Introduction
Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont à la fois des lieux de vie et des lieux de soins pour les personnes âgées en perte d’autonomie. Ils sont très hétérogènes tant par leur taille que par leur statut juridique et la typologie des résidents accueillis. L’organisation de la prévention du risque infectieux est également très variable puisque toutes les structures ne bénéficient pas d’un accompagnement spécialisé par un hygiéniste. Le défi, pour les acteurs de la prévention du risque infectieux en Ehpad, est de maintenir un juste équilibre entre un socle incontournable de mesures à mettre en œuvre lors des soins et le maintien des attendus inhérents à ces lieux de vie collective. En nous basant sur l’expérience de deux équipes mobiles d’hygiène intervenant dans des Ehpad, nous présentons les axes spécifiques d’actions des équipes d’hygiène dans ce type d’établissement.
Méthode
De nombreux facteurs peuvent influencer le risque infectieux en Ehpad. Afin d’avoir une vue d’ensemble, nous avons utilisé la méthode des 5M (appelée aussi diagramme d’Ishikawa) [1], qui permet de rechercher les différentes causes possibles d’un problème en les classant en cinq grandes branches commençant chacune par M. Chaque branche est ensuite détaillée avec les éléments ciblant les points pertinents. En pratique, l’équipe d’hygiène a un nombre limité de points de levier sur lesquels vont porter ses actions, ceux-ci apparaissent en noir dans la figure 1 (arêtes de poisson). Nous allons présenter un état des lieux pour chacune des branches du diagramme et préciser, pour certains éléments, les spécificités des actions des équipes d’hygiène en Ehpad. Nous avons délibérément choisi de ne pas parler de la gestion du linge et des déchets qui dépendent très fortement de l’établissement et du prestataire.
Résultats
Milieu
Les points suivants influent sur le risque infectieux : l’établissement (taille, statut), les caractéristiques des résidents accueillis, l’architecture et les valeurs de l’Ehpad. Selon les situations, les hygiénistes peuvent intervenir de manière ponctuelle sur deux éléments : l’architecture du bâtiment et les « valeurs » mises en avant. Nous allons toutefois, dans un premier temps, décrire les établissements et les caractéristiques des résidents accueillis.
Établissement
Il existe un peu plus de 7 000 Ehpad en France pour plus de 611 000 places (données 2019) [2]. La répartition en termes de statuts en 2017 était la suivante : 46% d’établissements étaient publics, 30% privés non lucratifs et 24% privés lucratifs [3]. La majorité des Ehpad ouverts depuis 2000 disposent de 60 à 90 places, avec une taille moyenne de 81 places (Tableau I) [3]. L’enquête Prév’Ehpad de 2016 [4] a étudié la prévalence des infections selon les différentes caractéristiques des Ehpad (Tableau II). Il est notamment relevé un taux significativement moins élevé de résidents infectés lorsque la capacité de l’Ehpad est de plus de 80 lits. Ces établissements ont plus souvent un médecin coordonnateur (p=0,02) et au moins un correspondant en hygiène (p=0,004) sur place. Ils ont également plus souvent accès à une expertise en hygiène (p=0,01).
