Les précautions standard constituent le socle fondamental de la prévention de la transmission croisée et nécessitent d’être parfaitement maîtrisées pour une application raisonnée et adaptée, quelle que soit la situation de soins. Malgré de nombreuses actions de sensibilisation et formation aux précautions standard, certaines équipes en prévention du risque infectieux du Grand Est ont exprimé leur lassitude face aux audits de pratiques, qui demeuraient insatisfaisants. Face à ce constat, nous avons, en 2023, repensé notre approche de formation afin d’encourager un changement de comportement en nous appuyant sur des méthodes pédagogiques innovantes, au contenu ludique et accessible à tous. Lors d’un échange entre Mme Marina Pereira Colot, infirmière hygiéniste au centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (CPias) du Grand Est, et M. Sylvain Brichet, ingénieur pédagogique à l’institut régional de formation (IRF) du centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims, plusieurs techniques et approches susceptibles d’améliorer la sensibilisation des professionnels de santé aux précautions standard ont été identifiées. Cet échange a marqué le début d’une collaboration fructueuse.
Un projet collectif
Les auteurs ont constitué un groupe d’experts en prévention du risque infectieux réunissant des membres des équipes opérationnelles d’hygiène (EOH) de Champagne-Ardenne et des équipes mobiles d’hygiène (EMH), ainsi que des formateurs et des apprenants de l’IRF de Reims. Le travail collaboratif, fondé sur l’intelligence collective [1], a été un levier essentiel de partage des expériences de terrain et de génération d’idées innovantes. Avec le soutien de leurs formateurs et des experts en prévention des infections, les apprenants ont scénarisé des situations concrètes. Ils se sont ensuite appuyés sur les recommandations des précautions standard pour analyser chaque situation et transmettre un message simple et clair sur la mise en œuvre des bonnes pratiques. Cette dynamique collective a conduit à l’élaboration de quinze scénarios inspirés de situations réelles où l’application des bonnes pratiques était insuffisante. Pour renforcer cette démarche, M. Brichet a intégré des principes de neuropédagogie afin de concevoir des vidéos ludopédagogiques inclusives [2,3]. Elles retracent le parcours d’un professionnel de sa formation initiale jusqu’à son embauche et illustrent le continuum nécessaire à la mise en place d’une politique efficace de gestion et de prévention du risque infectieux. Ce support met en lumière le rôle de chacune des parties prenantes tout au long de ce processus. Grâce à cette approche innovante et collaborative, les étudiants ont pu non seulement mieux appréhender les recommandations sur les précautions standard, mais aussi les appliquer de manière appropriée dans diverses situations de soins, améliorant leur expérience pratique sur le sujet.
Une conception pédagogique basée sur les neurosciences
La construction de ces vidéos pédagogiques courtes d’environ une minute trente s’est appuyée sur les quatre piliers de l’apprentissage [4], l’attention, l’engagement actif, le retour sur erreur et la consolidation, ainsi que sur les principes de la neuro-éducation. Cette discipline des neurosciences cognitives, s’appuyant sur des preuves scientifiques, permet d’adapter les méthodes pédagogiques aux mécanismes du cerveau [2].
Attention
Le travail a débuté avec le premier pilier : l’attention. Comme pour une bonne pièce de théâtre, il est essentiel de concevoir un scénario qui capte et maintienne l’attention du public. Pour être les plus percutantes possible et capter l’attention d’un large public, les vidéos ont été réalisées dans un format vertical, de 1 080×1 920 pixels et avec une durée courte, adaptée aux réseaux sociaux. Le choix d’un format « animation » visait à rendre les vidéos plus attractives, avec des fonds colorés mettant en valeur Marcell, la mascotte de l’IRF du CHU de Reims, un personnage mi-humain, mi-axolotl1, qui incarne le héros principal des vidéos. Avec une touche d’humour, Marcell apporte un côté ludique aux vidéos, renforcé par un final amusant (feu d’artifice, danse, pluie d’étoiles) et un slogan facilement mémorisable, conçu comme une publicité, pour laisser une trace mnésique durable. Cette approche s’appuie sur le principe du « funny learning », qui associe émotion et mémorisation. Plusieurs études neuroscientifiques montrent que les concepts et méthodes sont plus facilement compris et retenus lorsqu’ils sont associés à des émotions et à une approche ludique. Des images et des scènes amusantes captent l’attention et les émotions positives comme le rire ancrent durablement les apprentissages [5].
