Contexte et objectif
Les infections nosocomiales (IN) constituent un problème majeur de santé publique en France, du fait de leurs coûts et de leurs conséquences parfois graves pour les patients [1]. Celles-ci touchent environ 1 patient hospitalisé sur 20 en France (5,1 % des patients en 2013) [2]. Staphylococcus aureus est le premier germe responsable des infections du site opératoire et des infections sur dispositifs invasifs [3]. Clostridium difficile est quant à lui responsable de diarrhées nosocomiales postantibiothérapie. La période postopératoire après pose de prothèse orthopédique est particulièrement propice au développement de ce type d’infections [4,5]. La prévalence des IN a beaucoup diminué au début des années 2000. Néanmoins, leur prise en charge reste un défi : apparition de bactéries résistantes aux antibiotiques, diffusion de clones épidémiques, etc. En France, les infections à S. aureus résistant à la méticilline (Sarm) représentent ainsi 30 % des infections à S. aureus [3].
Ces IN sont associées à un coût majeur pour la société. En 2002, le Haut Conseil de la santé publique estimait en effet le coût moyen des infections associées aux soins (IAS) en Europe à 760 millions d’euros par an [6]. Les IN sont de plus mal appréhendées par le public : si 66,9 % de la population déclare en avoir déjà entendu parler [7], seuls 26 % des patients parviennent à les définir [8], et 84 % des patients sont inquiets avant une hospitalisation vis-à-vis du risque d’infection lors de celle-ci [9].
Face à une prise en charge très coûteuse et à l’antibiorésistance croissante, de nouvelles stratégies de prévention sont en cours d’étude. Plusieurs laboratoires industriels développent ainsi des vaccins contre certains pathogènes impliqués dans les IN. Un essai vaccinal préventif est en cours de phase 2B pour S. aureus et un autre est en cours de phase 3 pour C. difficile [4].
En France, la population est de plus en plus défiante vis-à-vis des vaccinations, notamment avec des craintes quant à la sûreté vaccinale, comme en témoigne l’une des publications sur le global vaccine confidence project [10]. L’Organisation mondiale de la santé emploie désormais le concept d’hésitation vaccinale pour traduire cette défiance [11]. Plusieurs facteurs influencent la décision vaccinale : les données scientifiques connues, l’expérience préalable des patients, la perception de l’importance de la vaccination, la confiance et la perception des risques liés à la vaccination, le niveau socio-économique et les convictions morales et religieuses des patients [12,14]. Les rumeurs d’effets indésirables ont grandement desservi la vaccination : hépatite B et sclérose en plaques, autisme et vaccin rougeole-oreillons-rubéole (ROR) [15,16,17]. Cette hésitation vaccinale se traduit par une diminution des actes de vaccination dans les groupes hésitants [14] ; elle semble d’autant plus grande face aux vaccins encore à l’essai, avec la crainte d’apparition de nouveaux effets secondaires [18]. Dans ce contexte, les patients sont-ils prêts à accepter de nouveaux vaccins visant à réduire les IN ?
L’objectif de cette enquête était d’évaluer l’acceptabilité d’une vaccination anti-S. aureus et anti-C. difficileauprès de patients bénéficiant d’une chirurgie programmée, si ces vaccins étaient commercialisés et devenaient disponibles en pratique courante.
Population et méthode
Il s’agissait d’une étude qualitative par entretiens semi-dirigés et individuels, réalisée auprès des patients hospitalisés en chirurgie orthopédique au centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Étienne d’octobre 2016 à juin 2017, en vue de la pose d’une prothèse de première intention, et qui n’avaient ni antécédent préalable d’infection ostéo-articulaire sur matériel ni troubles cognitifs. Leur accord était recueilli et les entretiens étaient ensuite réalisés la veille de leur opération.
L’échantillonnage raisonné recherchait une variabilité maximale en matière d’âge, de milieu socioculturel, de sexe et de type de chirurgie.
Les entretiens ont été réalisés directement dans le service de chirurgie après l’accord du chef de ce dernier. Ils ont été réalisés en suivant un guide d’entretien (Annexe I), en étant enregistrés sur support numérique puis retranscrits intégralement en verbatim.
Le recueil des données a été réalisé d’octobre 2016 à juin 2017. L’étude a reçu l’accord du comité d’éthique du CHU de Saint-Étienne, le 29 juin 2016 sous le numéro IRBN412016/CHUST. La collecte des données a été effectuée par un seul chercheur (Lydia Fanget-Sagnes) et a été stoppée à saturation. L’analyse en triple codage aveugle (par Lydia Fanget-Sagnes, Rodolphe Charles et Élisabeth Botelho-Nevers) a été réalisée avec une posture ethnographique positiviste. Enfin, les résultats ont été retravaillés en équipe, au département de médecine générale de la faculté de médecine de Saint-Étienne.