Résidents
La typologie des résidents est très différente selon les Ehpad mais la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) révèle un accroissement régulier du besoin en soins des résidents et de leur niveau de dépendance [5]. L’enquête Prév’Ehpad [4] portait sur 28 277 résidents (de 367 établissements) dont 63,4% âgés de plus de 85 ans. Cette enquête relève une exposition aux dispositifs invasifs peu fréquente et qui concerne principalement les cathétérismes sous-cutanés (3,3%) ou le sondage à demeure (1,7%). La prévalence nationale de résidents infectés est estimée à 2,93% (IC95 [2,57-3,29]) et celle de résidents traités par des antibiotiques à 2,76% (IC95 [2,46-3,07]). La prévalence des infections associées aux soins (IAS) est de 3,04% (IC95 [2,65-3,42]) avec une majorité d’infections urinaires (36,9%), d’infections respiratoires basses (24,0%) et d’infections de la peau et des tissus mous (20,4%). Le rapport souligne le caractère multifactoriel des infections : « Ces résultats résultent de mécanismes complexes et intriqués, liés tant à l’état de santé et de dépendance des résidents qu’aux soins qui leur sont prodigués, à la vie en collectivité et à d’autres facteurs institutionnels. »
Architecture
La grande diversité de l’architecture des Ehpad est liée à leur histoire et aux variations des politiques publiques (ancienne congrégation religieuse, ancien foyer logement, ayant fait l’objet de rénovations lourdes, maison de retraite, mais aussi Ehpad et Ehpa1 mélangé, établissement très récent). En 2007, les chambres individuelles représentaient 81% de l’offre dans les Ehpad public, 88% dans les Ehpad privés lucratifs et 92% dans les Ehpad privés non lucratifs [6]. Dans le rapport du Sénat de 2022 [7], il est fait mention de 11% de chambres partagées et de 25% de chambres sans douche privative en établissement public versus 4% de chambres partagées et 9% sans douche privative dans le privé non lucratif, et 7% de chambres partagées et 4% sans douche privative dans le privé lucratif. Un espace de restauration collective est toujours présent. S’il fut une époque où les grandes salles à manger étaient la règle, l’accueil d’une population variée (Alzheimer, handicapés) a entraîné la création de secteurs. Au début de l’épidémie de Covid-192, la prise de repas en grande salle à manger a favorisé la diffusion du virus. Les établissements ont été contraints de revoir leur organisation en sectorisant la prise de repas et en ne permettant que les activités en petit groupe.
Analyse et actions de l’équipe d’hygiène
En routine, l’hygiéniste a peu de possibilités d’action sur l’architecture. Cependant, il ne doit pas hésiter à donner son avis sur les restructurations ou les constructions de bâtiments. Il est en particulier important d’insister sur l’organisation des locaux communs en favorisant les petites salles à manger et la multiplication de salons de petite taille. La création de bulles sociales (pour les animations et les repas) dans de petites pièces permet le maintien d’une vie collective tout en évitant les brassages massifs de résidents.
Réseau d’eau
Au sujet de la gestion de l’environnement, et en particulier la gestion de l’eau chaude sanitaire (ECS), le bilan du secteur médico-social du centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (Cpias) Auvergne-Rhône-Alpes de 2020 indique que 13,8% des Ehpad ont eu au moins un contrôle de l’ECS rapportant un taux de légionelles supérieur à 1 000 unités formant colonie (UFC) par litre et que les pratiques sont hétérogènes et fonction de l’accès à une équipe d’hygiène [8] (Figure 2).
Analyse et actions de l’équipe d’hygiène
L’accompagnement des Ehpad pour la gestion de la qualité de l’eau, en particulier de l’ECS, est un champ d’intervention à ne pas oublier par les équipes d’hygiène. Elles peuvent aider les établissements à la bonne application des procédures relatives aux légionelles et à la prévention de la légionellose, à la constitution ou à la gestion du carnet sanitaire, ainsi qu’à la compréhension des résultats microbiologiques. Elles peuvent aussi accompagner la création d’un groupe de gestion de l’eau.
Valeurs mises en avant
L’Ehpad est un lieu de vie. Tout doit être fait pour que les résidents se sentent chez eux. Certains soignants traduisent cela par un rejet du « sanitaire », et voudraient faire « comme à la maison », en particulier avec un souhait de tenue professionnelle différente du sanitaire et des réticences à porter certains équipements de protection. Cela peut être accentué par une mauvaise compréhension de certaines formations à « l’humanitude ». Durant la pandémie, de nombreuses contraintes ont été justifiées par la prévention du risque infectieux. Si certaines étaient justifiées, d’autres ont servi d’alibi (pour pallier des problèmes d’organisation, le manque de personnel…). La création récente de l’Observatoire du grand âge accentue le mouvement pour trouver un juste équilibre entre le soin (avec toutes ses composantes) et le lieu de vie. Les hygiénistes doivent tenir compte de certains groupes de réflexion comme le think tank Matières grises [9], qui affirme : « Il convient donc, d’ici 2030, de planquer ce soin que l’on ne veut plus voir. Ce soin qui évoque la médicalisation et la dépendance. Ce soin, dont ont besoin les résidents, il ne s’agit pas de le nier, mais que l’on ne veut plus [le] voir primer partout et tout le temps. Certes, la chambre devient le temps d’une toilette un lieu de travail et de soins, mais doit-on pour autant la transformer en chambre d’hôpital ? »
Analyse et actions de l’équipe d’hygiène
Les hygiénistes doivent régulièrement rappeler que les précautions standard s’appliquent en Ehpad tout comme au domicile de la personne prise en charge. La tenue des professionnels, quelle que soit sa nature (type ou couleur), doit être prise en charge par l’établissement selon les mêmes attendus que dans un établissement sanitaire. L’absence de bijou aux mains et aux poignets et le port du tablier à usage unique pour les soins souillants et mouillants sont nécessaires, à la fois pour protéger le personnel et pour prévenir la transmission croisée.
