la diffusion des lettres d’information, le pourcentage d’établissements qui ont participé aux différents temps d’échange n’était pas aussi important qu’attendu, même s’il était satisfaisant : 35,7% et 53% ont respectivement suivi les séquences du CPias et du RéQua. Ainsi, en accord avec l’ARS, il a été décidé qu’à l’avenir, l’appui des autorités de tarification compétentes serait davantage recherché pour soutenir la promotion de nos actions et l’engagement des cibles. Par ailleurs, si nous connaissons le nombre de participants à chacune des tables rondes, nous ne connaissons pas le détail de la participation selon le type d’établissements (PA/PH). Le design du projet n’a pas défini de temps d’évaluation à l’issue de la période expérimentale, aussi rendre compte objectivement de la satisfaction des établissements cible et de l’impact de l’exercice en termes de mise en sécurité des établissements serait audacieux ; en revanche, le nombre de téléchargement des outils développés par le CPias ainsi que les temps d’échange appréciés par les participants nous semblent être un témoin indirect de l’intérêt et de la satisfaction portés au projet. Enfin, le turn-over des professionnels dans ces établissements, y compris au niveau des directions, pose la question de l’intérêt d’une expérimentation unique. Dans le cadre de l’actualisation du dispositif des EMH en région, en lien avec l’ARS, une réflexion est en cours pour définir l’organisation et le modèle économique d’une suite à proposer à cette expérimentation.
Perspectives
Cet exercice a permis aux deux structures régionales d’appui, CPias et RéQua, de développer de nouvelles collaborations au bénéfice des EMS déjà accompagnés [3]. Au-delà, cet exercice à l’endroit de structures peu voire pas médicalisées où beaucoup d’intervenants sont des professionnels libéraux, ouvre une nouvelle porte vers le secteur de ville et l’amélioration et la consolidation des pratiques de ces professionnels sur la thématique « prévention et maîtrise du risque infectieux » à travers ce plan d’accompagnement devrait apporter une valeur ajoutée à leur pratique libérale au cabinet. Finalement, c’est du « gagnant-gagnant ». L’enjeu est maintenant, à l’échelle du territoire, de créer des passerelles entre les professionnels libéraux, les EMS et l’hôpital qui interviennent tout au long du parcours de soin du patient, du résident ou de l’usager. L’idée n’est pas d’ajouter une strate supplémentaire qui complexifierait le système, mais de mobiliser et d’articuler les ressources et organisations existantes (EMH, CPias et RéQua), dans une perspective de simplification et de cohérence. Cette dynamique devrait permettre, au niveau régional, d’améliorer l’accompagnement sur la thématique « prévention et maîtrise du risque infectieux » dans les trois secteurs de l’offre de soins. Cette démarche s’inscrit dans les attendus de la stratégie 2022-2025 de prévention des infections et de l’antibiorésistance.
Note :
1- Coronavirus disease 2019, maladie à coronavirus 2019.