Sûrement, vous l’aurez vu en librairie avec son titre effrayant : Vive les microbes ! Vous avez dû rester prudemment à distance. Je comprends. Un titre pareil ! Une apologie du danger et du sale. Ça fait mal aux hygiénistes qui s’acharnent avec courage et dévouement à maîtriser les risques infectieux, dans les hôpitaux et ailleurs. Depuis si longtemps. Avec tant de succès !
J’étais quand même étonné. D’autant que j’avais apprécié ce que l’autrice avait publié sur Monsanto, sur le Roundup, sur les pandémies… Toujours sérieux et bien documenté, je dois dire. Alors s’agit-il cette fois d’une dérive à visée médiatique, d’une remise en cause vigoureuse de nos pratiques, de notre surveillance attentive des infections, de nos efforts continus pour mettre en place les pratiques de sécurité les mieux établies, d’un soupçon d’hyper-hygiénisme comme on le devine quelquefois dans le regard de soignants négligents…
Eh bien, pas du tout ! L’ouvrage est bien construit et bien documenté auprès de sources sérieuses en Finlande, en Allemagne, aux Pays-Bas, en France et ailleurs. Il aura demandé quatre années de travail. De quoi s’agit-il ? De faire le point sur certaines observations convaincantes, puis sur des recherches épidémiologiques solides : elles montrent les effets sanitaires majeurs de l’effondrement de la biodiversité microbienne chez l’homme, observé parfois aussi chez les animaux et dans l’environnement. Avec à la clé, des évidences qui lient cet effondrement microbien au développement de l’asthme, des pathologies inflammatoires chroniques, de l’obésité, du diabète et peut-être d’autres pathologies chroniques et cancers. Ce sont justement les enjeux sanitaires majeurs de notre monde contemporain, riche, industrialisé et… propre.
D’où vient cet effondrement de la biodiversité microbienne chez l’humain « des temps modernes » ? Selon l’autrice et ses contacts, il y a au moins deux pistes solides. D’abord l’aseptisation de la vie quotidienne. Celle des enfants avant tout : ils naissent par césarienne ce qui est bien sûr plus propre et confortable, ils sont bichonnés et récurés comme des bêtes de concours, ils ne vont plus faire des bêtises dans la cour des fermes, ils fréquentent des écoles bétonnées et ripolinées, ils peuvent être amenés à vivre très seuls dans leur famille et ne pas enrichir leur microbiome au contact des autres, etc. Pour les adultes, c’est la même chose même si la richesse du microbiome se construit d’abord dans l’enfance.
La diffusion de l’antibiothérapie depuis 80 ans et sa surconsommation depuis au moins 40 ans sont une autre source de l’effondrement de la richesse des microbiomes humains. Avec nos collègues infectiologues et microbiologistes, les hygiénistes mènent le combat pour réduire les excès de prescription. Avec un succès encore limité, il faut le reconnaître. Exemple : après deux années de hausse des prescriptions, la baisse constatée en 2023 est bienvenue mais modérée : -0,2% par rapport à 2022. Et la France demeure le 5 pays le plus consommateur d’antibiotiques en Europe selon Santé publique France. Des efforts massifs doivent être faits pour réduire l’antibiorésistance et en même temps pour préserver les microbiomes humains. Double défi !
Et les microbes, dans tout ça ? C’est vrai qu’ils ont bien mauvaise réputation : maladies, souffrances, épidémies… Mais soyons objectifs : ce sont aussi des amis fidèles. Ils sont nombreux : leur nombre est pratiquement infini (des quintillions). Un gramme de terre contient plus de 100 000 espèces microbiennes. Et notre corps des millions. Surtout, on les connaît mieux maintenant : on sait qu’ils sont indispensables à la vie et nous protègent contre une minorité de délinquants microbiens qui ne respectent rien. C’est notre première ligne de défense. Pour cela ils doivent être nombreux, variés, en bonne santé. En plus ils sont à l’origine de la vie sur terre : ça commande le respect…
Les leçons de l’ouvrage concernent d’abord la vie sociale, la relation avec la nature, entre les humains et avec les animaux… Pour une santé publique écologique donc. C’est une évolution qui n’est pas facile et va prendre du temps. Pour nous, professionnels qui sommes au cœur de la gestion du risque infectieux, il y a aussi des pistes de réflexions à avoir sur la protection ou la restauration du microbiome de nos patients, et sur l’élimination ciblée des intrus microbiens malfaisants par immunité adaptative sur le modèle de la vaccination. Enfin, je m’avance peut-être… L’avenir le dira.