Méthodes
Cette thématique comprend les documents de type procédures et protocoles, les pratiques lors des soins et les actions d’évaluation de pratiques.
Procédures et protocoles
Les référentiels des Ehpad sont identiques à ceux des établissements sanitaires. Les systèmes documentaires sont très hétérogènes selon les établissements.
Analyse et actions de l’équipe d’hygiène
Au niveau des soins, le rôle des équipes d’hygiène est d’accompagner les protocoles de prévention du risque infectieux par des affiches et des fiches pratiques simples, allant à l’essentiel afin de dire l’incontournable en peu de mots, comme on peut en trouver sur le site du Réseau de prévention des infections associées aux soins (Répias). Le soutien à l’application des précautions standard reste la base. La pandémie a formé les Ehpad à la gestion des épidémies. Cependant leur autonomisation, pour le signalement et la gestion, est variable et dépend de l’ancienneté du travail avec l’équipe d’hygiène et de leur historique des épidémies. L’équipe d’hygiène va apporter son aide pour le suivi de l’épidémie, sa gestion et des prises de décisions organisationnelles.
Pratiques de soins
Les modalités de réalisation des différents soins reprennent les précautions standard et le respect de bonnes pratiques d’asepsie applicables au sanitaire. Les précautions complémentaires sont, autant que possible, mises en œuvre de manière similaire à ce qui se fait dans les établissements de santé à l’exception des bactéries résistantes aux antibiotiques. Pour celles-ci, les mesures géographiques sont discutées au cas par cas et on applique le strict respect des précautions standard avec une attention particulière au respect de l’hygiène des mains et du port de tablier jetable [10]. La gestion des excreta mérite d’être détaillée car elle est plus spécifique et avec des particularités en Ehpad. L’audit national effectué en 2019 [11] dans 411 établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) (dont 384 Ehpad) indique des pratiques différentes entre le secteur sanitaire et les EMS. Dans les unités de vie en Ehpad évaluées, 75% des résidents sont incontinents et 16% sont utilisateurs d’un dispositif de recueil des excreta. Au niveau architectural, l’unité dispose d’un local « utilitaire sale » dans 79,2% des cas quand l’ESMS est intégré à un établissement de santé (ES) et dans 50% des cas quand l’ESMS est indépendant. On note que les Ehpad rattachés à un établissement de santé ont des moyens en matériel et une architecture plus proches de ceux du secteur sanitaire. Dans notre expérience languedocienne, seulement 33% des Ehpad possèdent un local utilitaire sale (peu utilisé) et aucun n’utilise systématiquement des sacs avec gélifiant (Tableau III). Au niveau national, 63% des unités de vie n’ont ni lave-bassins, ni contenant à usage unique, ni sac protecteur avec gélifiant [11]. Le contenant le plus fréquemment utilisé est le seau de chaise percée. En l’absence de moyens, les pratiques observées sont la vidange dans le WC et le rinçage avec l’eau du robinet du lavabo ou avec le pommeau de douche ; le nettoyage désinfectant par trempage est exceptionnel. En l’absence de local adapté, les possibilités de trempage dans un bain de détergent désinfectant ne pourraient être réalisées que de temps en temps, généralement dans la salle de bains de la chambre, ce qui n’est pas fait.