Pédagogie active
Tout au long de cette série, Marcell est accompagné d’apprenants de l’IRF qui se sont transformés en acteurs pour les besoins du tournage. Leur implication dans la création de ces vidéos met en pratique le second pilier de l’apprentissage : la pédagogie active, qui favorise l’appropriation des connaissances par la découverte. En participant à la construction des scénarios et à leur mise en scène, les apprenants ont renforcé leurs connaissances en prévention du risque infectieux et développé une bonne compréhension des bonnes pratiques [6].
Retour sur erreur
Le troisième pilier mobilisé dans ce projet est le retour sur erreur. Dans cette série, nous suivons Marcell tout au long de son parcours de formation, ponctué d’erreurs que les apprenants corrigent pour le guider vers les bonnes pratiques. Une étude de Monfardini et al. a montré qu’observer quelqu’un se tromper est plus bénéfique pour l’apprentissage que de faire ses propres erreurs [7]. En incarnant celui qui fait des erreurs, Marcell permet d’éviter la stigmatisation des apprenants tout en favorisant un apprentissage efficace par l’observation.
Consolidation
Enfin, pour le dernier pilier, la consolidation, un livret pédagogique interactif a été élaboré, accompagné d’un quiz à la fin de chaque vidéo. Les quiz permettent non seulement de challenger les participants, mais aussi de renforcer leur mémoire en consolidant les connaissances acquises. Cette combinaison de méthodes neuroscientifiques, d’humour et de pédagogie active a permis d’engager efficacement les apprenants dans l’acquisition des bonnes pratiques en prévention des infections.
Une diffusion et un impact plus larges que prévu
La diffusion de ce projet a largement dépassé nos attentes avec une adhésion de l’ensemble des soignants. En effet, initialement prévu pour les professionnels paramédicaux, ces vidéos ont fait l’unanimité auprès des professionnels médicaux comme support de formation au CHU de Reims. La diffusion de ces outils ludopédagogiques a touché un public plus vaste que prévu, renforçant la prise de conscience collective de l’importance d’améliorer la sensibilisation de tous aux précautions standard.
Des ambassadeurs de la prévention des infections
L’un des aspects les plus remarquables de cette expérience est l’évolution des apprenants : désormais professionnels de terrain, ils sont devenus de fervents ambassadeurs de la prévention des risques infectieux dans leurs établissements. Ils ont également acquis une meilleure compréhension du rôle d’expert en prévention des infections et abordent avec enthousiasme la collaboration avec les différentes instances, qu’elles soient internes ou externes à leurs structures.
Conclusion
Cette initiative a permis de créer un espace d’échange entre les formateurs, les professionnels de la prévention du risque infectieux et les apprenants, qui allie pédagogie innovante et réalité du terrain. Les rencontres ont permis aux apprenants de mieux saisir les enjeux des métiers de la prévention du risque infectieux et l’importance cruciale de leur engagement dans ce domaine spécifique. Cette approche a encouragé les formateurs à se tenir à jour des dernières recommandations, renforçant la qualité des formations. Une étude pourrait être envisagée afin de quantifier l’impact de cette méthode sur l’apprentissage et sur l’amélioration des pratiques de terrain, ouvrant la voie à un projet de recherche.
Retrouvez le livret pédagogique contenant les vidéos, la méthode pédagogique employée, les quiz et les références bibliographiques dans Un livre vraiment unique : Les aventures de Marcell en hygiène (Figure 1), accessible à https://view.genially.com/66572fdeb442c70014cd9253 (Consulté le 21-11-2024).
Note :
6- Amphibien vivant en eau douce originaire d’Amérique centrale.
Références
1- Servan-Schreiber É. Supercollectif : la nouvelle puissance de nos intelligences. Paris: Fayard; 2018. 220 p.
2- Medjad N, Gil P, Lacroix P. Neurolearning : les neurosciences au service de la formation. Paris: Eyrolles; 2016. 192 p.
3- Caprani G. Réaliser une vidéo pédagogique : formations, tutoriels, Moocs… Comment captiver pour bien transmettre. Le Mans: Gereso; 2021. 213 p.
4- Dehaene S. Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines. Paris: Odile Jacob; 2021. 384 p.
5- Croisile B. Tout sur la mémoire. Paris: Odile Jacob; 2009. 512 p.
6- Freeman S, Eddy SL, McDonough M, et al. Active learning increases student performance in science, engineering, and mathematics. Proc Natl Acad Sci U S A. 2014;111(23):8410-8415. Doi : 10.1073/pnas.1319030111.
7- Monfardini E, Gaveau V, Boussaoud D, et al. Social learning as a way to overcome choice-induced preferences? Insights from humans and rhesus macaques. Front Neurosci. 2012;6:127. Doi : 10.3389/fnins.2012.00127.