Les dispositifs médicaux (DM) constituent une catégorie de produits de santé extrêmement diversifiée, tant sur un plan qualitatif que quantitatif, dont la production industrielle et la commercialisation reposent sur un socle normatif et réglementaire conséquent. Lorsqu’un DM est destiné à un usage individuel, c’est-à-dire d’usage propre à un patient, par opposition à un DM d’usage collectif comme un équipement biomédical, des mentions réglementaires sont apposées sur l’étiquetage du DM en lien avec le nombre d’utilisations possibles d’un même DM. Le pictogramme « deux barré à l’intérieur d’un cercle » signifie qu’un DM est à usage unique (DMUU), c’est-à-dire qu’il ne peut être utilisé qu’une seule fois, autrement dit qu’il doit ne pas être réutilisé.
Émergence des DMUU dans les hôpitaux
La période d’introduction des DMUU dans les hôpitaux est difficile à documenter. Selon le site d’un fabricant français1, le matériel médical à usage unique a été inventé dans les années 1960, face à la complexité croissante des activités de stérilisation. Cette évolution a été facilitée par l’apparition d’un matériau révolutionnaire, le plastique, dans la conception des DM. À partir des années 1970, l’essor des organisations et programmes de lutte contre les infections nosocomiales2, associé à une prise de conscience du risque de transmission lié à la réutilisation de DM, a favorisé une adoption massive des DMUU. Par ailleurs, les progrès technologiques ont conduit à la production de DM de plus en plus sophistiqués, mais souvent trop fragiles pour supporter un processus complet de stérilisation à la vapeur d’eau. Cette transition a concerné non seulement des DM nouvellement commercialisés, mais également, et à la surprise de bon nombre d’utilisateurs, des DM déjà existants dont certains ont pu passer d’un statut implicite de DM restérilisable, à celui de DMUU, et cela malgré possiblement l’absence de modifications tant dans la composition du DM que dans le processus de fabrication.
Qui décide de la désignation de DMUU et pourquoi ?
Concernant la première partie de la question, la réponse est simple : il s’agit d’une décision prise par le seul fabricant du DM. Si cette désignation est choisie, elle doit figurer dans la documentation technique du fabricant pour le DM concerné. Dans la section relative à la gestion des risques, le fabricant devra alors « exposer en détail les caractéristiques et facteurs techniques connus du fabricant susceptibles d’engendrer un risque en cas de réutilisation »3. Conformément aux exigences générales en matière de sécurité et de performances, le fabricant devra enfin rapporter les informations sur ces risques dans la notice d’utilisation.
Ces éléments réglementaires répondent en théorie à la partie de la question sur le « pourquoi ? », puisqu’en justifiant du risque associé à une réutilisation du DM, indirectement le fabricant justifie son choix de désignation de DMUU. À côté du risque « technique » du dispositif usagé, les potentielles interactions entre les substances chimiques contenues dans les nettoyants, les désinfectants, utilisés pour le traitement des DM réutilisables, et les matériaux complexes plastiques, telle l’adsorption à la surface des DM, soutiennent le choix du statut d’usage unique d’un DM. Les techniques de stérilisation basse température, dont les rayonnements, sont pour la plupart non utilisables en milieu hospitalier.
En examinant quelques notices d’utilisation de DMUU, on retrouve dans la rubrique « Avertissements et précautions » des informations en rapport avec le risque de réutilisation. Citons un « risque d’infection, blessure et/ou maladie » pour un introducteur vasculaire, un « risque de contamination microbienne et de perte de performance » pour un pansement hémostatique, ou encore un « risque d’infection pour un patient ou un utilisateur, un risque d’atteinte de l’intégrité structurale pouvant conduire à une altération du dispositif et par voie de conséquence à une blessure voire le décès d’un patient » pour un cathéter veineux central.
La documentation technique des DM n’étant pas disponible dans le domaine public, il n’est pas possible de connaître le niveau de détails apportés par les fabricants en rapport avec la justification de ces risques, en particulier si des tests ont été effectivement conduits pour notamment objectiver l’altération technique des DM en cas d’usage multiple. Toujours est-il que les notices d’utilisation mentionnent des informations plus ou moins précises en rapport avec ces risques, parmi lesquels le risque infectieux semble fréquemment mis en avant. En particulier les dispositifs médicaux critiques (selon la classification de Spaulding), présentant un profil géométrique particulier, comme des tubulures étroites, peuvent présenter un risque infectieux lors d’une réutilisation. À la lecture de la notice d’un cathéter de diagnostic en électrophysiologie, la rubrique « Avertissement » va plus loin que la seule évocation du risque associé à la réutilisation puisqu’il est fait référence à une notion de retraitement.
Qu’est-ce que le retraitement des DMUU et est-il autorisé ?
Le retraitement d’un DMUU traduit une pratique qui s’est développée dans certains pays tels que l’Allemagne, ou les Pays-Bas, à la fin des années quatre-vingt-dix. Le contexte associé était globalement la remise en cause du modèle « tout jetable » notamment du fait de l’augmentation des prix des DM, mais aussi de l’augmentation de la quantité de déchets, emballages, plastiques suggérant un impact environnemental significatif. Les cathéters de diagnostic en électrophysiologie représentent l’exemple le plus connu de DMUU pouvant bénéficier d’un retraitement en vue d’une réutilisation. Le retraitement de DMUU est une réponse pragmatique au constat que, bien que le fabricant d’origine d’un dispositif ait pris la responsabilité de désigner son DM comme étant à usage unique, il est en réalité possible pour un certain nombre d’entre eux de proposer un procédé, incluant plusieurs étapes bien codifiées, permettant in fine une réutilisation sûre du DM. Sur un plan pratique, le retraitement peut être réalisé soit, et de façon prépondérante, par le biais d’entreprises spécialisées en reprocessing, soit, et de façon plus marginale, par les établissements de santé, à l’instar du retraitement traditionnel des DM à usage multiple.