Analyse et actions de l’équipe d’hygiène
L’équipe d’hygiène doit se pencher sur le risque fécal et conseiller les décideurs au sujet de leur politique d’équipement. Il convient de prendre en compte le profil des résidents : peu sont continents et, parmi ceux qui le sont, la majorité est autonome pour aller aux toilettes. Ainsi, l’achat d’un lave-bassins est rarement la solution à proposer pour la gestion des excreta. Le trempage des ustensiles de recueil ne peut pas être préconisé en routine (absence de local sale à proximité, risque fécal majoré). Les solutions à envisager pour le traitement des urinaux et des seaux de chaise percée sont l’utilisation de contenants à usage unique ou les sacs protecteurs avec gélifiant. En pratique, nous conseillons d’auditer les moyens et les pratiques puis de proposer l’outil de gestion des excreta Gex-Simulator du Répias [12] aux responsables, afin de choisir les équipements obligatoires (envisager aussi les éventuels modes dégradés). Ensuite, il convient d’accompagner l’établissement par la rédaction d’une procédure adaptée à l’Ehpad et de former les professionnels au changement afin de faciliter la compliance.
Pratiques de gestion de l’environnement du résident
L’entretien des locaux est un élément important du confort du résident. De nombreux Ehpad sont confrontés à un turn-over très important des professionnels réalisant l’entretien des locaux avec des difficultés de mise en œuvre conforme de certaines techniques d’entretien des surfaces hautes et du sol. Dans la chambre du résident, l’entretien de l’environnement est partagé entre l’équipe soignante (lit dans son ensemble, adaptable) et l’équipe hôtelière. Des dysfonctionnements entre ces deux équipes peuvent être observés. Il arrive que les sociétés distribuant les produits et matériels de bionettoyage fournissent aux Ehpad des fiches techniques en guise de protocole et parfois forment les agents à l’utilisation du chariot d’entretien ou de la centrale de dilution. Cependant, cette prestation est orientée par le type de matériel vendu par la société, la formation est donc partielle. Ainsi, on observe encore fréquemment l’utilisation d’une bombe désinfectante au départ du résident.
Analyse et actions de l’équipe d’hygiène
Les attentes sont différentes de celles du secteur sanitaire, car le risque de contamination de l’environnement se fait essentiellement par les mains du résident. Les référentiels existant sur l’entretien de l’environnement sont peu argumentés par rapport au risque infectieux. L’équipe d’hygiène a un rôle stratégique d’aide au choix des produits et des techniques d’entretien des locaux. Ainsi, la méthode vapeur, rarement proposée, peut avoir de l’intérêt pour certaines équipes. Actuellement, la prise en compte du développement durable nous incite à orienter les établissements vers l’abandon de la chimie pour l’entretien des sols (hors cas particulier). Concernant les surfaces hautes, la pandémie a mis en avant l’importance du choix d’un détergent désinfectant virucide répondant à la norme NF EN 14476+A2.
Évaluation
Les établissements sont incités à développer des actions d’évaluation par le biais des programmes nationaux (stratégie nationale et certification des établissements médico-sociaux) et de textes réglementaires [13,14,15]. Le document d’analyse du risque infectieux (Dari) mis en place depuis 2012 est encore inconnu dans certains Ehpad [15]. Dans la continuité du Dari, un nouvel outil d’auto-évaluation du risque infectieux en ESMS (document d’analyse et de maîtrise du risque infectieux [Damri]) [16] est disponible depuis début 2023. Son objectif est de permettre à tout ESMS de cartographier son risque infectieux, d’en mesurer son niveau de maîtrise et de mettre en place un plan d’actions d’amélioration hiérarchisées. Il est, de plus, un outil de communication. Les actions d’évaluation en interne restent limitées selon la taille de l’établissement et l’appartenance à un groupe.
Analyse et actions de l’équipe d’hygiène
Le Dari est un bon outil pour accompagner les établissements en particulier ceux qui sont « vierges de tout hygiéniste ». Cette évaluation est incontournable et peut s’inscrire dans des démarches de visite de risque qui permettent d’établir un plan d’actions. Pour ce qui est des audits de pratiques, il est souhaitable de privilégier la restitution immédiate (plus concrète) plutôt que d’opter pour un grand nombre d’observations3. On peut aussi guider les infirmières coordinatrices et les gouvernantes pour le suivi des pratiques à partir de grilles d’autoévaluation par des quick-audits. L’équipe d’hygiène doit accompagner l’établissement dans la mise en place d’un suivi d’indicateurs tels que la consommation de solutions hydro-alcooliques (SHA), le respect du « zéro bijou » ou encore la consommation de certains équipements de protection individuelle [17]. La mission nationale Primo4 propose d’ores et déjà un outil de suivi de la consommation des SHA [18]. L’équipe d’hygiène doit autant que possible associer le médecin coordonnateur à la planification des actions de prévention de l’établissement et à la définition de la politique vaccinale.
