Le centre national de référence (CNR) des bactéries anaérobies et du botulisme (Institut Pasteur) s’appuie sur un laboratoire associé dans le cadre de ses missions relatives à Clostridioides difficile. Il fait partie d’un réseau national de 43 CNR et est désigné par le ministère de la Santé sur recommandation de Santé publique France pour assurer la surveillance microbiologique des infections à bactéries anaérobies et du botulisme humain.
Qui sommes-nous ?
Le laboratoire associé C. difficile (CNR C. difficile) est situé à l’hôpital Saint-Antoine de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Il se trouve à proximité des laboratoires de bactériologie et de microbiologie de l’environnement avec lesquels certains équipements et locaux sont mutualisés. Le personnel du CNR C. difficile comprend des techniciens et des ingénieurs dédiés, ainsi que des biologistes dont les activités sont partagées avec d’autres laboratoires et équipes de recherche universitaires.
Quelles sont nos missions ?
Les principales missions du CNR C. difficile comprennent l’expertise, la surveillance, l’alerte et le conseil.
Expertise
Le CNR C. difficile est chargé du typage et de la caractérisation des souches de C. difficile provenant de l’ensemble du territoire national. Ces souches sont isolées des cas d’infection qui ont fait l’objet d’un signalement aux autorités sanitaires, c’est-à-dire des formes sévères et des cas groupés. Les souches reçues sont typées par la technique du PCR1-ribotypage (technique de référence en Europe) et caractérisées par la recherche par PCR multiplex des gènes codant les facteurs de virulence (toxines A et B, toxine binaire, délétion dans le gène régulateur tcdC2). Un antibiogramme est également systématiquement réalisé. De plus en plus de laboratoires envoient des souches de C. difficile pour confirmation du PCR-ribotype 027 lorsque leurs résultats d’analyse entraînent une suspicion d’identification de cette souche hypervirulente. Certains laboratoires envoient également des souches ou des selles ayant entraîné des résultats discordants entre les différentes techniques utilisées pour le diagnostic.
La participation à un contrôle de qualité externe européen permet de valider les techniques de typage employées par le CNR C. difficile. Chaque année, un échange de trois souches est organisé avec le CNR C. difficile de Belgique. Ces souches « contrôles » sont caractérisées par PCR-ribotypage et PCR multiplex virulence, ainsi que par une technique de typage complémentaire plus discriminante, le MLVA3, utilisée notamment lors de l’investigation d’épidémies dues à des souches de même PCR-ribotype.
Des collections de matériel biologique sont conservées par le CNR C. difficile ; elles comprennent toutes les souches expertisées (souchothèque) ainsi que des prélèvements de selles destinés à être utilisés lors de différentes études (fécalothèque).
Le CNR C. difficile est également chargé de la validation de tests permettant de poser le diagnostic d’infection à C. difficile conformément aux recommandations de la Société européenne de microbiologie et d’infectiologie (ESCMID), notamment des techniques de biologie moléculaire ou des tests immuno-enzymatiques. Ces recommandations préconisent d’employer un algorithme en deux temps et de rechercher les toxines libres dans les selles. Les tests immuno-enzymatiques sont largement utilisés par les laboratoires de bactériologie médicale en raison de leur simplicité et leur très bonne sensibilité. En 2023, le CNR C. difficile a été sollicité afin de déterminer les performances de douze tests immuno-enzymatiques détectant la GDH (glutamate déshydrogénase, enzyme présente chez toutes les souches de C. difficile) seule ou en association avec les toxines libres. Cette évaluation a eu lieu dans le cadre du renouvellement de l’appel d’offres des hôpitaux de l’AP-HP. Les douze tests ont été réalisés simultanément sur 99 prélèvements de selles, comprenant 84 selles positives en culture (dont 46 positives pour les toxines libres) et 15 selles négatives, avec une lecture indépendante par deux techniciennes. Les différents tests ont montré une sensibilité et une spécificité élevées pour détecter la GDH. Cependant, les performances pour la détection des toxines étaient très variables selon les tests et allaient de 19% à 81%.
Surveillance
Le CNR C. difficile assure une surveillance de l’évolution épidémiologique des infections à C. difficile (ICD). Les résultats de typage bactérien sont enregistrés sur un site web sécurisé, consultable dans sa totalité par Santé publique France, et par les agences régionales de santé (ARS) (accès restreint aux données de leur territoire). La souche épidémique 027, responsable de cas groupés de formes sévères, fait l’objet d’une attention particulière. Majoritaire dans les années 2000, elle représente actuellement moins de 5% des souches reçues par le CNR. D’autres PCR-ribotypes peuvent cependant émerger, comme le PCR-ribotype 638 qui représentait moins de 1% des souches reçues par le CNR avant 2022, 2,2% des souches reçues en 2022 et 4,2% des souches reçues en 2023. Ce PCR-ribotype émergent est en cours de caractérisation par séquençage du génome entier (whole-genome sequencing [WGS]) .