Pendant des années, le retraitement des DMUU, appelé « reprocessing of single-use devices » en anglais, a été encadré par des réglementations nationales autorisant cette pratique, ou bien l’interdisant, tel que cela a été observé en France, mais il n’existait aucune disposition applicable à l’échelon européen. Avec la publication du nouveau règlement européen sur les DM, dit « MDR », en 2017, la Commission européenne a souhaité introduire dans la réglementation un article pour encadrer le retraitement des DMUU. Une définition officielle y a été apportée, éclairant le fait que le retraitement n’est pas qu’une « simple restérilisation d’un DM usagé », puisque le MDR précise qu’il s’agit d’un « procédé dont fait l’objet un dispositif usagé pour en permettre une réutilisation sûre, y compris le nettoyage, la désinfection, la stérilisation et les procédures connexes, ainsi que l’essai du dispositif usagé et le rétablissement de ses caractéristiques techniques et fonctionnelles en matière de sécurité. »
Parmi les chemins réglementaires possibles pour la mise à disposition d’un DMUU retraité, l’un d’entre eux consiste dans le fait que l’entreprise qui procède au retraitement devient le fabricant du dispositif retraité, que ce fabricant doit démontrer la conformité du dispositif aux exigences essentielles du règlement, lui permettant in fine d’apposer un marquage CE, et que ce dernier est considéré comme un producteur responsable des produits défectueux. À l’image de la principale entreprise, basée en Allemagne, spécialisée dans le domaine au niveau européen, on comprend donc que le retraitement des DMUU s’appuie sur un processus de dimension industrielle, engageant la responsabilité du fabricant, et qui devrait apporter toutes les garanties de sécurité pour les utilisateurs et les patients qui en seront les bénéficiaires.
La situation en France : vers une autorisation ?
Bien que le MDR, du fait de sa nature réglementaire, ait vocation à s’appliquer in extenso dans chaque État membre, l’article du MDR faisant référence au retraitement spécifie explicitement que cette « pratique n’est possible dans un état que si la législation du pays l’autorise ».
Jusqu’à ce jour, le retraitement des DMUU a été interdit en France. Sous l’impulsion de différentes organisations professionnelles et hospitalières, d’une prise de conscience de nombreux professionnels de santé, mais également de travaux scientifiques suggérant comment l’empreinte carbone de certains actes médicaux pourrait être réduite avec le reprocessing4, la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) 2024 a proposé le principe d’une phase pilote visant à expérimenter le retraitement des DMUU en France. À la date de décembre 2024, le décret d’application est encore attendu.
Il s’agit d’une avancée considérable visant à terme, et selon les résultats qui seront objectivés, à introduire de façon pérenne la possibilité de réutiliser des DMUU qui auront été retraités selon un processus industriel très encadré.
Le retraitement des DMUU ne doit pas décrédibiliser la désignation « d’usage unique » dont le respect est le garant de la sécurité d’utilisation de bon nombre de DM.
C’est d’autant plus important que le retraitement n’est pas la solution miracle qui réglera 100% des problèmes de rupture d’approvisionnement que les hôpitaux rencontrent5, ni qui rendra l’industrie du DM 100% propre. Entre le « tout à usage unique » et le « tout restérilisable », le retraitement de DMUU bien ciblés pourrait ainsi représenter une voie intermédiaire en conciliant pragmatisme, durabilité environnementale et sécurité des patients. Sachons l’explorer.
Notes :
1- Vygon France. Histoire d’un succès [Internet]. Accessible à : https://fr.vygon.com/fr/groupe-vygon/histoire-dun-succes (Consulté le 15-11-2024).
2- Divya Gautam, Ruby Sahney. Reprocessing and reuse of single use medical devices and the role of interprofessional collaboration: A literature review. Current Medicine Research and Practice. 2020;10(2):70-74. Doi : 10.1016/j.cmrp.2020.03.001..
3- Règlement (UE) 2017/745 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux, modifiant la directive 2001/83/CE, le règlement (CE) n° 178/2002 et le règlement (CE) n° 1223/2009 et abrogeant les directives du Conseil 90/385/CEE et 93/42/CEE (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE. JO L 117 du 5.5.2017. Accessible à : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32017R0745 (Consulté le 15-11-2024).
4- Ditac G, Cottinet PJ, Quyen Le M, et al. Carbon footprint of atrial fibrillation catheter ablation. Europace. 2023;25(2):331-340. Doi: 10.1093/europace/euac160.
5- Sayin H, Gaillard C, Henry A, Cabelguenne D, Armoiry X. Impact du nouveau règlement européen 2017/745 relatif aux dispositifs médicaux sur l’activité des pharmacies hospitalières : exemple de la fonction d’approvisionnement pharmaceutique au sein d’un centre hospitalo-universitaire français. Ann Pharm Fr. 2022;80(5):730-737. Doi: 10.1016/j.pharma.2021.12.007.