Matériel
Dispositifs médicaux
En Ehpad, les dispositifs médicaux critiques ou semi-critiques sont à usage unique ou à résident unique. Les dispositifs médicaux non critiques sont majoritairement à résident unique et bénéficient d’un entretien régulier. Les établissements font face à des sollicitations commerciales et n’ont souvent pas d’expertise en interne pour contribuer au choix des produits. Il est fréquemment retrouvé plusieurs produits destinés à l’entretien des dispositifs médicaux et dont certains sont parfois non adaptés. À titre d’exemple, on peut encore retrouver dans certains établissements des produits désinfectants à base de glutaraldéhyde.
Analyse et actions de l’équipe d’hygiène
Globalement il existe peu de matériel commun à plusieurs résidents, l’individualisation du matériel permet ainsi de limiter le risque de transmission croisée. Les hygiénistes doivent rappeler régulièrement qu’un dispositif médical ne subira pas le même traitement selon son utilisation, telle la sangle du verticalisateur laissée dans la chambre versus celle du verticalisateur utilisé pour plusieurs résidents lors du transfert aux toilettes des parties communes. De même, le coupe-ongle partagé doit être mis à tremper dans du détergent désinfectant entre deux résidents, les soins des ongles des pieds étant assurés par un pédicure.
Produits, matériels et consommables
Selon les Ehpad, les consommables liés aux équipements de protection individuelle sont financés soit par le budget soins, soit par le budget dépendance (parfois les deux). Ainsi, on observe que le besoin de mise à disposition de ces équipements évalué par le gestionnaire n’est pas toujours adapté à la prévention du risque infectieux en termes de quantité ou de qualité (p. ex. tablier à usage unique, sac absorbant les excreta…).
Analyse et actions de l’équipe d’hygiène
Concernant l’hygiène des mains, il est intéressant de rappeler l’existence de différents conditionnements possibles des SHA et l’intérêt très net dans ce genre de structure du format flacon de poche. L’équipe d’hygiène doit être vigilante et adapter ses conseils lors d’une épidémie. Ainsi, pour les Ehpad n’utilisant que des gants de toilette en tissu, il est indispensable de rappeler la nécessité de passer à l’usage unique dans un contexte d’épidémie de gastro-entérite aiguë. Dans le cas de figure où l’établissement n’a pas fait le choix d’un port de tablier en routine pour les soins contaminants, il faudra insister sur la nécessité de mettre à disposition des tabliers en plastique en cas d’épidémie. Il leur sera aussi fortement conseillé d’utiliser des sacs absorbants pour les bassins et seaux de chaise percée.
Management
Organisation
Dans les structures de petite taille non adossées à un grand groupe, le management et les responsabilités sont concentrés sur un nombre réduit d’acteurs décisionnaires. Le poste de gouvernante ou de maîtresse de maison, chargée de la gestion de l’hôtellerie et des agents d’entretien, repose parfois uniquement sur le directeur et l’infirmière coordinatrice.
Analyse et actions de l’équipe d’hygiène
Comme évoqué dans les chapitres précédents, l’accompagnement de l’établissement dans le choix des matériels et des produits est bénéfique, il l’est aussi dans certains projets transversaux (rénovations de locaux).
Répartition des tâches
Le glissement de tâches est identifié dans un document de la Drees [19]. Il est favorisé par des difficultés de recrutement [20] et, dans de nombreuses petites structures, par l’absence d’infirmière la nuit. Il aboutit à la réalisation de certaines tâches par des professionnels qui n’ont pas la qualification requise telle que la désadaptation de la ligne veineuse de perfusion sous-cutanée par l’aide-soignant.
