Continuum des particules respiratoires
La transmission respiratoire est causée par la génération de gouttes contaminées (qui contiennent des pathogènes respiratoires), les particules respiratoires (PR), d’un individu infecté (source) vers un individu cible. Ces gouttes, de tailles hétérogènes et couvrant un continuum de tailles allant de submicronique à la centaine de microns (voire plusieurs centimètres s’il s’agit d’une expectoration), sont émises dans l’air ambiant par l’individu source lors des activités respiratoires (respiration simple ou polypnée, parole, chant, toux ou éternuement). Avec l’air expiré, d’humidité relative et de température généralement supérieures à celles de l’air ambiant, les gouttes forment un nuage turbulent respiratoire qui ne se mélange pas instantanément avec l’air ambiant, ce qui protège en partie les PR des conditions environnantes pendant une première phase de transport. Les PR émises sont soumises à deux grands phénomènes physiques associés : le mélange turbulent, qui façonne leur dispersion et leur évaporation, laquelle réduit leur masse, et la résistance de l’air, couplée à la gravité, qui façonne la chute et le transport par les courants d’air ambiants. Ainsi, au cours du temps suivant l’émission, la dynamique du nuage puis les conditions ambiantes altèrent la distribution de taille des PR avec une décroissance plus ou moins rapide et homogène vers les plus petites tailles. À cela s’ajoute un troisième phénomène qui est la désactivation du pathogène au cours du temps, qui dépend notamment de l’humidité et de la température de l’air et de la composition initiale du fluide respiratoire, de son origine dans le système respiratoire et du type de pathogène. Enfin, quand un individu cible sain est exposé aux PR par leur inhalation nasale ou buccale, ces PR de taille variable pénètrent plus ou moins profondément dans son système respiratoire. Le nombre des variables contribuant au phénomène est très grand, ce qui le rend complexe. En théorie, une évaluation exacte de la transmission nécessiterait de traiter exactement chaque situation selon les individus source et exposé et l’environnement d’exposition, ce qui est hors de portée. Il est donc nécessaire de simplifier, mais cette simplification doit être menée à partir des connaissances scientifiques disponibles afin de conserver la juste part de complexité. La transmission respiratoire est donc liée à la génération, au transport, puis à l’inhalation et la déposition du continuum des particules respiratoires excrétées et à leur caractère infectieux, ce sont les trois phases du continuum. L’infection de l’individu cible va donc dépendre de :
- l’évolution des particules respiratoires une fois excrétées, mais aussi des caractéristiques intrinsèques des micro-organismes conditionnant leur transmissibilité,
- des caractéristiques liées à la pathologie et à l’hôte émetteur (y compris le type de soins prodigué),
- des caractéristiques liées à l’environnement conditionnant la transmissibilité et la transmission,
- et enfin des caractéristiques de l’hôte récepteur/exposé qui conditionnent sa susceptibilité à l’infection.
On voit bien ici que la dichotomie « air/gouttelettes », dont l’intérêt n’est pas contestable en termes de simplification, ne peut (doit) plus déterminer à elle seule les mesures de prévention de la transmission respiratoire. Celles-ci doivent être élaborées à partir d’une analyse de risque intégrant les facteurs majeurs précités qui contribuent au succès de transmission des agents infectieux respiratoires. C’est pourquoi de nouvelles recommandations sont en cours d’élaboration.
Méthodologie
Le champ des recommandations est celui de la prévention de la transmission respiratoire interhumaine. Notre groupe de travail a décidé de suivre la méthodologie de la Haute Autorité de santé (HAS) [2]. Cette méthode a été choisie car le thème à traiter est vaste et se décline en de nombreuses questions et sous-questions. La rédaction des recommandations repose sur un travail prolongé et le travail consiste à faire une synthèse de données multiples et dispersées et non pas à résoudre une controverse. Les recommandations seront cotées et une phase de relecture est prévue.
Importance de la ventilation
La qualité de la ventilation est définie par un certain nombre de critères synthétisés par le Code du travail, mais aussi à l’international par les CDC ou l’American Society of Heating, Refrigerating and Air-Conditioning Engineers4 (ASHRAE). On peut l’approcher de façon indirecte par la mesure du CO2 dans un local. En effet, le CO2 est une molécule produite par l’organisme humain au cours de la respiration. Sa concentration dans l’air intérieur des bâtiments peut être comprise entre 400 et 5 000 ppm environ. En l’absence de source de combustion, elle est liée à l’occupation humaine et au renouvellement de l’air. Le Haut Conseil de la santé publique a proposé, pendant l’épidémie de Covid-19, un seuil de qualité de 800 ppm. L’effet de la ventilation sur la transmission des pathologies respiratoires a été montré dans de nombreuses études. Une qualité de l’air dégradée accroît le risque de transmission respiratoire. Du et al. ont rapporté une diminution de 97% de l’incidence de la tuberculose chez les contacts (n=1 165) de patients porteurs d’une tuberculose pulmonaire (n=27) quand la concentration en CO2 était inférieure à 1 000 ppm [3]. Zhu et al. ont montré que le taux d’incidence de maladies respiratoires aiguës dans un bâtiment bien ventilé était de 0,70 personne-année vs 2,83 personnes-année dans un bâtiment mal ventilé, en prenant également comme marqueur de la qualité de ventilation le taux de CO2 mesuré respectivement à environ 1 200 ppm vs 2 500 ppm chez des étudiants d’un même campus universitaire, avec des caractéristiques épidémiologiques comparables en termes d’âge, de consommation de tabac, d’antécédent d’asthme, d’indice de masse corporelle et de statut vaccinal vis-à-vis de la grippe [4]. Dans une étude italienne de Buonanno et al., les clusters de Covid-19 dans 316 salles de classe avec ventilation mécanique contrôlée étaient 74% inférieurs à ceux survenus dans 125 salles de classe avec ventilation naturelle seule. Dans cette étude, le taux de renouvellement d’air par élève était mesuré pour évaluer la qualité de la ventilation (1,4-14 L/s vs <1 L/s par élève) et ces mesures tenaient compte de la province, du nombre d’élèves par classe et du type de classe [5]. La qualité de l’air intérieur d’un établissement de santé doit donc être connue et maîtrisée.