Résultats
Les 14 patients interrogés (Tableau I) étaient âgés de 35 à 93 ans ; ils ont accepté volontiers l’entretien, certains d’entre eux s’avérant particulièrement intéressés et concernés.
S. aureus au centre des inquiétudes sur les infections nosocomiales
À la veille de leur opération, la crainte des IN ne semble pas être une inquiétude majeure pour les patients ; l’inquiétude principale étant la réussite de l’opération ou la rapidité de la rémission : « ce qui m’inquiète le plus, c’est le temps que je vais mettre à revenir à un usage normal du genou ! » (Gilles). Beaucoup ont consulté des sites internet, leur voisinage, ou leur médecin pour préparer leur opération, mais le risque d’IN n’est pas au cœur des inquiétudes.
Lorsqu’on l’évoque avec les patients, S. aureus1 rassemble toutes les préoccupations. Il semble être un germe qui puisse entraîner « des complications multiples et variées qui peuvent aller jusqu’au décès » (Paul). Ceux-ci ne semblent pas réellement connaître les mécanismes de contamination et ne pas vraiment s’en préoccuper. Une infection à S. aureus leur paraît difficilement curable : « il est particulièrement reconnu pour résister à beaucoup de choses » (Luc). De nombreux patients évoquent l’idée d’un germe « qui peut s’endormir et se réveiller »(Gilles). Ils semblent le relier uniquement à l’environnement hospitalier, par exemple pour Philippe : « il s’attrape à l’hôpital, pas chez soi ».
Les infections à C. difficile ne sont pas connues des patients. Pour un seul d’entre eux, l’évocation de ce germe semble rappeler quelque chose de vaguement connu : « Oui, ce nom, je l’ai déjà lu quelque part, mais je ne saurais pas dire ce que c’est. » (Luc).
La lutte contre les infections nosocomiales : un problème du personnel hospitalier
Les patients ont confiance dans les professionnels de santé qui s’occupent d’eux et dans les mesures mises en place pour éviter les IN. Ils s’octroient un rôle très limité dans la prévention. Ils citent péniblement, après stimulation de l’enquêtrice qui leur demande de se remémorer ce qu’ils ont fait avant d’arriver dans le service, la douche à la Bétadine® et le rasage. Cependant, plusieurs patients nuancent l’utilité de celle-ci. Pour Marie-Andrée, la Bétadine® est « superflue : je suis très “douche”, pas besoin de la Bétadine®. ». Très peu semblent se souvenir spontanément des informations tant sur les risques infectieux que sur les mesures préventives fournies par le chirurgien ou son équipe.
La responsabilité de la lutte contre les IN revient alors exclusivement à l’hôpital. La confiance des patients en l’hôpital — « je me fie à tout ce qui se dit sur le CHU de Saint Étienne, il n’y a que de bonnes choses »(Roger) — est contrebalancée par l’impression qu’il existe « des établissements qui sont mieux contrôlés que d’autres » (Mathieu). Certains patients, plus directs, mettent immédiatement en cause le personnel hospitalier et les mesures d’hygiène qui devraient être mises en place. Finalement, pour certains, « il ne devrait pas y avoir des maladies nosocomiales » (Marc), l’hôpital devant être un lieu stérile où les infections n’auraient pas le droit de cité.
Une partie des patients garde toutefois une crainte du risque d’IN : « le risque zéro n’existe pas » (Paul). La plupart des patients identifient des groupes plus à risque, mais s’interrogent sur la provenance du germe : « Ce que j’ai appris, c’est qu’une personne qui a une prothèse est plus sujette à avoir un développement de bactéries. Est-ce que c’est l’hôpital ? Est-ce que la bactérie, elle l’avait sur elle ? » (Luc).
Hésitation vaccinale
Beaucoup de patients gardent une confiance globale dans la vaccination, considérée comme sûre et apportant une sécurité supplémentaire : « c’est un petit peu comme prendre une assurance » (Marc). Cependant, à ces patients confiants s’opposent d’autres patients, plus méfiants. « Il y a plus de risques à être vacciné parfois, qu’à ne pas l’être. » (Antonio). Cette méfiance semble être en partie basée sur une connaissance partielle du mécanisme vaccinal : « on vous injecte le mal pour que votre corps fabrique des anticorps » (Geneviève). Certains patients sélectionnent les vaccins en fonction de l’utilité ressentie : « je ne suis pas contre les vaccins si on me prouve leur utilité » (Geneviève).