Les missions de surveillance du CNR C. difficile incluent également la résistance aux anti-infectieux. Le pourcentage de résistance des souches reçues à différents antibiotiques d’intérêt (notamment érythromycine, moxifloxacine, vancomycine, métronidazole) est déterminé chaque année. En 2023, le CNR a décrit une souche de C. difficile résistante à la fidaxomicine, un antibiotique utilisé en première ligne dans le traitement des ICD [1]. Cette résistance n’avait auparavant été qu’exceptionnellement décrite chez C. difficile. La souche a été isolée chez un patient de 39 ans ayant souffert de trois épisodes d’ICD en trois mois, le premier épisode ayant été traité par dix jours de fidaxomicine. Les isolats responsables des épisodes successifs ont été caractérisés par des analyses phénotypiques (sensibilité aux antibiotiques, croissance, sporulation, production de toxines) et par WGS pour rechercher la clonalité et les déterminants génétiques responsables de cette résistance. Les résultats ont montré que la résistance à la fidaxomicine était absente chez la souche responsable du premier épisode (concentration minimale inhibitrice [CMI] à 0,063 mg/L), et présente chez les deux souches suivantes (CMI à 16 mg/L). Cette résistance était associée à une mutation présente dans le gène rpoB4 codant l’ARN polymérase, cible de la fidaxomicine. Les souches résistantes étaient caractérisées par une moins bonne capacité de croissance, de sporulation et de production de toxines. La comparaison des génomes des trois souches isolées des épisodes d’ICD successifs a montré un lien génétique étroit entre elles. Ces résultats suggèrent que, bien que cette résistance ait été rarement décrite dans la littérature, elle peut émerger rapidement in vivo suite à une seule ligne de traitement par fidaxomicine. De façon prospective, Le CNR évalue désormais en routine la sensibilité à cet antibiotique de toutes les souches de C. difficile reçues.
Le CNR contribue aux réseaux de surveillance nationaux et internationaux, en particulier européens (ECDC5) pour les ICD. Les membres du CNR participent activement aux enquêtes ou études de surveillance. On peut notamment citer l’étude COMBACTE-CDI6 [2], une étude dont les objectifs étaient de connaître le poids des ICD en Europe, leurs facteurs de risque, les modalités de traitement, l’évolution clinique des patients infectés et les méthodes diagnostiques utilisées par les laboratoires, ou encore l’étude Clocidia qui a évalué l’incidence des ICD prises en charge en ville et à l’hôpital de 2015 à 2019 [3]. Cette dernière a montré que les formes communautaires d’ICD étaient en augmentation en France et qu’elles étaient devenues aussi nombreuses que les ICD diagnostiquées chez des patients hospitalisés. L’approche One Health (concept « une seule santé » selon lequel les santés humaine, animale et environnementale sont étroitement liées et interdépendantes) est au cœur des projets de recherche dans lesquels le CNR est impliqué. Un des projets en cours en 2024, ANR Clost’Abat (Olivier Firmesse), vise à caractériser pour la première fois les dangers de Clostridium perfringens et Clostridioides difficile dans les filières bovine, porcine et volaille. Des prélèvements de fèces, de carcasses, de produits de découpe et d’environnement ont été réalisés dans des abattoirs correspondant à ces trois filières, et mis en culture pour rechercher C. perfringens et C. difficile. Le CNR est chargé de la caractérisation des souches de C. difficile qui ont été mises en évidence dans ces prélèvements. D’autres projets concernent la physiopathologie de la colonisation ou de l’infection par C. difficile chez l’animal (projet CloDifEqui, Isabelle Poquet), ou encore la prévalence de cette bactérie pathogène dans les aliments impliqués dans des toxi-infections alimentaires collectives et dans différents réservoirs animaux (projet Difalibo, en lien avec Olivier Firmesse et Caroline Le Maréchal).
Alerte
Les missions du CNR C. difficile comprennent le signalement de tout phénomène inhabituel ou émergent à Santé publique France (augmentation du nombre de cas, survenue de cas groupés, nouveaux modes de transmission…). Par exemple, l’isolement d’une souche de PCR-ribotype 027 épidémique (résistante à l’érythromycine et à la moxifloxacine) dans une nouvelle région fait l’objet d’un signalement systématique.
Le CNR C. difficile est chargé de l’investigation de cas groupés. En 2019, nous avons décrit la première épidémie d’ICD dues au PCR-ribotype 018, un PCR-ribotype peu fréquent en France mais dont la prévalence est élevée en Italie [4]. Cette épidémie s’est produite dans quatre unités de gériatrie d’un hôpital universitaire de Strasbourg. Sur les 38 cas d’ICD, 19 (57,6%) appartenaient au PCR-ribotype 018 et étaient considérées comme clonales par analyse MLVA et cgSNP (core-genome single nucleotide polymorphism). Les patients infectés par ces souches présentaient un taux de mortalité à 90 jours supérieur à celui des patients infectés par une souche appartenant à un autre PCR-ribotype, suggérant une virulence plus élevée des souches de PCR-ribotype 018.
Conseil et formation
Les membres du CNR C. difficile ont des missions de conseil aux professionnels de santé. Ces missions comprennent notamment la rédaction de recommandations de diagnostic, telles que le référentiel en microbiologie médicale (Rémic), la participation à des webinaires ou la publication d’articles dans des journaux scientifiques. Les membres du CNR sont également impliqués dans des enseignements de formation continue ou de diplômes universitaires, et présentent régulièrement des résultats lors de congrès. Enfin, le CNR accueille des stagiaires issus de différentes filières (licence, BTS, master, étudiants en pharmacie…).
Notes :
1- Polymerase chain reaction, réaction (amplification) en chaîne par polymérase.
2- Tcd : toxine de C. difficile.
3- Multiple loci VNTR analysis, analyse de plusieurs locus VNTR (VNTR : variable number of tandem repeats, répétition en tandem à nombre variable).
4- rpo : RNA polymerase (RNA : ribonucleic acid).
5- European Centre for Disease Prevention and Control, Centre européen de prévention et de contrôle des maladies.
6- Combatting bacterial resistance in Europe-Clostridioides difficile infection.