Analyse et actions de l’équipe d’hygiène
L’équipe d’hygiène n’a pas la charge de l’organisation des soins mais elle se doit d’intervenir pour rappeler le risque d’infection liée au cathéter sous-cutané en particulier lorsque celui-ci est manipulé par du personnel non formé et non diplômé. Ainsi, l’infirmière ne peut déléguer à l’aide-soignant la déconnexion de la ligne de perfusion. Si nécessaire, en accord avec la direction, une analyse de scénario s’appuyant sur des retours d’expérience d’autres établissements peut être organisée afin de soutenir l’infirmière coordinatrice à ce sujet. L’équipe d’hygiène est parfois obligée de rappeler certaines répartitions des tâches entre les équipes soignante et hôtelière. Ainsi, il est du rôle de l’aide-soignant d’entretenir l’environnement proche du résident (lit avec ses barrières). Il est aussi de son rôle de ramasser les plateaux-repas pris en chambre afin de s’assurer d’une prise alimentaire satisfaisante. Par contre, il est préférable que le dérochage des plateaux ne soit pas réalisé dans les couloirs mais en cuisine par l’équipe hôtelière, le lieu étant équipé pour ce travail.
Main-d’œuvre
Métiers et taux d’encadrement
Les Ehpad regroupent de nombreux métiers : médecins, infirmiers, aides-soignants, aides médico-psychologiques, auxiliaires de vie, agents de services hôtelier, psychologues, masseurs-kinésithérapeutes, psychomotriciens, orthophonistes, diététiciens (Figure 3). Les aides-soignants représentent la catégorie professionnelle la plus importante en nombre, suivis des agents de service hôtelier. Des problèmes de recrutement amènent fréquemment des agents de service hospitalier, des aides médico-psychologiques ou des auxiliaires de vie à faire fonction d’aides-soignants sans avoir suivi de formation au nursing5 [19,20]. Il n’existe pas de norme en matière de taux d’encadrement en Ehpad (rapport entre le nombre d’équivalents temps plein [ETP] et le nombre de places installées) pour les personnels de soins. Le taux d’encadrement global est en hausse depuis 2011. Selon l’étude de la Drees de décembre 2020 [21], entre 2011 et 2015, le taux d’encadrement dans les Ehpad est passé de 59 ETP à 63 ETP pour 100 places installées, soit une augmentation moyenne de 6,5%, touchant principalement les postes d’aides-soignants, dont le ratio est passé de 17 ETP pour 100 places à 20 ETP, soit les trois quarts de l’augmentation du taux d’encadrement, et les postes d’infirmiers, dont le ratio est passé de 5 ETP à 6 ETP. En 2017, le taux d’encadrement médian global était estimé à 63,3 ETP pour 100 résidents [3]. Pour l’ensemble du personnel soignant, ce taux s’établissait à 31 ETP.
Présence du médecin coordonnateur
Les Ehpad ont un double fonctionnement en termes de gestion médicale avec à la fois le médecin coordonnateur et le ou les médecins traitants des résidents, chacun ayant son rôle propre. La fonction médicale apparaît particulièrement en difficulté. Dans la moitié des Ehpad, soit il n’y a pas de médecin coordonnateur, soit le nombre d’heures effectuées est insuffisant [21]. L’accès à un médecin traitant est loin d’être systématique [22]. Le travail avec les médecins libéraux est souvent compliqué car leur présence n’est pas programmée ou sur un temps très court. Concernant les ressources en hygiène, l’enquête Prév’Ehpad de 2016 [4] a révélé une forte marge de progression pour l’accès à une expertise en hygiène (64,6%) et la présence de correspondants paramédicaux dans les établissements (59,4%).
Analyse et actions de l’équipe d’hygiène
L’équipe d’hygiène ne peut intervenir sur les taux d’encadrement. Le travail avec les médecins est un champ d’action incontournable en particulier sur les thématiques de la vaccination et de la gestion de l’antibiothérapie. Concernant les médecins libéraux, l’équipe d’hygiène peut contribuer à la réflexion concernant l’organisation de la réévaluation de l’antibiothérapie. L’enquête, proposée par le groupe d’infectio-gériatrie6 pour évaluer quelles collaborations entre infectiologues, hygiénistes, gériatres, autres médecins et soignants coordonnateurs pourraient se développer à l’avenir, permettra sans doute d’apporter des éléments de réponse aux établissements [23]. Le rôle des correspondants en hygiène est incontournable et leur présence en tant que relais sur le terrain doit être encouragée et intégrée dans l’accompagnement proposé par l’équipe d’hygiène.