Facteurs physiologiques et infectieux qui influencent la transmission
Le type de micro-organisme intervient également dans la transmission respiratoire. La transmissibilité d’un virus est conditionnée par certains déterminants de composition et de structure, comme son enveloppe, sa capside, ses protéines ou son génome. Par exemple, la surface virale détermine l’affinité du virus pour un ou des récepteurs spécifiques de la cellule cible et va également conditionner la dose infectante. Plus l’affinité du virus pour sa cible est grande, moins la dose infectante est importante. La capside et la présence ou non d’une enveloppe jouent un rôle dans la stabilité et la persistance dans l’environnement. Les mêmes déterminants vont influencer la transmissibilité d’une bactérie. La capsule polyosidique conditionne sa capacité d’échappement au système immunitaire, comme c’est le cas pour le méningocoque et certaines souches ou clones qui ont un potentiel épidémique ou une virulence supérieurs (sérogroupe A, III-1 ; sérogroupe B, ET-5). Si l’on s’intéresse aux déterminants épidémiologiques d’un pathogène, le taux de reproduction de base ou le taux d’attaque, souvent utilisés pour apprécier la transmissibilité d’un agent infectieux, ne sont pourtant pas suffisants pour trancher en faveur d’un mode de transmission particulier (air ou gouttelettes notamment, comme c’était le cas quand le mode de transmission reposait sur cette dichotomie). À titre d’exemple, la tuberculose, essentiellement transmise par voie « aérienne », a un taux de reproduction de base (R0) moyen mesuré autour de 1,5, quand celui de Bordetella pertussis, agent de la coqueluche, plutôt considéré comme transmis par « gouttelettes », varie selon les études entre 15 et 17 [6]. Le taux d’attaque quant à lui est soumis à une incertitude de mesure de la susceptibilité des sujets contact, de la nature et de la durée du ou des contacts, et du stade de la maladie du sujet index, symptomatique ou non. Toutes ces raisons confortent la nécessité d’abandonner la classification simpliste de transmission gouttelettes ou air au profit de l’appréciation plus globale d’un risque de transmission. La transmission d’un pathogène par voie respiratoire dépend aussi de sa concentration dans le liquide biologique et, comme évoqué plus haut, de la dose infectante. Malheureusement la dose infectante n’est pas connue pour tous les pathogènes et surtout elle est évidemment conditionnée par l’affinité du pathogène pour le tissu concerné. Ainsi, dans une étude expérimentale, l’infection de sujets volontaires par l’inhalation de bioaérosols nécessitait une dose infectieuse moins importante de virus influenza ou d’adénovirus que de rhinovirus [7]. Dans une étude de Couch et al. avec du virus influenza, le risque de fièvre était plus important si le virus était inhalé que s’il était inoculé par voie intranasale [8]. D’autres déterminants, décrits par Leung, influencent la contagiosité, la susceptibilité et la transmission respiratoire, qu’ils concernent l’émetteur du pathogène (symptomatique ou non, immunité préexistante…), la susceptibilité de l’hôte (récepteurs spécifiques, immunité préexistante là encore) ou la transmission collective (comportements sociaux par exemple…) [9]. Compte tenu de ces éléments liés au pathogène, à l’émetteur et au récepteur, la transmissibilité par voie respiratoire peut être profondément modifiée. Par ailleurs, afin de déterminer les mesures de prévention nécessaires, la dangerosité de la maladie, notamment appréciée par sa mortalité, sa chronicité, l’existence d’un traitement, les conséquences sociales (coût, éviction, lourdeur du traitement…), les séquelles, doit être envisagée. Comme nous l’avons exposé, l’évaluation du risque lié au pathogène est capitale. Pour cette raison, nous proposerons dans ces recommandations une cotation de la « criticité » de l’agent infectieux reposant sur sa persistance dans l’air quand elle est connue, sa transmissibilité et sa dose infectante, et la dangerosité de la maladie telle que décrite ci-dessus.
Évaluation du risque et mesures de prévention en découlant
L’évaluation du risque de transmission respiratoire sera donc basée sur trois éléments particuliers : l’état de la ventilation, le pathogène concerné et la nature de l’exposition en contexte de soins. Ces trois éléments seront la porte d’entrée d’une matrice qui déterminera, en fonction du risque, les mesures individuelles, organisationnelles et collectives qui seront à prendre.
Conclusion
Le travail réalisé par le groupe de travail de la SF2H sur la transmission respiratoire arrive bientôt à sa phase de conclusion. Il a mobilisé un nombre important de professionnels de terrain et de scientifiques. Nous avons gardé à l’esprit la nécessaire applicabilité de nos recommandations, sans laquelle tout cet effort serait vain. Nous espérons susciter compréhension et adhésion de l’ensemble des professionnels auxquels elles sont destinées.
Notes :
1- Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (États-Unis).
2- Filtering facepiece, pièce faciale filtrante.
3- Coronavirus disease 2019, maladie à coronavirus 2019.
4- Société américaine des ingénieurs en chauffage, réfrigération et climatisation (États-Unis).