L’exemple de la vaccination antigrippale illustre bien cette adhésion variable des patients à la vaccination ; les raisons du refus de se faire vacciner sont l’absence de perception du risque de la grippe : « j’ai un état de santé qui est très bon alors une grippe… » (Paul) ou les confusions suite à la polémique vis-à-vis du vaccin AH1N1. La crainte de la vaccination reste difficilement formulable par les patients. Marc, qui ne se fait plus vacciner depuis cette polémique, conclut : « je ne sais pas quoi, il y avait quelque chose, quoi, ils ont eu des problèmes »sans savoir véritablement expliciter sa crainte. L’efficacité du vaccin est aussi mise en cause par certains patients : « les gens qui ont le vaccin de la grippe, ils attrapent aussi la grippe » (Philippe). D’autres cherchent des alternatives : « je trouve que l’homéopathie ne me réussit pas trop mal pour la grippe » (Marie).
Face à la nouveauté, la crainte s’amplifie
Les vaccinations prévenant les IN sont jugées globalement utiles par les patients, compte tenu de la dangerosité perçue de l’infection à S. aureus. Un patient s’inquiète de savoir si ce type de vaccination provoquera un relâchement des mesures d’hygiène : « c’est un peu facile d’être moins vigilant et de dire : “vous savez, vous vous faites vacciner et puis c’est bon !” » (Marc).
Les patients sont plus partagés quand il s’agit de passer à l’acte vaccinal ; ils évoquent alors des réticences quant à leur sécurité : « un vaccin qui ne serait pas contaminant ? » (Antonio), sur le caractère récent du vaccin et le risque de voir émerger plus tard des effets secondaires : « lorsqu’il sort sur le marché on ne sait pas vraiment les effets » (Irène). Finalement, les moins hésitants pourraient franchir le cap indistinctement pour le vaccin anti-S. aureus ou anti-C. difficile si le bénéfice pour eux était important : « si on me dit : “vous êtes plus à risque pour telle et telle raison” » (Geneviève).
La participation à un essai vaccinal se heurte à ces mêmes inquiétudes, auxquelles s’ajoutent les polémiques sur les essais thérapeutiques : « avec ce qui s’est passé il n’y a pas longtemps2, je ne sais plus si c’était un vaccin ou un traitement, dans un laboratoire où il y a eu je ne sais plus exactement ce que c’était, vous le savez certainement mieux que moi. Il y a eu des morts voilà. Autant il y a quelques années, j’aurais bien voulu faire le cobaye autant maintenant, vu mon âge, ça ne vaut plus bien le coup… » (Gilles). Certains patients, plus méfiants face à un vaccin nouveau, seraient paradoxalement prêts à participer à une étude « par altruisme » (Antonio), « pour essayer de savoir si ça pourrait sauver des vies » (Marie-Andrée).
Finalement, même si la plupart se fient en partie aux recommandations de leur médecin traitant, les patients veulent pouvoir choisir de manière éclairée les vaccinations dont ils ont besoin : « Ma santé, c’est moi ! J’ai besoin d’un généraliste, mais moi je la prends en charge » (Luc).
Discussion
Les patients interrogés semblent difficilement prêts à accepter une vaccination visant à prévenir les IN, qu’ils perçoivent soit comme un aléa thérapeutique, soit comme une erreur venant des équipes hospitalières. La part de l’engagement du patient est perçue comme anecdotique, d’autant que douche et rasage leur paraissent superflus dans un contexte d’hygiène quotidienne correcte. Les freins à l’acceptation de ces vaccinations qui pourraient venir sont nombreux.
Une méconnaissance du risque infectieux
Notre enquête montre que les patients interrogés ne disposent que de connaissances très vagues sur les IN. Les informations, reçues de la part du chirurgien, perçues comme succinctes laissent les patients ignorants des mécanismes de contamination et des conséquences d’une IN. La plupart de leurs informations proviennent de la presse grand public, de leur voisinage ou de leur famille. La gravité des IN est repérée par les patients interrogés. Il n’a pas été possible de savoir, en l’absence d’observation des consultations chirurgicales, si l’information avait été délivrée timidement par crainte d’effrayer les patients ou si un mécanisme de refoulement avait effacé ces messages de leur mémoire. Plusieurs études affirment que seuls un tiers des usagers semblent en mesure d’identifier les IN comme une infection se contractant à l’hôpital [7,19]. Cette méconnaissance des mécanismes de contamination complique l’intégration du processus vaccinal dans un schéma de protection individuelle et collective.