Formation
Le niveau de formation des professionnels exerçant en Ehpad est très hétérogène. Le renforcement de la formation et de la qualification des personnels soignants (médecin coordonnateur, infirmier, aide-soignant, etc.) s’avère nécessaire pour améliorer la qualité de la prise en charge. Or, en plus des problèmes de formation initiale, il a été constaté une baisse du nombre de formations suivies. Des formations en hygiène sont proposées par différents organismes et les Cpias. Aucune donnée n’est disponible quant à la fréquence et au nombre de professionnels bénéficiant de ces formations hors équipe d’hygiène.
Analyse et actions de l’équipe d’hygiène
La formation, dispensée par les hygiénistes, doit s’adapter à ces contraintes. Les formes interactives sont à privilégier. Le format court permet d’être réalisé sur le lieu de travail sans prendre trop de temps. Les techniques de compagnonnage, alliant à la fois audit et formation, permettent un accompagnement en profondeur [24]. Les formations doivent concerner l’ensemble des catégories professionnelles. Il est reconnu un grand intérêt à la conduite de jeux de rôle, d’actions en chambre des erreurs ou de simulations procédurales pour la toilette, les changes ou les soins urinaires. On pourra s’appuyer sur la boîte à outils proposée par le Répias. Concernant les agents d’entretien, il convient de s’assurer que la formation, parfois assurée par les sociétés distribuant les produits et le matériel (chariots, centrales de dilution), couvre bien les besoins de l’Ehpad. Malgré le turn-over important, il est pertinent de proposer des formations de correspondants paramédicaux leur permettant d’être des relais des hygiénistes. Compte tenu des petits effectifs mobilisables, il est approprié de proposer des actions de formation inter-Ehpad qui ont aussi l’intérêt de favoriser l’échange entre les différentes structures. Enfin, et encore plus depuis la pandémie de Covid-19, les équipes d’hygiène ont un rôle particulier de promotion de la vaccination dans ces établissements qui ne disposent pas de temps suffisant de médecine de santé au travail pour mener des actions. Ces temps de formation, outre la présentation des aspects techniques du vaccin, vont permettre des échanges avec les professionnels autour de leurs questionnements, de leurs peurs et de leurs réticences. L’expérience démontre, par ailleurs, que la formation des médecins coordinateurs, qui peut être couplée avec celle des infirmières de coordination, est tout à fait pertinente et doit être encouragée.
Conclusion
Les Ehpad présentent une grande diversité de structures et de besoins. La crise de la Covid-19 a confirmé la nécessité d’un soutien en prévention du risque infectieux. Cela ne peut se faire que dans le cadre de temps partagés entre différents établissements. Les équipes mobiles d’hygiène apportent une réponse pertinente à cette problématique. On ne peut que souhaiter la pérennité de leur présence sur l’ensemble du territoire, avec des quotas par Ehpad pris en charge, comme la Société française d’hygiène hospitalière a pu l’indiquer dans sa réponse à la saisine du ministère de la Santé [25]. L’intervention des hygiénistes en Ehpad doit être pragmatique, proche du terrain, avec un programme sur mesure, adapté à chaque structure. L’objectif est d’allier prévention du risque infectieux avec maintien de la vie sociale et familiale des résidents et de leur liberté d’aller et venir.
Notes :
1- Établissement d’hébergement pour personnes âgées [non dépendantes].
2- Coronavirus disease 2019, maladie à coronavirus 2019.
3- Chaize P, et al. EMH Est-Hérault - Sud-Aveyron. Audit des toilettes en Ehpad : impact de l’organisation. À paraître dans Hygiènes 2023;31(3).
4- Mission nationale de surveillance et prévention de la résistance aux antibiotiques et des infections associées aux soins en soins de ville et secteur médico-social.
5- Chaize P, et al. EMH Est-Hérault Sud-Aveyron. Audit des toilettes en Ehpad : impact de l’organisation. Hygiènes. op. cit.
6- Le groupe d'infectio-gériatrie (Ginger) est un intergroupe de la Société de pathologie infectieuse de langue française et de la Société française de gériatrie et gérontologie (source : https://www.infectiologie.com/).