Dans notre enquête, nous retrouvons une relative crainte des IN, notamment vis-à-vis de S. aureus, mais les patients se rassurent souvent en estimant que les infections à ce germe concernent surtout les autres ou d’autres établissements. Les maladies infectieuses semblent mal appréhendées par les patients. Lorsqu’on leur demande ce qu’ils redoutent le plus pour eux ou pour leur famille, seuls 26 % citent les maladies infectieuses, loin derrière les cancers, les maladies neurologiques ou les maladies cardiovasculaires [20]. Dans une même mesure, les patients de notre enquête redoutent plus les suites chirurgicales ou une erreur médicale qu’une IN.
Hésitation vaccinale globale
Nous retrouvons dans cette enquête toutes les craintes sociétales vis-à-vis de la vaccination. Selon l’âge ou les contextes de vie, les polémiques vaccinales ont plus ou moins impacté les personnes sondées. La population de notre étude, relativement âgée, se sent très concernée par les polémiques concernant la vaccination antigrippale. Ces inquiétudes envers le vaccin de la grippe entraînent un questionnement plus global sur l’acte vaccinal. En 2010, une crise de confiance, suite à la vaccination antigrippe AH1N1, a été observée par l’enquête Baromètre santé de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé. Si en 2002 et 2005, près de 44 % des sondés se disaient très favorables à la vaccination, ils ne sont plus que 15 % en 2010 au lendemain de la gestion de l’épidémie [21-23]. La principale inquiétude qui ressort à l’égard de la vaccination reste la crainte d’une complication. Celle-ci a été alimentée par des polémiques et la mauvaise gestion des crises vaccinales (hépatite B ou grippe AH1N1) [24], durant lesquelles les professionnels de santé ont dénoncé leur isolement face aux questionnements des patients [25]. Les campagnes récentes de vaccination, mises en place par les pouvoirs publics et basées sur la crainte de l’infection, n’ont pas permis d’éclairer les patients, du fait du rejet qu’elles ont suscité au sein de la population [26].
Une méfiance autour de la recherche
Dans ce contexte de défiance vis-à-vis de la vaccination et de manque d’information concernant le risque nosocomial, de nouvelles vaccinations semblent, dans notre enquête, difficilement acceptées par les patients. Lors d’une étude en 2004, 55 % des personnes interrogées trouvaient angoissante l’idée de se faire vacciner par un nouveau vaccin, même soigneusement testé, et 22 % des personnes interrogées exprimaient des doutes sur les mesures de sécurité mises en place lors de l’élaboration des vaccins [27]. À cette crainte liée à la sécurité de ces derniers, viennent s’ajouter les barrières liées aux essais vaccinaux. Notre enquête montre ainsi que la participation à un essai vaccinal est liée à la perception du risque d’infection ; et elle corrobore les résultats de celle de Detoc et al., qui montrent la difficulté pour les patients de percevoir l’utilité d’un acte préventif [18].
Notre enquête fait aussi ressortir l’opposition que les patients établissent entre les vaccins obligatoires et les vaccins recommandés, déjà retrouvée lors de la concertation citoyenne sur la vaccination [25]. Nous pouvons nous demander si l’élargissement de l’obligation vaccinale depuis le 1er janvier 2018 ne va pas engendrer une augmentation de la remise en question des autres vaccinations, et notamment de potentielles nouvelles d’entre elles (a fortiori au stade de l’essai) qui ne bénéficieraient pas du caractère obligatoire [28].
Perspectives
Notre enquête confirme le manque d’information des patients vis-à-vis des IN et de leur prévention, pouvant compromettre l’acceptation de nouvelles stratégies pour cela telles que les vaccins. Une meilleure adhésion de la population à la vaccination ne peut passer que par un approfondissement de ses connaissances sur les processus infectieux et sur l’acte vaccinal [29]. Il semble dès lors indispensable que pouvoirs publics et médecins prennent en main de manière active l’éducation des patients qui, faute d’informations officielles, se tournent vers les médias et internet où ils trouvent des données contradictoires. Il a ainsi été montré que les recherches sur internet par les patients entraînent une augmentation de leur méfiance envers la vaccination [22]. Nous pouvons nous demander si, face au questionnement que soulèvent ces potentielles nouvelles vaccinations, le corps médical disposera des habiletés relationnelles nécessaires à l’information des patients. Les chirurgiens pourront-ils inclure ces étapes d’éducation et d’information dans leur consultation ? Faudra-t-il trouver des partenaires plus entraînés à l’éducation thérapeutique du patient ? La check-list préopératoire devra-t-elle débuter plus tôt pour ajouter l’option ou l’obligation vaccinale ? Existe-t-il des objecteurs à la douche antiseptique ? Autant de questions auxquelles il faudrait répondre afin d’augmenter l’acceptabilité des potentielles vaccinations anti-S. aureus et anti-C. difficile.
Notes: